Gonzague de Vallois (Gameloft) "Le rich gaming est un relais de croissance pour Gameloft"

L'éditeur de jeux sur mobile a connu une forte progression de ses revenus grâce à l'iPhone. Son vice-président explique les conséquences de l'explosion du smartphone sur son activité.

JDN. En créant Gameloft en 2000, Michel Guillemot affirmait que le mobile deviendrait la plate-forme de jeux la plus répandue. Dix ans plus tard, Gameloft partage-t-il toujours ce constat ? 

Gonzague de Vallois. Cette vision de départ était un peu en avance, mais elle est aujourd'hui en train de se réaliser, principalement grâce aux smartphones et en particulier grâce à l'iPhone. Pour la première fois, le téléphone mobile a permis de réaliser des jeux qui rivalisaient avec les consoles portables, ce que nous appelons le "rich gaming". Sur le seul troisième trimestre, nous avons publié un chiffre d'affaires de 35 millions d'euros. Nous vendons 7 millions de jeux par mois, soit plus de 80 millions de jeux par an, dans plus de 100 pays dans le monde. Gameloft emploie aujourd'hui 4 000 personnes.

Quel impact l'iPhone a-t-il eu sur l'activité de Gameloft ? 

Depuis 2008, le marché a connu une réelle explosion en Europe et Amérique du Nord. Aujourd'hui, un quart de notre chiffre d'affaires est réalisé grâce à Apple, iPad et iPhone confondus. Sur les neuf premiers mois de l'exercice 2010, le chiffre d'affaires que nous réalisons sur l'App Store a progressé de 80 %. L'iPhone a donc clairement accéléré notre croissance.

Ce chiffre d'affaire a-t-il cannibalisé votre activité sur les téléphones classiques ?

Il y a effectivement un phénomène de cannibalisation lié au taux d'équipement croissant de l'iPhone chez les consommateurs. Mais cette adoption du terminal contribue également à un élargissement naturel de notre cible. L'iPhone nous a permis de toucher des consommateurs qui ne jouaient pas auparavant sur leur terminal Java. Outre le terminal en lui-même, cette croissance est aussi due à l'explosion du marché des applications. Auparavant, le marché du jeu sur mobile était davantage perçu comme un marché de spécialistes. Aujourd'hui, les applications sont un phénomène grand public. Et les jeux sont le premier type de programme téléchargé sur les stores. 

"l'iPhone est devenu un produit de masse"

Existait-il un réel marché du jeu vidéo sur mobile avant l'iPhone ?

Depuis l'arrivée de l'iPhone, il peut être facile de regarder le passé avec un regard très négatif sur l'expérience de jeu sur mobile. Il ne faut pas oublier qu'il était tout à fait possible de s'amuser sur un téléphone avec un jeu en Java. Nous avons d'ailleurs connu une croissance explosive entre 2002 et 2006 grâce à Java. Avant l'iPhone, en 2006-2007, nous vendions déjà un million et demi de jeux par mois...

Où en est votre activité Java aujourd'hui ?

Avant l'iPhone, nous faisions 100 % de notre activité en Java. Aujourd'hui, nous somme plus proches de 65 %. Mais cette activité reste globalement en croissance. Ce n'est plus le cas en Europe et aux Etats-Unis, où les smartphones explosent, mais les pays émergents restent de gros consommateurs de jeux Java. Nous faisons un tiers de notre chiffre d'affaires en Europe, un tiers aux Etats-Unis et un tiers en Asie et en Amérique latine, où plusieurs centaines de milliers de joueurs continuent chaque mois d'acheter des jeux Java. Nous pensons que ce segment sera encore en croissance en 2011. D'ici trois ans, il est en revanche possible que le Java représente moins de la moitié de notre chiffre d'affaires. 

La part de vos revenus apportés par Apple va donc encore progresser ? 

Oui, tant qu'Apple continuera à vendre des iPhone ou à en sortir de nouveaux. La croissance sera cependant moins explosive à l'avenir car l'iPhone vient chercher des utilisateurs de moins en moins spontanément enclins à acheter des jeux. Le taux de consommation de jeux sur iPhone aujourd'hui est moins élevé qu'il y a deux ans, alors que ce téléphone était encore acheté principalement par des "early adopters". Aujourd'hui, l'iPhone est un téléphone de masse. 

Comment le succès des produits Apple a-t-il influé sur votre stratégie de définition de titres ? 

Nous avons créé dès 2008 une nouvelle activité au sein de Gameloft, qui correspond à ce segment du rich gaming. Il s'agit d'une activité à part, puisque la définition des titres se fait de façon autonome par rapport aux autres plates-formes mobiles. Cette entreprise au sein de l'entreprise a rapidement grossi. En deux ans, nous avons affecté un millier de collaborateurs sur cette activité, soit un quart de nos effectifs. Aujourd'hui, la plate-forme Apple est devenue la plate-forme maître chez Gameloft : nous développons d'abord nos titres sur iPhone avant de les adapter éventuellement sur d'autres plates-formes. 

"L'iPhone nous a permis de réduire nos coûts de portage"

Combien de titres proposez-vous sur iPhone et iPad ?  

Nous en avons un peu plus d'une centaine pour ces deux terminaux. L'iPhone reste la plate-forme la plus importante avec environ 80 titres, mais nous en proposons déjà une trentaine sur iPad. A titre de comparaison, notre catalogue est composé d'environ 300 titres, dont environ 200 sont encore actifs. Nous avons essayé de prendre en compte la diversité de la cible en proposant différents types de jeux. 

L'émergence de ce terminal a-t-elle eu un impact sur vos budgets de création ? Les capacités techniques de ces appareils vous poussent à proposer des jeux plus évolués...  

Paradoxalement, ils n'ont pas entraîné d'augmentation de nos budgets, mais plutôt une répartition différente de nos coûts. Nous investissions peu auparavant sur la création du jeu en lui-même, mais en revanche beaucoup sur le portage de nos jeux d'un terminal à un autre. Avant l'iPhone, un jeu devait être adapté sur environ 1 200 terminaux et traduit dans dix langues. La montée en puissance de l'iPhone a entraîné une augmentation des coûts de création de nos titres, qui a cependant été absorbée par une forte diminution de nos coûts de portage. 

Cette situation va-t-elle de nouveau changer avec la multiplication d'autres OS mobiles ?

La fragmentation des OS engendre à nouveau des coûts de portage importants, car nous voulons développer nos titres pour tous les OS. Nous sommes déjà actifs sur les autres plates-formes. Nous proposons une quinzaine de jeux sur Android, 25 sur Bada de Samsung, 7 sur Windows Phone 7 et 5 sur Symbian. Nous allons encore en sortir d'ici la fin de l'année. Le rich gaming est encore un relais de croissance pour Gameloft. 

Le mobile s'inscrit de plus en plus dans un écosystème d'écrans, entre télévisions connectées, tablettes et ordinateurs. Gameloft a-t-il vocation à s'étendre sur ces "nouveaux écrans" ? 

Oui. Le positionnement de Gameloft est de proposer des jeux grand public téléchargeables partout où cela est possible. Nous avons étendu notre activité aux consoles connectées qui proposent des places de marché de jeux comme Playstation Network, Wii Ware ou PSP Go. Nous regardons également de très près les télévisions connectées. Nous avons récemment sorti un premier jeu sur les téléviseurs Samsung en Corée du Sud et aux Etats-Unis. L'évolution des box de FAI comme Free ou SFR en France, qui intègrent des boutiques d'applications, nous intéresse également. 

Certains éditeurs de jeux sociaux comme Zynga s'installent sur mobile après avoir grandi sur Facebook. Cette nouvelle concurrence va-t-elle vous pousser à investir le Web 2.0 ?   

Le social gaming correspond à notre positionnement, nous suivons donc cela de près. Nous avons lancé il y a quelques mois un premier jeu de "farming", "Green Farm", et nous en sortirons d'autres en 2011. C'est un type de jeu qui fonctionne bien en multi plate-forme, c'est-à-dire en rebond d'un écran à l'autre. Nous allons adopter cette stratégie et nous donner les moyens de réussir sur ce segment. 

Gonzague de Vallois est Senior Vice-président de Gameloft, en charge des ventes et du marketing de l'entreprise. Diplômé de l'Essec, Gonzague de Vallois a débuté sa carrière à la direction marketing de Bouygues Telecom, avant d'intégrer Gameloft en 2000 pour lequel il conclut les premiers contrats de distribution pour le groupe avec des opérateurs européens et américains. Gonzague de Vallois a étendu le réseau de distribution au niveau mondial, puis mis en place une structure pour s'attaquer à l'émergence de la distribution numérique de jeu vidéo sur plateformes mobiles, mais aussi tablettes et consoles.