Thomas Husson (Forrester) "La convergence entre mobile local et social va se développer"

Places de marché d'applications, 4G, m-commerce, usages Internet mobile... Thomas Husson, analyste senior chez Forrester, tire le bilan de 2010 et dresse les tendances de l'Internet mobile pour 2011.

JDN. Quel bilan tirez-vous de l'année 2010 pour l'Internet mobile ? 

Thomas Husson. 2010 a marqué une professionnalisation des entreprises dans le secteur. La plupart commence aujourd'hui à intégrer le mobile dans leur stratégie globale, comme elles l'ont fait il y a dix ans pour le Web fixe. Elles sortent petit à petit d'une logique "test and learn" avec quelques petites applications et prennent réellement conscience que les comportements des consommateurs évoluent et que le mobile va jouer un rôle à part entière dans ces changements. Les acteurs qui investissent dans le mobile vont commencer à considérer leur stratégie mobile non plus sur le court, mais sur les moyen et long terme. Cela va se traduire notamment par un développement des usages de services de mobile analytics qui leur permettront de mieux comprendre les parcours clients, les usages du mobile et comment ils se complètent avec ceux d'autres médias. 

Amazon vient d'ouvrir son Appstore pour Android aux développeurs. La multiplication des places de marché d'applications va-t-elle continuer en 2011 ? Quelles conséquences aura ce phénomène ? 

Il y a eu beaucoup de lancements en 2010 et il y en aura encore en 2011. Les fournisseurs d'OS ont déjà pris position sur ce marché, mais d'autres acteurs s'y intéressent, comme les opérateurs. Pour s'imposer, les places de marché vont devoir proposer des services plus poussés aux éditeurs, ce qui devrait être profitable pour ces derniers. Nous allons voir cette année les modèles de monétisation évoluer, pour se détacher un peu du paiement au téléchargement. Les achats intégrés (in-app purchases) vont notamment se développer, ainsi que les abonnements. Fidéliser les éditeurs passera aussi par la fourniture de vrais outils de reporting et de merchandising qui sont encore faibles aujourd'hui. Le lancement d'Amazon sur ce marché est intéressant car il devrait apporter son expertise de l'e-commerce pour séduire à la fois les éditeurs et les utilisateurs. 

Contrairement aux moteurs de recherche pour les sites Internet fixes, les applications mobiles n'ont pas d'équivalent du SEO, ce qui rend plus compliquée la promotion d'une application... 

La brique qui manque aujourd'hui aux App Store, c'est celle de la recommandation. Je pense qu'Amazon va justement combler ce vide et pousser les mécanismes de recommandations personnalisées d'application à se développer ailleurs. En dehors des stores, certains acteurs constituent des bases de données et des newsletters qualifiés. Mais l'offre est encore très fragmentée. Le besoin d'un équivalent de SEO pour les applications va se faire sentir. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Google est derrière Android ou si Amazon compte se développer sur ce marché. 

"85 % des utilisateurs d'iPhone vont sur un navigateur mobile au moins une fois par semaine"

Beaucoup d'acteurs prédisent en 2011 un rééquilibrage des sites mobiles par rapport aux applications. Qu'en pensez-vous ? 

Aujourd'hui, 85% des utilisateurs d'iPhone vont sur un navigateur mobile au moins une fois par semaine. L'usage de l'Internet mobile via un navigateur va croître significativement dans les années à venir notamment parce que d'un point de vue d'offre, de nombreux éditeurs vont se tourner vers le site mobile plutôt que de développer des applications pour différents OS . 

La vraie question qu'une marque doit se poser est quel service doit-elle mobiliser pour toucher quelle audience. Pour atteindre des utilisateurs de smartphones, une application peut être pertinente. Mais si le service que vous vendez n'a pas besoin d'interagir avec les fonctions avancées du téléphone, une application n'est pas forcément pertinente. D'autant qu'elle ne permet pas de toucher une audience extrêmement large. Sites et applications fonctionnent donc en complémentarité. 

Les usages locaux du mobile vont-ils se développer ? 

Je pense que nous allons en effet assister à beaucoup d'expérimentations et de services sur la convergence entre le mobile, le local, mais aussi le social. Il y a eu beaucoup d'effet de mode autour de Foursquare ou de Facebook Places, mais il ne s'agit que d'épiphénomènes. Ce type d'expériences va désormais s'intégrer dans des services plus larges. Les expérimentations de couponing et de promotion ciblées géographiquement devraient beaucoup se développer en 2011, même si les retours ne seront peut-être pas significatifs dès cette année. 

Pourquoi ? 

Ce marché va mettre du temps à se structurer. Il ne s'agit pas seulement de lancer ce type d'opération dans quelques boutiques : il faut qu'elles soient intégrées dans les systèmes d'information des entreprises. Une enseigne nationale devra par exemple être en mesure de traquer les coupons mobiles dans chacun de ses points de vente. Outre la question matérielle, il y a aussi la formation des équipes, l'instauration d'une vraie culture du marketing mobile dans l'entreprise. 

"La France pourrait compter un million de terminaux NFC fin 2011"

La réalité augmentée sur mobile a été une nouveauté de 2010. Comment va-t-elle évoluer en 2011 ? 

On continuera à en parler en 2011. Mais ce n'est pas encore une technologie très mature. Je pense que la plupart des services de réalité augmentée qui ont été lancé ou qui le seront relèvent soit de l'expérimentation, soit du buzz. L'avenir de la réalité augmentée se joue davantage dans une tendance de fond plus large qui considère le mobile en tant qu'outil d'interaction avec mon environnement. D'autres technologies, comme la recherche visuelle ou le NFC (Near Field Communication, ndlr), s'intègreront dans cette tendance plus globale. Comme la réalité augmentée, le NFC, c'est l'interaction sur le point de vente entre un individu et l'environnement qui l'entoure. Seul le mobile peut permettre cela. 

La technologie NFC va-t-elle selon vous enfin décoller en 2011 ? 

Oui, les terminaux utilisant cette technologie vont enfin faire leur apparition, alors que cela fait des années que les constructeurs les promettent. Orange a avancé un chiffre de 500 000 terminaux équipés de cette technologie fin 2011 en France, mais tous opérateurs, on peut raisonnablement tabler sur un million de terminaux compatibles sur le marché français. Ce n'est pas énorme, mais c'est un début. 

Quid de la 4G en Europe ? 

Pour l'instant, on en parle surtout aux Etats-Unis car AT&T et Verizon ont des plans de déploiement très agressifs. L'Europe est paradoxalement un peu à la traîne sur la 4G, même si Telia Sonera a déjà ouvert son réseau à Stockholm. Vodafone devrait l'inaugurer en Allemagne au printemps. Il va y avoir beaucoup d'effets d'annonces sur les promesses du LTE. Derrière tout cela, il y aura peu de terminaux compatibles. Ce marché va donc d'abord être porté par le segment des clés 4G. D'un point de vue consommateur final, on restera sur des taux d'adoption ridicules. Quand on voit le temps qu'il a fallu à la 3G pour être réellement ancrée dans les usages des consommateurs, on se dit qu'on a encore du temps avant que le LTE en arrive au même stade. 

En 2010, eBay a annoncé avoir dépassé les 2 milliards de dollars de ventes sur mobile. Le m-commerce va-t-il continuer à croître ? 

Nous sommes sur des usages encore limités en termes de transactions initiées depuis un mobile. Mais tous les indicateurs sont en place. Les marques commencent à avoir une présence sur ce canal, même si elles étaient au départ davantage sur une optique de fidélisation client. Pour l'instant, la valeur ajoutée du m-commerce réside dans la continuité qu'elle apporte dans le cadre d'une transaction initiée sur le Web. Si l'exemple d'eBay est un peu exceptionnel, certains acteurs commencent tout de même à réaliser des résultats engageants sur mobile, comme Voyages-sncf ou Vente-privée par exemple. C'est très encourageant pour 2011.  

Thomas Husson est analyste senior au sein du cabinet d?études et de conseil Forrester, en charge de la recherche sur les problématiques liées aux services mobiles et à la stratégie mobile des entreprises. Il a rejoint Forrester en août 2008 après avoir passé 4 ans chez JupiterResearch comme analyste et 6 ans chez Bouygues Telecom au sein de la direction marketing grand public. Thomas Husson a également passé un an et demi à Milan dans le secteur financier. Il est membre du jury des Global Mobile Awards au Mobile World Congress de Barcelone depuis 2008.