Cédric Tournay (Dailymotion) "Le Web ne réprésentera plus que 30 % de notre trafic en 2012"

Pour concurrencer Youtube, Dailymotion doit relever un triple pari : créatif, technologique et publicitaire. Son PDG, Cédric Tournay, explique comment il compte les relever.

JDN. Cinq ans après sa création, que représente aujourd'hui Dailymotion ? 

Cédric Tournay. Dailymotion est aujourd'hui la deuxième plate-forme mondiale de diffusion de vidéos sur Internet. Nous accueillons 65 millions de visiteurs uniques chaque mois et diffusons 1 milliard de vidéos, que ce soit sur notre portail ou sur des sites tiers. Nous avons 13 millions de vidéos en base de données et 15 000 nouvelles vidéos sont ajoutées chaque jour. 

Vous êtes rentable depuis l'année dernière...  

Dailymotion a fait beaucoup d'efforts en 2009. Nous avons, comme beaucoup d'entreprises, énormément ajusté nos coûts. L'action conjuguée de la maîtrise des coûts et le développement des revenus fait qu'aujourd'hui Dailymotion est à l'équilibre d'exploitation. Heureusement, nous avons la chance d'être sur le segment de la vidéo advertising, qui reste l'un des plus dynamiques sur Internet. Actuellement, depuis le début de l'année, notre croissance est de 50 %. 

"Nous investissons environ 20 % de notre chiffre d'affaires en R&D"

Avez-vous réussi à maîtriser le coût de bande passante, qui reste un poste de dépenses important des plates-formes vidéo ?

Historiquement, la bande passante était en effet le principal coût d'un service comme le nôtre. Cela reste un enjeu important, surtout alors que nous cherchons toujours à pousser plus loin les standards de qualité des vidéos. Néanmoins, notre équipe technique, qui représente un tiers de notre effectif, a développé un savoir-faire en termes de techniques d'encodage et d'algorithmes de diffusion qui nous permet d'être beaucoup plus efficaces dans la maîtrise de nos coûts. Nous investissons environ 20 % de notre chiffre d'affaires en R&D, ce qui est gigantesque. 

Nous sommes par ailleurs l'un des plus gros acheteurs mondiaux de bande passante, ce qui nous permet de négocier des coûts unitaires extrêmement bas. Tout cela nous a permis de faire baisser tendanciellement nos coûts de diffusion. Aujourd'hui, diffuser 1 000 vidéos nous coûte 0,3 euros. Ce prix a été divisé par quatre en quatre à cinq ans. Cela étant dit, même si les prix unitaires baissent, la facture continue à augmenter à mesure que notre trafic progresse. Mais la bande passante représente une part de plus en plus faible de nos coûts d'exploitation et est donc de moins en moins un enjeu. 

En parallèle, votre budget d'achat de contenus devient aussi de plus en plus important...

Oui. Notre métier est d'agréger un maximum de vidéos, provenant des internautes, mais surtout de nos partenaires officiels. Nous comptons aujourd'hui 2 500 partenaires officiels dans le monde, les plus importants étant les majors de la musique comme Universal, EMI ou Warner. La musique représente par exemple 20 % de notre audience. Mais également les médias ou les fédérations sportives comme la ligue de football professionnel en France. Notre stratégie est celle de la montée en gamme de nos contenus par le développement des contenus premium. C'est ce qui fait notre différence avec d'autres acteurs du marché qui se positionnent davantage comme de purs moteurs de recherche. Mais rémunérer des ayant-droits pour l'exploitation de leurs contenus nous coûte de plus en plus cher. 

Quelle part des vidéos hébergées sur Dailymotion est actuellement monétisée ? 

Nous ne diffusons de la publicité dans nos vidéos (in-stream, ndlr.) que sur 20 % à 30 % de nos contenus. Nous voulons évidemment monter en puissance sur la part de vidéos diffusant de l'in-stream, même si 10 % de nos vidéos correspondent à un usage privé et sont difficilement monétisables. Mais notre priorité est surtout de monétiser les flux en dehors de Dailymotion. 50 % de nos vidéos vues le sont en dehors de Dailymotion, via notre player exportable. Jusqu'à très récemment, nous ne diffusions pas de publicité en dehors de notre site. Nous ne travaillions donc que sur la moitié de notre inventaire. Aujourd'hui nous commençons à diffuser de la publicité à l'extérieur du domaine Dailymotion. 

"Notre application iPhone a été téléchargée plus d'un million de fois"

Le portail Dailymotion a-t-il une place en dehors du Web traditionnel ? 

Historiquement, Dailymotion est un site Web. Mais notre mission est d'être présents sur tous les canaux de distribution : l'ordinateur, le mobile, les tablettes, mais également les télévisions connectées. Nous avons été, je crois, le seul éditeur français à être présent dès le lancement de l'iPad aux Etats-Unis. Nous avons également signé des accords avec tous les grands constructeurs mondiaux pour que notre service soit présent sur les télés connectées. Nous signons aussi des accords avec les fournisseurs d'accès pour proposer le service Dailymotion sur la télévision de leurs abonnés. SFR a été le premier, mais Numericable est en train d'être mis en production. Sur SFR, cela représente déjà 400 000 vidéos vues par jour. Les usages en matière de télévision connectée pour consulter de la vidéo à la demande sont en train d'exploser. 

Vous avez également lancé plusieurs applications mobiles...  

Notre application iPhone a été téléchargée plus d'un million de fois. Nous avons également lancé des applications pour Android (Google) et Ovi (Nokia) et nous allons lancer une application pour Windows Mobile. Notre vision est qu'en 2012, le Web ne représentera plus que 30 % des consommations de vidéos sur Dailymotion. 30 % de notre trafic sera réalisé depuis les téléphones mobiles et les tablettes et 30 % sur les télévisions connectées. Notre modèle évolue rapidement. 

Et votre modèle publicitaire ? 

Il est associé aux usages des internautes. Il se doit donc d'évoluer rapidement aussi. Nous observons un développement rapide de notre chiffre d'affaire généré via le mobile. Sur mobile, nous nous orientons de plus en plus vers de l'in-stream vidéo, ce que nous faisons déjà sur le Web. Nous espérons que la consommation sur tablettes permettra également de créer un environnement publicitaire favorable. Pour la télévision, nous allons finalement déployer un modèle assez classique pour ce support. 

"La France ne représente plus que 25 % de notre audience"

Quel est aujourd'hui le poids de la France dans l'audience de Dailymotion ? 

La France reste un pays important mais ne représente plus que 25 % de notre audience. Nous faisons aujourd'hui plus de trafic aux Etats-Unis qu'en France, ce qui est assez logique si l'on compare la taille de ces marchés : 35 millions d'internautes en France contre plus de 200 millions aux Etats-Unis. Les USA représentent environ 30 % de notre audience. 

Quelle est votre stratégie de développement à l'international ? 

Notre principale priorité est de nous développer en Europe, mais également en Asie. Les pays importants pour nous sont, l'Allemagne, le Royaume-Uni, l'Espagne, l'Italie mais aussi la Turquie, la Pologne, le Japon, ou l'Inde. Comme il ne nous est pas possible de nous établir physiquement dans tous ces pays, nous le faisons essentiellement au travers d'accords de distribution locale. En Italie par exemple, le service est animé en partenariat avec Telecom Italia qui nous distribue et nous représente commercialement. En Inde, nous travaillons avec Hungama qui est l'un des gros acteurs du paysage audiovisuel local. Cette stratégie de partenariats nous a permis non seulement de nous développer rapidement, mais aussi d'adapter notre service. 

Quelle est la position de Dailymotion sur la question de la neutralité du Net ? 

Nous sommes vigilants sur ce sujet, mais nous n'avons pas vraiment de craintes. Dailymotion occupe aujourd'hui une place importante dans les habitudes des internautes. J'imagine mal un opérateur vouloir engager un bras de fer avec nous ou vouloir privilégier des services au détriment de ceux qui son plébiscités par les utilisateurs.

Derrière la question de la neutralité des réseaux, il y a la celle, supposée, du financement des infrastructures. Sur ce point, nous avons une position extrêmement claire : aujourd'hui il n'est pas question que des acteurs tels que nous participent au développement des infrastructures des opérateurs. A moins de revoir toute l'économie du système et que les opérateurs optent pour un partage des revenus des abonnements avec les services auxquels une contribution serait demandée. Ce ne serait que justice. Les internautes ne paient pas 30 euros par mois pour avoir un câble ou une fibre optique chez eux. Ils paient pour avoir accès à des services qui leurs sont offerts sur le réseau et qui sont solvabilisés par la publicité. Les fournisseurs de services n'ont pas, et en aucune manière, à financer les réseaux des opérateurs. Et ce ne sera pas le cas.