François-Xavier Hussherr (Lelivrescolaire.fr) "Produire un livre et ses versions numériques pour le coût du papier est possible"

Editeur d'une technologie d'édition collaborative et multi-plateforme, Lelivrescolaire.fr s'apprête à publier 4 livres à destination des collèges français. Et cherche à commercialiser sa technologie aux Etats-Unis.

JDN. Lelivrescolaire.fr, c'est quoi ?

François-Xavier Hussherr. La société, créée depuis plus d'un an, a pour objectif de produire des livres de qualité moins cher et plus rapidement. Nous nous positionnons sur tous les livres dits "techniques" comme les guides de bricolage, de cuisine et, bien sûr, les livres scolaires. La technologie de publication que nous avons conçue a deux spécificités : la conception collaborative et la publication multi-support.

Concernant la conception collaborative, notre technologie permet d'élaborer un livre totalement "online", sans échange de papier ; les responsabilités de chacun – auteur, correcteur, responsable de l'ouvrage, directeur de collection – sont gérées par la plate-forme, qui permet en plus la coordination. Ainsi, nous avons pu faire travailler 300 professeurs pour concevoir nos deux premiers livres en 2010 : des manuels de Français et d'histoire-géographie pour la classe de 5e. Nous en avons vendu 25 000. Et cette année, nous allons produire 4 manuels ; histoire-géographie et français pour les classes de 4e, anglais pour les classes de 6e et French Level One pour les élèves américains.

L'autre partie de notre technologie, c'est la publication multi-support. Les livres sont conçus indépendamment du support et nous savons d'ores et déjà injecter ce contenu pour produire un livre papier (exportation vers Adobe Indesign), un site Web ou une application iPad. Nous développons en ce moment l'export vers les smartphones.

Vous entrez donc en concurrence avec les éditeurs traditionnels ?

Au contraire, nous offrons une opportunité aux éditeurs traditionnels. Nous diffusons des livres en France, gratuits sur Internet et payants en format papier, mais nous ne sommes pas certains d'en diffuser aux Etats-Unis. Ce que nous proposons aux éditeurs traditionnels c'est de mettre à leur disposition notre plate-forme afin qu'ils puissent entrer dans l'ère du livre numérique. En termes d'édition papier, ce sont des machines de guerre, cela fait plus d'un siècle qu'ils font cela. Mais le numérique bouleverse tout car il faut revoir les process de production de fond en comble. Actuellement un éditeur réalise tout d'abord la version papier et ensuite il "découpe" son livre pour en faire une version numérique. Résultat : concevoir une version numérique d'un livre élève de 50 % les coûts de production. Si vous modifiez radicalement les process, et c'est le but de notre plate-forme, vous pouvez produire un livre papier, sa version numérique et toutes les déclinaisons pour le même prix que la seule version imprimée. Nous proposons aujourd'hui aux éditeurs d'utiliser notre plate-forme, pour un forfait variant entre 50 et 250 000 dollars par livre, et nous accompagnons cela d'une prestation de conduite du changement car le numérique l'impose !

A peine quelques mois d'existence et vous vous installez déjà aux Etats-Unis ?

Le marché de l'édition est mondial et est en ébullition avec le passage au numérique. Début 2011, Flat World Knowledge qui développe un modèle proche du nôtre a levé 15 millions de dollars auprès de Bertelsmann Digital Media Investments (BDMI) et de Bessemer Venture Partners. Ainsi, nous positionner aux Etats-Unis nous permet de prospecter d'importants éditeurs, nous sommes d'ailleurs en discussions avec l'un d'entre eux afin de lui mettre notre technologie à disposition.

Quels modèles se dessinent sur le futur du livre numérique aux US ?

Il y a quatre tendances importantes à mon sens. La première, sur le marché des livres scolaires c'est que la partie Web est gratuite pour les acheteurs de l'édition papier. Il faut savoir qu'aux Etats-Unis, les livres scolaires sont vendus jusqu'à 100 dollars, uniquement pour la partie imprimée. Avec notre technologie, nous pouvons produire pour 50 % de ce prix. Cela peut permettre à de nouveaux entrants d'arriver en force sur le marché et c'est d'ailleurs ce que va sans doute faire Bertelsmann, qui n'est pas présent sur le marché américain, avec son investissement dans Flat World Knowledge.

La deuxième tendance, ce sont les sites à forte notoriété qui se mettent à publier des livres papier. Cela touche également la France, regardez le Site du Zéro commence à publier ses propres livres. On va donc voir des marques "connues" sur le Web, se diverisfier.

La troisième tendance, c'est l'impression à la demande. On ne va plus remplir des entrepôts de livres "pré-imprimés" qui attendent un acheteur. Mais quand vous cliquerez sur Acheter sur Amazon, cela déclenchera l'impression de votre livre. Deux conséquences à cela : les problématiques de stock vont disparaître et de plus en plus de livres seront disponibles sur le marché.

Enfin, la quatrième tendance, et je reviens aux livres scolaires, c'est que, petit à petit, les professeurs vont concevoir leurs "propres" livres en modifiant ceux qu'on met à leur disposition : suppression de chapitres, modification de l'ordre des chapitres...

La tablette va-t-elle tuer le livre ?

Il faut arrêter d'exagérer ! Même à San Francisco qui est une ville riche et très ouverte sur les nouvelles technologies, les enfants ne vont pas à l'école avec leur tablette. Commençons déjà par proposer un livre papier consultable et enrichi sur Internet, et donc sur PC, ce sera déjà beaucoup.

Comment financez-vous votre développement ? Cherchez-vous à lever des fonds ?

Notre modèle français, basé sur l'édition de livres en compte propre est auto-suffisant et dégage des bénéfices. Nous avons vendu 25 000 livres en 2010 et nous visons une augmentation significative cette année. Nous avons une quinzaine de personnes dans la société, dont 4 basées aux Etats-Unis et 45 % de nos employés sont des développeurs. Le modèle américain sera, lui, financé par les contrats de mise à disposition de notre technologie auprès d'éditeurs tiers. Nous ne cherchons donc pas à lever des fonds dans l'immédiat, nous ne le ferons que si nous avons une opportunité de développement que nous ne pouvons pas laisser passer.

Les professeurs qui conçoivent les livres français sont-ils rémunérés ?

Bien sûr. Cette année nous aurons environ 600 auteurs qui travaillent de manière collaborative sur nos livres français. Il y a trois statuts d'auteurs, en fonction de l'implication. Deux d'entre eux ouvrent la voie à une rémunération en droits d'auteur. Nous reversons entre 8 et 10 % de nos recettes aux auteurs. C'est légèrement mieux que dans le monde de l'édition traditionnelle.

Normalien, agrégé et docteur en économie, François-Xavier Hussherr travaille depuis plus de 15 ans dans le secteur des nouvelles technologies et de l'Internet. Après avoir été chercheur au MIT à Boston, il travaille successivement à des postes de direction chez Voila, Wanadoo, Médiamétrie, Benchmark Group (éditeur du JDN, ndlr). Il a décidé de réunir ses trois centres d'intérêt (l'éducation, l'édition et l'Internet) pour développer plusieurs activités sur ces thématiques.