Philippe Marini (UMP) "Je déposerai un nouveau projet de loi visant à taxer les géants du web en juillet"

Le président de la commission des finances du Sénat entend poursuivre son combat en faveur de sa "taxe Google" qu'il juge symbolique mais nécessaire à toute mobilisation européenne.

JDN. Après l'échec de l'instauration d'une "taxe Google", cette dernière est-elle toujours l'une de vos principales préoccupations ?

Philippe Marini. On peut ouvertement évoquer le terme d'évasion fiscale de la part d'acteurs pratiquant une véritable économie de traite dans les pays européens. Le projet de loi visant à taxer les géants du web est donc toujours d'actualité puisque répondant à un vrai problème d'équité fiscale. J'ai bien conscience de sa portée réduite mais il s'agit là d'instaurer un signal en mesure d'alerter les états membres de l'UE pour contrer toute distorsion de concurrence et toute optimisation fiscale de la part de sociétés comme Amazon, Google, Facebook ou eBay.

Quand allez-vous soumettre ce nouveau projet ? Comment pensez-vous l'articuler ?

J'ai pris la décision de proposer un nouveau projet de loi au mois de juillet quand la vague de la présidentielle sera passée. Le texte résultera des prochains débats et des rencontres que j'aurai pu avoir avec des experts, notamment avec les directions générales "fiscalité" et "concurrence" de la Commission européenne.

Je proposerai entre autres une obligation de déclaration d'un référent fiscal compatible avec le droit communautaire pour les acteurs domiciliés à l'étranger et je maintiens la Tascoé visant à taxer les transactions BtoB entre e-commerçants, entre 0,1 et 0,5%. Ce projet inclura comme mentionné plus tôt une proposition symbolique de taxe sur la publicité en ligne à laquelle les régies publicitaires seront soumises, quelle que soit leur situation géographique. Cette dernière mesure pourrait rapporter 26 millions d'euros sur la base d'une taxe à 1%. L'objectif est triple : financer le déploiement des réseaux, des industries culturelles numériques sans oublier de contribuer au budget général de l'Etat.

Êtes-vous satisfait de l'harmonisation européenne à venir de la TVA pour les e-commerçants ?

A compter de 2015, les entreprises de vente à distance devront facturer la TVA du lieu de consommation et non celle de l'endroit où se situe leur siège social. Mais ce n'est qu'en 2019 qu'elles commenceront à la reverser aux Etats du lieu de consommation. C'est une mesure certes satisfaisante, mais son application est trop lointaine, d'où l'importante d'une renégociation européenne de ce dispositif dans les plus brefs délais.

Comment convaincre des Etats comme l'Irlande et le Luxembourg d'accepter de telles renégociations ?

Jusque-là les négociations en matière fiscale sur la vente à distance en Europe ont été favorables à l'Irlande et au Luxembourg. A l'évidence ce type de réforme pose la question de la gouvernance européenne et il va donc falloir trouver des compromis avec ces pays pour les faire basculer vers un régime fiscal communautaire harmonisé. Il faut garder en tête que la santé budgétaire des états membres constitue un contexte propice à une remise à plat du calendrier tel qu'il avait été établi. Quoi qu'il en soit, il faudra y aller les bras armés.

Que pensez-vous de la proposition du Conseil national du numérique quant à la création d'un statut d'établissement stable virtuel ?

Le statut envisagé par le Conseil national du numérique mérite d'être discuté mais rentre dans une vision à long terme qu'il ne faudra toutefois pas écarté. Il pourrait en effet répondre aux problématiques soulevées quant à la soumission des géants du web à l'impôt sur les sociétés.

Faut-il réformer la redevance sur la copie privée ? Comment ?

Le monde de la culture est très endogamique et le réformer ne sera pas évident. Il est pourtant vrai que le dispositif portant sur la redevance sur la copie privée est aujourd'hui problématique. Il est certes possible de l'améliorer mais il faudrait en réalité envisager une réforme plus globale de cette redevance, ce qui passe notamment par une clarification du rôle des sociétés de collectes des droits. Introduire davantage de concurrence entre ces dernières est plutôt une bonne idée mais il faut également qu'elles soient transparentes dans leur mode de rémunération.

Quel bilan tirez-vous des dispositifs de soutien à l'innovation comme le Crédit d'impôt recherche (CIR) et le statut Jeune entreprise innovante (JEI) ?

Ces dispositifs sont satisfaisants pour les PME et rien ne doit changer en ce sens. J'émets toutefois quelques réserves concernant aux grands groupes qui bénéficient du CIR. Je veux dire par là que ces derniers doivent être plus transparents quant à la localisation géographique de leurs chercheurs. C'est un critère d'octroi de crédit qui doit être respecté.

Les business angels français sont dans l'incertitude quant aux éventuels réformes susceptibles d'affecter la loi TEPA. Que leur répondez-vous ?

La loi TEPA continuera de vivre mais il faut revenir à la pureté de ce projet de loi. C'est aux business angels eux-mêmes de trouver les entreprises dans lesquels ils investissent. Un vrai capital-risqueur ne peut pas avoir que des gains et de fait, les business angels qui investissent en réseau pour minimiser leurs risques ne jouent pas le jeu.

Cette logique s'applique-t-elle également aux FCPI ET FIP ?

Dans une certaine mesure, oui. De la même manière, les redevables ISF doivent être capable de trouver les sociétés dans lesquels ils vont investir, comme c'est le cas pour les business angels. Il est en ce sens possible d'envisager une remise à plat de ces dispositifs.

Diplôme de l'IEP de Paris et énarque de formation d'où il sort inspecteur des finances, Philippe Marini enseigne à l'IEP de Paris et à l'UTC de Compiègne entre 1975 et 1978. Il entre aux services financiers du Commissariat à l'énergie atomique en 1979 en en sort dix ans plus tard. Sénateur de l'Oise depuis 1992. Après un passage à l'Arjil , il devient membre de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts entre 2002 et 2008. En 2011, il devient président de la commission des finances du Sénat.