Frédéric Lambert (Passage Piéton) "Le buzz de la chanteuse Victoire Passage a pris parce que nous avons su le piloter en temps réel"

Le cofondateur de l'agence Passage Piéton revient sur la genèse de cette vidéo mettant en scène une chanteuse clamant son soutien à Jean-Luc Mélenchon. Et explique comment en moins d'une semaine, elle a dépassé le million de vues.

JDN. Pouvez-vous nous relater la genèse de l'opération ?

Frédéric Lambert. Nous voulions marquer le coup pour notre 7e anniversaire et nous nous sommes dit que cette campagne présidentielle plutôt morose pouvait être un excellent tremplin. Nous avons donc monté le projet en interne, en nous appuyant sur tous les talents dont nous disposons au sein de l'agence, depuis les planneurs stratégiques jusqu'au réalisateur en passant par les équipes de production. Nous avons ensuite organisé un casting pour recruter la personne qui incarnerait le rôle de Victoire Passage, cette jeune chanteuse "fan" de Jean-Luc Mélenchon. Nous avons ensuite fait appel à Marine Maïwa, chanteuse passée par la Nouvelle Star, émission musicale de M6, pour que celle-ci prête sa voix au personnage.

Vous attendiez vous à de telles retombées ?

Nous étions conscients d'avoir entre nos mains un carton potentiel mais, pour être tout à fait honnête, nous ne nous attendions pas à de pareilles retombées. Bien sûr nous comptions sur le relais de certains médias spécialisés dans le "buzz" mais nous ne pensions pas que les médias plus traditionnels se laisseraient prendre au point que la vidéo s'invite dans la campagne présidentielle. Nous en sommes à ce jour à plus de 800 reprises dans les médias !

Comment expliquez-vous un tel succès ?

Il faut d'abord reconnaître que nous avons profité d'une période un peu creuse dans cette campagne durant laquelle, comme nous l'a avoué un journaliste, les médias n'avaient pas grand-chose à se mettre sous la dent.  C'est pourquoi notre vidéo, qui prête à sourire lorsqu'on la visionne, a d'autant plus détonné.

"Il était important de sortir la vidéo durant l'un des creux de la campagne"

Elle était prête depuis quelque temps mais nous hésitions sur la fenêtre de tir. La sortir dans un contexte aussi dramatique que les tueries de Toulouse ou quelques jours après les meetings des deux principaux candidats, alors que le débat était relancé, ne nous aurait sans doute pas permis d'obtenir de tels résultats. Par ailleurs, je pense que le choix du candidat, Jean-Luc Mélenchon, a été déterminant. Bien moins clivant que Nicolas Sarkozy ou François Hollande, moins lisse que les autres, il était tout indiqué pour "porter" un tel projet. Sa personnalité, véritable vecteur d'émotion, était tout à fait susceptible de créer l'engouement autour d'une telle vidéo.

Quelles sont les recettes d'un bon buzz ?

Le principal enseignement à tirer de cette opération est qu'en apportant un contenu suffisamment viral pour que les internautes s'en emparent d'eux-mêmes, on peut créer un véritable buzz. On n'a pas toujours besoin de disposer de moyens importants ou de lancer une opération particulièrement complexe. La vidéo a été très rapidement publiée en home de Dailymotion et Wat, sans que nous ne fassions autre chose que la soumettre. Nous avons préféré la lancer avec parcimonie plutôt que d'interpeller Jean-Luc Mélenchon de façon maladroite sur sa page Facebook. Les ficelles auraient été trop grosses.

"Sur le digital, il faut mettre en place une équipe qui pilote le buzz en temps réel"

Et puis, si nous avons bénéficié de la dose de chance nécessaire pour que la mayonnaise prenne, nous n'avions rien laissé au hasard non plus. La musique comme le clip étaient suffisamment léchés pour que personne ne crie au "fake". Il a fallu également donner vie à Victoire Passage : créer sa page Facebook, rendre son single disponible sur iTunes et demander à l'une de nos collaboratrices de répondre, en son nom, aux sollicitations téléphoniques. Sur le terrain du digital, le succès d'un buzz est souvent conditionné par la capacité de son instigateur à le piloter en fonction des retombées. Nombre d'agences se contentent de lancer leur opération en grande pompe puis de la laisser vivre, c'est une erreur ! Il faut mettre en place un circuit-décisionnel ultra-court pour pouvoir réagir rapidement. Trois membres de notre agence étaient ainsi chargés de piloter le buzz en temps réel. Preuve que nous n'avons vraiment rien laissé au hasard, nous avons été jusqu'à imaginer plusieurs scénarios en fonction desquels nous adaptions la posture à adopter.

Quelles ont été les retombées ?

Les retombées sont telles que le buzz continue alors même que nous avons révélé la supercherie. Nous en étions à 1 million de vues avant le week-end dernier (14-15 avril), toutes plates-formes confondues, pour une mise en ligne de la vidéo le 10 avril. Nous en sommes à ce jour à 1,5 millions et devrions atteindre les 2 millions d'ici  le milieu de la semaine.

"La dernière étape n'est pas de faire durer le buzz à tout prix mais de réussir à l'associer au nom de l'agence"

Plus important, le nom de l'agence a presque toujours été associé à l'opération, ce qui en termes d'image est essentiel. La décision de révéler la vérité procède à ce titre d'un juste calcul entre les retombées déjà ultra-nombreuses et l'arrivée d'une dépêche AFP révélant que nous étions derrière l'opération. Certaines agences se sont étonnées que nous révélions l'opération une semaine seulement après son lancement mais l'enjeu ne réside pas tant dans la prolongation de la durée du buzz, à tout prix, que dans sa réattribution. Une révélation dans l'entre-deux tours auraient été à ce tire bien moins bénéfique. Il est indéniable que moins de médias auraient fait le lien entre Passage Piéton et la jeune chanteuse qui clamait son soutien à Jean-Luc Mélenchon.

Concrètement, qu'a apporté un tel buzz à votre agence ?

Cette opération nous a bien évidemment mis sous le feu des projecteurs, chose qui, vous vous en doutez, n'est pas pour nous déplaire. Ne serait-ce que pour rappeler que 7 ans après notre lancement, nous restons toujours dans le "jeu". Si nous avons déjà reçu nombre de sollicitations, de l'étranger notamment, nous prenons le temps de les étudier. Par ailleurs, nous sommes très satisfaits des échos que nous avons obtenus au sein du petit milieu de la communication, avec pas mal de félicitations émanant de nos concurrents. Nous espérons que ce genre d'initiative contribuera à la saine émulation qui permet de faire avancer notre métier et montrera que faire de l'événementiel sur le digital est tout à fait possible, en apportant des moments de surprise et en transformant le quotidien online des consommateurs.

Frédéric Lambert a cofondé l'agence Passage piéton en 2005 avec Vincent Quenor après plusieurs expériences dans le monde de la communication et de la publicité. L'agence s'est spécialisée dans l'activation de marques, online et offline, en créant des contenus originaux.