Wassim Chourbaji (Qualcomm) : "Dividende numérique : la décision de la France sera structurante pour l'Europe"

Qualcomm milite pour l'attribution dans le dividende numérique d'une bande de fréquence européenne harmonisée pour les télécoms. A cet égard, la décision attendue fin juillet de la France sera déterminante.

 

Quels sont les enjeux autour du dividende numérique et quel est l'intérêt de Qualcomm dans ce domaine ?

Le dividende numérique est un enjeu majeur pour les nouveaux et futurs usages des télécoms. Les fréquences libérées par le passage de la télévision analogique au numérique sont en effet des fréquences basses, qui offrent une couverture du territoire à moindre coût et qui pénètrent bien dans les bâtiments. Attribuer une partie de ces fréquences aux télécommunications permettrait d'étendre la couverture de l'Internet haut débit mobile et de répondre aux futurs besoins de la société comme la santé mobile, l'éducation, la géolocalisation, ou encore la TV mobile. Des domaines dans lesquels Qualcomm fournit des solutions et des équipements.

Les Etats-Unis ont d'ailleurs fait le choix stratégique d'identifier un dividende numérique de 108 MHz et de mettre aux enchères, avant l'extinction du signal analogique, un dividende de 80 MHz pour les services commerciaux. En 2002, la FCC a mis aux enchères 18 MHz dont 6 MHz ont permis à Qualcomm de lancer un réseau de télévision sur mobile, avec la norme MediaFLO, qui couvre aujourd'hui 130 millions de consommateurs. Les enchères du reste du dividende numérique, 62 MHz, qui se sont déroulées entre janvier et mars 2008, ont rapporté près de 20 milliards de dollars au Trésor américain.

"Le débat sur le dividende numérique est compliqué en Europe car la gestion des fréquences se fait au niveau des Etats membres"

Où en est la situation en Europe ?

En Europe, le débat est plus compliqué car les fréquences sont, et resteront gérées à l'échelle des Etats membres - le Conseil de l'Europe a en effet décidé, contrairement au Parlement Européen, que le dividende numérique sera coordonné par les Etats Membres sans proposition de directive de la part de la Commission. Toutes les instances européennes - Commission, Parlement et Conseil - soutiennent néanmoins la position d'accorder des fréquences dans la bande UHF aux services de télécommunications. Notre vision est que ce sont les Etats Membres qui vont faire avancer le dossier, mais qu'il faut une approche harmonisée européenne, afin de créer un écosystème favorable aux investissements des industriels et des opérateurs.

Quel peut être le cadre d'harmonisation au niveau européen si la Commission ne peut produire de directive sur ce sujet de la gestion des fréquences ?

Même si la gestion du spectre reste sous la responsabilité des Etats membres, la Commission européenne a encore un rôle à jouer dans la coordination des politiques des 27 Etats membres, notamment pour s'assurer que les décisions techniques prises aux niveaux de la CEPT (Conférence européenne des administrations des postes et des télécommunications) et de l'UIT (Union Internationale des Télécommunications) sont mises en œuvre correctement par les États membres.

Justement, la CEPT a adopté en 2007 une décision technico-réglementaire très structurante pour les enjeux des télécommunications sur le dividende numérique : l'harmonisation d'une sous-bande de 72 MHz (790-862 MHz) est faisable dans l'Union européenne. Pour approfondir le sujet, le Radio Spectrum Comity (RSC), qui réunit des représentants des 27 Etats membres, a donné un mandat à la CEPT pour étudier l'optimisation de la gestion des fréquences dans cette bande de 72 MHz. Le rapport doit être publié en mars 2009.

"72 MHz est le minimum du dividende numérique qu'il faut attribuer aux services de télécoms "

A quoi correspond cette bande de 72 MHz ? Est-ce suffisant pour les besoins des services de télécommunications ?

72 MHz, ce sont deux canaux de 30 MHZ (bande montante et bande descendante) et 12 MHz de séparation entre ces deux bandes. Pour déployer un réseau de quatrième génération, c'est-à-dire le très haut débit mobile. Les opérateurs mobiles ont besoin de deux canaux de 20 MHZ pour couvrir l'ensemble d'un territoire, ou a minima de deux canaux de 10 MHz. C'est-à-dire que cette bande de 72 MHz pourra accueillir soit deux, soit trois opérateurs au maximum. Ce qui permet d'offrir un service concurrentiel de très haut débit mobile. 72 MHz est vraiment le minimum qu'il faut attribuer aux services de télécommunications.

C'est la position que devrait développer la CEPT dans son rapport de mars 2009 ?

Oui, mais il ne faut pas attendre l'année prochaine. Les délais de développement de produits compatibles avec les normes de la 4G sont de deux ans, plus une année de test. Si l'on veut des équipements disponibles sur le marché en 2011, année de l'extinction du signal analogique, donc de la libération des fréquences, il faut des décisions sur le dividende numérique au niveau des Etats le plus rapidement possible, dès cette année. C'est pourquoi la décision de la France sur ce sujet est essentielle.

Le Premier ministre français, François Fillon, rendra cet été les arbitrage relatifs au dividende numérique en France. La commission parlementaire du dividende numérique doit d'ailleurs lui rendre son rapport début juillet. En connaissez-vous les tenants ? Les besoins des services de télécommunications ont-ils été pris en compte ?

Les 72 MHz pour les services de télécommunications sont sur la table. En revanche, la possibilité de n'accorder que 56 MHz aurait aussi été étudiée. Or 56 MHz ne permettrait qu'à un seul opérateur mobile de déployer un réseau 4G. Donc pas de concurrence et pas de développement envisageable d'une écosystème pour les industriels. Nous attendons les conclusions du Premier ministre fin juillet. La France, qui exerce depuis le 1er juillet la présidence de l'Union européenne, doit être consciente que sa décision sera structurante pour les débats à venir dans les autres pays sur ce sujet. Je regrette d'ailleurs que le thème du dividende numérique ne soit pas inscrit au programme de la présidence française de l'UE.

Parcours

Wassim Chourbaji est responsable des affaires réglementaires et fréquences de Qualcomm en Europe, Moyen Orient et Afrique du Nord. A ce titre, il est en charge, en particulier, de la stratégie et des activités réglementaires et fréquences de Qualcomm au sein des Etats membres de l'Union Européenne, à Bruxelles, à la CEPT (Conférence Européenne des Postes et Télécommunications) et dans diverses associations d'industriels en Europe (EICTA, BMCO Forum, UMTS Forum, Intellect UK...).  

Avant de rejoindre Qualcomm en 2006, il était responsable du Bureau Fréquences du Groupe France Télécom. Wassim Chourbaji est titulaire d'un diplôme d'ingénieur de l'Ecole Supérieure d'Electricité (Supelec).