Yann le Roux (Integral Ad Science) "Aux Etats-Unis, 14,5% des pubs achetées sur les ad-exchanges sont frauduleuses"

Fraude, concurrence d'Alenty, mobile... Le directeur général de la technologie d'analyse de la qualité du média revient sur le contexte de son arrivée en France et ses ambitions.

JDN. Integral Ad Science n'est pas un acteur très connu en France, pouvez-vous vous présenter ?

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Yann Le Roux, directeur général d'Integral Ad Science en France. © Integral Ad Science

Yann le Roux. Integral Ad Science a démarré en 2008 en tant qu'AdSafe Media, du nom de sa technologie de vérification et protection du contexte de diffusion d'une publicité, la fameuse brand safety. Mais très vite nous avons pris la décision d'étendre cette promesse à l'ensemble du média. D'un côté, s'assurer de la qualité du contenu et de l'inventaire au sein duquel la publicité est diffusée, en procédant à de l'analyse sémantique, en crawlant la page pour la catégoriser ou lui attribuer un score de professionnalisme (selon la fréquence de mise à jour, la proportion image / texte). De l'autre, mesurer la qualité de l'impression publicitaire, en déterminant son exposition publicitaire. Là où les standards de l'IAB estiment qu'une publicité est vue dès lors qu'elle est visible à 50% plus d'une seconde, nous allons plus loin. En établissant que cette visibilité doit s'appliquer à un être humain. Chose qui est loin d'être toujours le cas, tant les robots polluent aujourd'hui le Web. 

Notre société édite donc aujourd'hui une plateforme technologique pour délivrer des analyses sur les indicateurs de visibilité, de brand safety et de fraude des campagnes publicitaires à travers différents canaux (display, programmatique, mobile, vidéo, etc.). Une proposition portée par nos 200 collaborateurs dans le monde : à New-York, Londres, Singapour, Berlin et depuis peu Paris.

On parle beaucoup du problème de visibilité des impressions, moins des fraudes sur des fausses impressions que vous mentionnez en évoquant le cas des robots. Quelle est la réalité de ce second phénomène aujourd'hui ?

Le rapport que nous avons établi pour les Etats-Unis estimait récemment que 14,5% des impressions publicitaires achetées sur les ad-exchanges et les ad-networks étaient frauduleuses. Le phénomène n'épargne d'ailleurs pas les éditeurs en direct, dont 3,3% de l'inventaire était lui aussi concerné par cette fraude selon ce rapport. Les robots deviennent de plus en plus ingénieux, avec des simulations d'activité humaine toujours plus sophistiqués qui les font s'inviter aujourd'hui au sein des éditeurs traditionnels. L'enjeu pour leurs créateurs : alimenter leur crédibilité et les faire tourner ensuite sur leur propre inventaire, pour tirer les CPM vers le haut. 

La fraude aux impressions publicitaires n'est pas l'apanage des robots

La fraude aux impressions publicitaires n'est toutefois pas l'apanage de ces robots et de plus en plus d'éditeurs peu scrupuleux n'hésitent pas non plus à bourrer leur emplacement publicitaire avec de multiples bannières, les unes sur les autres. Il peut ainsi y en avoir une dizaine et, en réalité, une seule qui est vue par l'utilisateur. C'est ce genre de dérives, coûteuses pour les annonceurs comme pour les éditeurs les plus vertueux, que nous tâchons de combattre.

Avec qui travaillez-vous ?

Nos données sont aujourd'hui accessibles au sein de 5 DSP : Appnexus, Mediamath, Turn, Doubleclick Media et The Tradedesk. Ce qui nous permet de travailler avec près de 90% du marché aujourd'hui. Le deal est simple : un montant de quelques centimes d'euros par impression ciblée et filtrée grâce à notre solution. Nous travaillons également avec les éditeurs pour le compte desquels nous procédons à un audit de leur inventaire. Un moyen pour eux de procéder ensuite à des deals privés avec des acheteurs, en leur promettant par exemple une offre "brand safety + visibilité à 80%".


Quelques mois après un rachat d'Alenty par Appnexus qui semble avoir compliqué son utilisation par les non-clients d'Appnexus, vous arrivez dans l'Hexagone. Une coïncidence ?

Nous voulions attaquer la France depuis un petit moment déjà, le timing nous semblait être le bon du point de vue de la maturité du marché. Par ailleurs le partenariat exclusif noué avec Médiamétrie pour jeter les bases d'un GRP vidéo impliquait une présence physique dans l'Hexagone pour en porter le développement.

L'exclusivité d'Alenty aux seuls clients d'Appnexus va faire une bulle d'air sur le marché

Bien sûr, il semble évident que l'évolution d'Alenty, qui à terme ne va pas être disponible en dehors d'Appnexus, va créer un appel d'air. Son intégration à la technologie d'Apnnexus n'est toutefois pour l'instant pas très claire, même si l'on pourrait penser qu'elle sera intégrée par défaut comme l'est le True View à Youtube.


Craignez-vous que vos relations avec Appnexus s'en trouvent compliquées ?

En ce qui concerne nos relations avec Appnexus, une plateforme connue depuis toujours pour son ouverture, elles sont très bonnes. D'autant que nous ne sommes pas un concurrent direct d'Alenty dans la mesure où ce dernier se cantonne aux problématiques de visibilité, là où nous travaillons également sur la brand safety et la fraude. A ce titre là, nous sommes bien plus en frontal avec des acteurs tels qu'Adloox ou Adledge. 


Quels sont aujourd'hui vos premiers clients en France ?

Nous travaillons pour l'instant essentiellement avec des acteurs tels que Microsoft ou HP, avec lesquels nous avons signés des contrats à l'échelle mondiale et dont les sièges poussent aujourd'hui en faveur du déploiement de ce contrat en local. Il est bien sûr encore trop tôt pour vous en dire plus mais nous avons déjà lancé des premières campagnes tests auprès d'acteurs locaux. Le marché est aujourd'hui porté par les acheteurs. Comme ce fut le cas pour la visibilité, on peut penser que les éditeurs qui ne satisferont pas à nos critères et seront donc mis de côté viendront à leur tour nous voir, pour rentrer dans les clous. Le vendeur va là où l'acheteur fonce, c'est l'éternelle dynamique de ce marché.


Le basculement des investissements publicitaires depuis le fixe vers le mobile a-t-il complexifié votre métier ?

Le secteur du mobile n'est pas plus problématique que le secteur du Web fixe. Nos tags mobiles peuvent facilement y être implantés, de même que notre SDK pour les éditeurs qui le veulent. Le mobile présente ses propres défis, mais heureusement nos modèles y sont aussi efficaces. Le mobile n'est pas une exception pour nous quand il s'agit d'investir dans la technologie, nous cherchons à améliorer constamment nos capacités pour rester à la pointe face aux mauvais acteurs.

C'est même plutôt intéressant pour nous, dans la mesure où la concurrence sur ce canal est encore plus rare, de sorte que la demande est encore plus forte côté agence comme côté éditeur. Cela nous est favorable dans un contexte de fragmentation technique et nous permet dans un second temps de prêcher auprès de nos clients l'intérêt d'une solution unique et cohérente. 


Vous êtes partenaire de Médiamétrie pour développer un indice de GRP Vidéo. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Nous avons en effet été sélectionnés par Médiamétrie pour développer et mettre en place le GRP Vidéo dont ils ont déterminé la méthodologie avec tous les acteurs du marché. Il est encore trop tôt pour entrer dans les détails. Une chose est sûre : aujourd'hui les annonceurs mettent une grosse pression pour faire en sorte que seules les impressions visibles soient achetées. Que ce soit sur du display simple ou de la vidéo, ce sera bientôt une logique d'achat étendue à tous. La France est un marché très mûr sur la question de la visibilité, élargissement de cette notion à la qualité du média.

Yann Le Roux est directeur général d'Integral Ad Science en France depuis janvier 2015. Il est co-fondateur du premier trading desk Matiro, racheté en 2013 par le groupe 1000mercis. Il a également vice-président d'Havas Digital en charge des opérations d'Artemis, outil de "campaign analytics" propriétaire du groupe.