Programmatique : les annonceurs français reprennent le contrôle

Programmatique : les annonceurs français reprennent le contrôle

Quasiment la moitié des 20 plus gros annonceurs programmatiques en France ont pris un siège à leur nom au sein d'un DSP. La plupart optent pour un modèle hybride où le trading desk continue d'opérer leurs achats.

Le programmatique a  pris une place incontournable dans le marché display français : plus de 66% des investissements au 1er semestre 2018, selon l'Observatoire de l'epub du SRI. Pas étonnant que les annonceurs s'y plongent de beaucoup plus près. Au point que 9 des 20 plus gros annonceurs programmatiques (classement Adomik pour le mois d'octobre 2018 en France) ont décidé de signer un contrat en direct avec un DSP pour bénéficier d'un siège à leur nom. Une petite révolution alors que la relation avec les plateformes d'achat programmatique était jusque-là réservée aux agences et aux trading desks.

Annonceur Dispose d'un siège DSP à son nom
Orange Oui chez DBM
Peugeot Oui chez DBM
Renault Non
Booking Oui chez DBM
Carrefour Oui chez DBM
Volskwagen Oui chez DBM
Citroen Oui chez DBM
Auchan Oui chez DBM
Sofinco Non
Conforama Non
Ford Non
Air France Oui chez Appnexus
La Poste Non
Se Loger Oui chez Appnexus et bientôt DBM
Amazon Oui chez Amazon
Crédit Agricole Non
Gifi Non
SFR Non
Nissan Non
L'importance prise par le mode d'achat, couplée à la crise de confiance qui affecte l'adtech, ont changé l'ordre des choses. Les enjeux sont nombreux. D'abord, gagner en transparence. Prendre un siège à son nom, c'est ne plus se contenter des reportings hebdomadaires qu'envoie le mandataire. C'est aussi lui éviter toute tentation de ponctionner une marge opaque au passage. Pas un luxe alors que les principales agences médias font l'objet d'une enquête du FBI pour leurs pratiques en la matière. Par ailleurs, ces partenaires ne peuvent pas toujours répondre favorablement aux desideratas de leurs clients. "J'avais demandé à mon agence d'accéder à son interface DSP pour pouvoir regarder de plus près les campagnes médias qu'elle pilotait pour mon compte. Requête refusée, au motif que cela lui était contractuellement interdit. J'aurais apparemment pu avoir accès à des informations concernant d'autres marques clientes", se souvient un annonceur.

Yohann Dupasquier, fondateur de Tradelab, la société qui accompagne Orange, Air France et Carrefour sur ce sujet, avance un autre argument. "Il s'agit également pour l'annonceur de se donner les moyens d'optimiser sa stratégie marketing data driven en interconnectant au mieux les technologies dont il a pris le contrôle." Il pourra, par exemple, s'appuyer sur ses propres données offlines (cartes de fidélité ou autres) pour doper ses investissements médias.

"L'activation de cette donnée 1st party CRM, que peu de groupes confieraient à un tiers, permet de mieux évaluer le prix des cibles que l'on cherche à toucher, analyse Ollivier Monferran, consultant indépendant en stratégie data et digital. Parce que je sais que tel internaute a souscrit à telle offre onéreuse par le passé, je vais être prêt à exploser le plafond de CPM que je m'étais fixé." Les pistes d'optimisation sont nombreuses. Yohann Dupasquier cite également la possibilité de "mettre en place une stratégie créative data driven ou de réconcilier mesure site centric et ad centric."

"Il faut avoir un périmètre d'achat significatif pour rentabiliser l'internalisation"

Bien évidemment, toutes ces velléités ont un coût. La faute aux frais fixes que ponctionnent les DSP. Des frais que les trading desks, qui investissent en fil rouge pour le compte de divers clients, n'ont pas de difficulté à amortir. "Pour l'annonceur, c'est plus compliqué. Il faut avoir un périmètre d'achat significatif pour rentabiliser l'opération", prévient Charlotte Fouquet, COO de la plateforme Zebestof. De fait, hors de notre top 20, rares sont les annonceurs à avoir franchi le cap. Parmi eux, Pernod Ricard, La Redoute, Direct Energie ou encore Oui.SNCF.

Tous les annonceurs qui ont décidé de prendre un siège en direct n'ont pas le même niveau de maturité. L'étude de notre top 20 permet de dégager deux types d'annonceurs. D'abord ceux qui opèrent eux-mêmes leurs achats via une équipe dédiée en interne. Il sont trois dans ce cas de figure : Air France (5 collaborateurs), Seloger, encore accompagné par Gamned le temps de finir la formation de ses medias traders, et Amazon. Mais le Gafa est un cas à part puisqu'il dispose de son propre DSP.

Le succès du modèle hybride

Tous les autres ont opté pour un modèle dit "hybride". A savoir, une contractualisation en direct avec le DSP et une gestion des affaires courantes par le mandataire média. Mais cela reste un vrai changement culturel pour l'entreprise, assure Amin Elmili, head of online media de Carrefour. "On a arrêté de considérer notre prestataire (Tradelab, ndlr) comme un prestataire. On le voit plutôt comme un collaborateur qui nous aide à construire des choses et à gagner." L'annonceur donne les orientations, le partenaire conseille, exécute et remonte les informations.

"Gafa mis à part, les annonceurs ont de vrais soucis pour attirer les traders"

Si les cas d'Air France et Seloger ont fait peu d'émules dans le top 20, c'est sans doute à cause de la difficulté à trouver les bons profils pour constituer son équipe. "Gafa mis à part, les annonceurs ont de vrais soucis d'attractivité de ce côté-là, estime Yohann Dupasquier. La plupart des spécialistes préfèrent rejoindre un trading desk où l'émulation bat son plein plutôt que de se couper de leurs pairs en prenant la tête d'une BU où ils seront souvent seuls."

Le challenge est d'autant plus ardu qu'une fois le profil recruté, il est tout aussi difficile de le fidéliser. Ollivier Monferran résume bien le casse-tête RH. "Quelle perspective d'évolution les annonceurs peuvent-il offrir à un trader média qui est en poste depuis 18 mois ?". Les rares annonceurs à avoir internalisé ont aujourd'hui bien du mal à retenir leurs talents. Et ce fort taux de turnover les oblige parfois même à venir demander assistance à l'agence qui les accompagne pour faire le nombre. "Un trader qui baigne dans l'écosystème, parce qu'il est entouré d'autres spécialistes et ne travaille pas pour un seul client, est souvent mieux au fait des dernières tendances", ajoute Yohann Dupasquier.

Un grand gagnant, Google

Finalement, ce phénomène d'internalisation chez les annonceurs favorise surtout un acteur : Google. La plateforme d'achat programmatique est plébiscitée par notre top 20, exception faite d'Air France. "Pour des annonceurs qui sont pour la plupart déjà équipés de Google Analytics Premium, de l'adserver DCM et qui achètent le search depuis Adwords, le choix de DBM (DoubleClick Bid Manager, ndlr) est une évidence", résume Antoine Saglier, CEO de Zebestof. En optant pour un fullstack Google, ils s'assurent d'avoir une vision multicanale de leurs investissements marketing et une maîtrise de la pression pub exercée sur le search comme le display. "Le DSP de Google est plus cher qu'Appnexus lorsque l'achat est opéré hors de l'environnement Google mais l'annonceur s'y retrouve côté interopérabilité des outils", juge Antoine Saglier. D'autant que c'est un passage obligé pour profiter de la donnée Google qui est également comprise dans le package.

Ce succès est forcément problématique pour les concurrents Appnexus, The Trade Desk ou Mediamath. Alors que les trading desks ont pour habitude de travailler avec deux ou trois DSP, les annonceurs se contentent le plus souvent d'un seul partenaire. Principalement pour les raisons économiques évoquées plus haut... Et cela est peu pénalisant. Car grâce au header bidding, il est aujourd'hui possible avec un même DSP d'accéder à quasiment tout l'inventaire disponible. "Seuls Facebook et Amazon ne sont aujourd'hui pas accessibles via DBM", relève Yohann Dupasquier. Pour le premier, il suffit de passer par la plateforme self-service. Le second impose lui de passer par son propre DSP. Ce qui devrait l'aider à gagner en popularité à mesure que les annonceurs prennent goût à l'offre publicitaire d'Amazon.