Benjamin Grumbach (Re-mind) "Avec un coût de 150 000 euros par an, le DMP reste un sujet de riche"

Convergence TV et Web, essor du programmatique et avenir d'un indépendant dans un marché en concentration... Le dirigeant de l'agence spécialisée dans les problématiques digitales se livre.

JDN. 2014 arrive à son terme. Quel bilan tirez-vous pour cette année ?

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Benjamin Grumbach, coprésident de l'agence Re-mind. © S. de P. Re-mind

Benjamin Grumbach. On observe une convergence toujours plus vive et plus forte autour du sujet de la mutation digitale. L'achat média devient de plus en plus temps réel, même dans les médias traditionnels. Dans le même temps, nos clients se projettent sur du moyen-long terme avec des problématiques de DMP pour gérer la data, investir et optimiser campagnes médias et CRM. Mais l'inflexion reste très hétérogène ! Question de budget bien sûr, un vrai DMP coûte entre 150 et 200 000 euros par an. La problématique reste donc cantonnée aux annonceurs les plus riches. Question de maturité aussi, avec des annonceurs qui restent bloqués sur des indicateurs de performances très limités tels que le last-clic alors que d'autres sont déjà sur des logiques d'attribution proportionnelle. 

Le digital infuse quoi qu'il en soit tous les métiers. On voit des divisions marketing qui cassent les silos et deviennent multi-casquettes. On observe l'invasion programmatique qui envahit tous les pans de l'achat média. Autant de mutations qui ont des répercussions dans notre positionnement. Nous, qui étions initialement une agence média digitale, sommes aujourd'hui une agence média dédiée aux problématiques digitales. L'ambition c'est d'être aussi bon qu'un pure-player search, social, RTB, sur chacun de ces leviers... Il y a aujourd'hui une véritable convergence de tous ces canaux et nos clients ont besoin d'un conseil digital pour mieux les appréhender.

 

Cette convergence a notamment abouti au lancement de votre outil Holimetrix et d'un nouveau mode de mediaplanning TV...

Tout part du constat que lorsque certains de nos clients investissaient en TV, le trafic Web était boosté. D'où l'envie d'investir en R&D pour formaliser un outil capable d'aller plus en profondeur et répondre à ce besoin évident de nos annonceurs : mesurer le drive to web d'un spot TV. HMX TV a ainsi été conçu pour identifier minute par minute l'apport de trafic web de chaque diffusion TV. Le module repère automatiquement chaque passage publicitaire TV d'un annonceur et identifier l'horaire exact de passage, le contexte de diffusion...  tout en mesurant le trafic incrémental généré dans la même plage horaire. Une fois la campagne terminée, l'outil permet ainsi de repérer quelles sont les chaînes, les créneaux horaires ou les emplacements dans le tunnel les plus performants. 

Le projet était osé car un tel outil enlève directement de la performance à Google et affecte donc notre gagne-pain originel. Mais cela rejoint notre volonté de conseiller le client avant toute chose, y compris notre propre intérêt.


Ce parti pris de privilégier le bénéfice client se retrouve également dans votre modèle de rémunération à contre-courant du marché. Pourquoi ?

100% de notre marge brute provient en effet des honoraires clients et ce depuis notre création. C'est le seul moyen d'éviter tout conflit d'intérêt. Prélever une commission sur chaque impression, comme ça se pratique encore souvent, est le meilleur moyen de céder à la tentation de conseiller au client d'investir plus, pour gagner plus, sans que cela soit vraiment pertinent. Dans notre cas, on n'hésitera pas à réduire la voilure sur un canal s'il s'avère que celui perd de son efficacité. Membres de l'UDECAM, nous sommes souvent sollicités sur le sujet  et aimerions vraiment que d'autres prennent ce tournant. 


Vous faites allusion aux trading desks ?

Eux et d'autres. A chaque innovation majeure, des experts se créent qui préemptent le sujet, margent confortablement, avant que les choses reviennent à l'ordre. L'essor du programmatique et du RTB n'échappe pas à la règle et charrie son lot d'opacité. Il me rappelle en cela les pratiques de certaines agences spécialisées en SEA, avant que Google ne tape du poing sur la table et impose la transparence.  

 

2014 a consacré la montée en puissance de "deals privés" contraires à l'esprit originel du RTB et son marché régulé par l'offre et la demande. Que vous inspire la pratique ?

Je pense qu'il est un peu tôt pour émettre un jugement tranché sur le sujet. Je ne veux pas voir le deal privé comme une hérésie dans la mesure où ça peut avoir du sens pour certaines marques qui font beaucoup de volumes sur certaines places de marchés. Elles peuvent ainsi négocier des prix planchers standards. Mais effectivement s'il s'agit juste de créer une espèce de régie éphémère entre l'éditeur et l'agence, et casser le rapport offre-demande, la pratique pose question.

Et puis, tout le monde parle de programmatique... Encore faut-il s'accorder sur la définition du programmatique. Où est-ce que vous mettez le Google Display Network ? Beaucoup le mettent dans le SEA, par exemple. Dans les faits, j'ai du mal à croire que les agences puissent réaliser plus de 15% de leur achats sur du programmatique. On reste quand même sur de la diffusion de bannière standard, de la bannière qui ne clique pas des masses. Bien sûr, cela s'améliore. Et il devient de plus en plus pertinent pour les marques d'instiller du programmatique dans le branding plutôt que de lâcher un million d'euros sur le Figaro (avec un taux de couverture sur cible de 40% par exemple). Dans ce cas, mieux vaut aller chercher les premières impressions de beaucoup de sites spécialisés sur sa cible via de la segmentation d'audience... 


Quel rôle pour la data dans cette perspective ?

Aujourd'hui, personne n'achète de la data tierce en tant que telle. Les cookies "intentionnistes voyage" que va vous vendre un tiers manquent très souvent de fraîcheur, datant de plus de trois mois. Autant dire que les profils en question sont déjà partis ou en train de voyager. La récence est un des points clés de l'achat de data tierce.

De ce point de vue là, Amazon et Facebook qui se positionnent désormais comme des DSP en extension d'audience (publishers trading desks) me semblent avoir une vraie longueur d'avance. Nous avons déjà testé l'offre d'Amazon par exemple, "Amazon Ad Platform", qui réussit à proposer des clusters d'audience très précieux et parfois même surprenants. Nos campagnes Playstation fonctionnaient par exemple très bien auprès des acheteurs de capsules Nespresso...

 

Vous êtes un des derniers gros indépendants dans un marché en concentration. Jusqu'à quand ?

Notre modèle nous permet nous de mettre le conseil et la productivité du client au dessus de tout. Notre vision se porte sur les 5 années à venir, le long terme, alors qu'un grand groupe, soumis à la pression de ses actionnaires, doit s'attacher à être rentable dans les 3 mois qui viennent, pour préserver son cours de bourse.

Notre modèle nous a permis de miser très tôt sur des acteurs comme Winamax ou encore FamiHero.com, un site de services du quotidien financé par Jaïna Capital. Au tout début, nous pilotions leur stratégie AdWords pour un budget de 1 000 euros et nous ne dégagions aucune marge ! Aujourd'hui, nous avons un taux de fidélité de 100%. Alors pourquoi changer ?

 

Benjamin Grumbach a rejoint l'agence Re-mind en 2012 pour y occuper la fonction de coprésident. L'agence fondée en 2007 comptait alors 19 collaborateurs. Elle en compte aujourd'hui 45 et continue de croître à son rythme, avec de plus en plus d'appels entrants et des gains de marques telles qu'Axa France. Elle opère sur l'ensemble des leviers digitaux : le search qui représente 40% de son CA, la pub sur les réseaux sociaux, le branding, les OPS...