Frédéric Lambert et Vincent Quenor (Passage Piéton) "Les agences manquent de culot et d'audace"

Les patrons de l'agence de conseil en communication font le point sur leur activité florissante et leurs nombreux projets. Ils critiquent aussi ouvertement la création sur Internet et les effets de mode du marché.

Comment se positionne Passage Piéton sur le marché de la communication et quelles sont vos ambitions ?

Frédéric Lambert et Vincent Quenor. Nous avons enregistré un chiffre d'affaires de 1,7 million d'euros en 2009, en hausse de 15 % par rapport à 2008. Notre ambition pour 2010 est d'obtenir une croissance de 50 %, soit au minimum 2,5 millions d'euros de chiffre d'affaires. Les projets pour lesquels nous sommes sollicités sont en effet de plus en plus ambitieux et nous intervenons de plus en plus en amont des opérations. Il est cependant difficile de segmenter précisément nos revenus en fonction de nos activités car nous sommes sollicités simultanément sur Internet et l'événementiel. Aujourd'hui, la vraie vie et le virtuel se mélangent. Les opérations événementielles sont souvent précédées d'une phase de recrutement sur le Web et relayées sur les plates-formes de partage vidéo. Mais le Web est tout de même plus important, représentant approximativement 60 % de notre activité.

"L'appellation magique de marketing à la performance n'est pas si efficace qu'elle le prétend"

Comment évolue votre organisation ?

Depuis sa création en 2005, Passage Piéton est positionnée sur la création de contenu de marque, un contenu original qui peut être dupliqué sur tous les points de contact et activé par du média. Mais nous sommes avant tout une agence conseil. Chacun de nos collaborateurs a un rôle de chef de projet, créant sa propre équipe d'une vingtaine de prestataires et freelance selon les besoins. Nous sommes actuellement quatorze dans l'agence et ne souhaitons pas vraiment nous agrandir, bien que notre logique soit d'avoir une équipe plus senior. D'ailleurs nous allons embaucher une directrice générale pour l'agence, l'annonce sera officialisée en septembre prochain. Son rôle consistera à développer et structurer notre activité pour accompagner nos clients grands comptes.

"Les grands groupes ne prennent pas de risques et proposent toujours les mêmes plans aux annonceurs"

Comment jugez-vous la création sur Internet ?

Nous sommes assez critiques. Les agences n'ont pas de culot. Elles réfléchissent toujours à partir des outils et ne placent pas assez l'idée au centre. On n'en peut plus d'être agressés par des bannières intrusives. On ne peut pas vendre du display au kilo comme on ne peut pas décliner le modèle du spot TV sur le Web. Les gens sont noyés de communications, il y a trop de médias et l'on est saturé comme on l'était offline il y a cinq ans. De fait, les trois quarts des agences de publicité et de médias sont tenues par des commerciaux et des financiers qui visent la rentabilité financière, cherchent la marge brute. Mais où est l'idée ? Les grands groupes, dont nous sommes d'ailleurs issus, ne prennent pas de risque et proposent toujours les mêmes plans aux annonceurs qui en ont marre. Arrêtons d'industrialiser les concepts ! Tout le monde s'engouffre sur Facebook. Et après, que devra-t-on inventer ? Au contraire, il faut créer des opérations spéciales, avec du contenu différent, et placer le consommateur au cœur du dispositif.

Quid de l'iPhone ou de l'iPad ?

Aujourd'hui tout le monde parle de l'iPad mais c'est un flop, à Paris en tout cas. Il manque d'innovation technique, pas culturelle. C'est une sorte d'iPod Touch géant à qui il manque des options, comme le port USB par exemple. Ce n'est pas complet. Idem pour les applications iPhone. C'est bien pour faire joli, mais rares sont celles qui sont téléchargées un million de fois. Bien sûr, le potentiel de développement est fabuleux, surtout avec la géolocalisation, mais on n'y est pas encore. L'iPhone représente majoritairement une cible urbaine et surtout parisienne. Concerne-t-il vraiment les annonceurs dont les clients sont en région... Cependant, il serait suicidaire pour nous de ne pas l'intégrer dans nos réflexions dès maintenant, notamment pour son apport en matière de mobilité.

"Nous développons pour septembre un pôle dédié aux start-up e-commerçantes"

Pour qui travaillez-vous ? Quels sont les derniers budgets que l'agence a gagnés ?

Passage Piéton travaille pour une dizaine de marques en même temps, telles que Procter&Gamble, Vivarte ou Paramount. Nous venons de signer avec Autogrill, pour l'accompagner sur l'ensemble de sa communication et de sa stratégie média, à l'année. C'est nouveau pour nous. Si auparavant nous fidélisions nos clients par projets, ils nous demandent dorénavant de faire la jonction, de ne plus uniquement intervenir sur des campagnes événementielles mais d'assurer leur approche consommateur au jour le jour, dans une démarche plus cohérente et continue. Nous venons aussi de gagner le budget de Spartoo.com pour qui nous allons décliner de manière pérenne le concept de "shoes dating" en Europe.

Estimez-vous que l'on soit sorti de la crise ?

L'année 2009 à été difficile. Une foule de projets ont été annulés, certains patrons d'entreprise ayant été licenciés. Sans parler du manque de visibilité. Mais aujourd'hui, le marché reprend progressivement. Passage Piéton a signé des clients à l'année pour 2011 et reçoit davantage d'appels entrants. De nouvelles marques du CAC 40 prennent contact avec nous.

Ceci dit, nous n'allons pas revenir au même stade qu'avant la crise. On observe en particulier une digitalisation des budgets. Les annonceurs qui ont fait confiance à des agences comme la nôtre ont adopté une nouvelle approche, plus ROIste. Ils se rendent compte que l'appellation magique "marketing à la performance" n'est pas si efficace qu'elle le prétend. Les clients ressentent moins de pression aujourd'hui car leur poste même est moins en danger. Ils adoptent donc une vision moins courtermiste. En outre, avant la crise il fallait tenter toutes les innovations possibles, comme Second Life par exemple. Maintenant, il faut savoir avant de se lancer ce que cela donne en matière de résultats.

En tant qu'indépendant, avez-vous reçu des offres de rachat, durant cette période ?

Oui, nous en avons reçu un bon nombre. Mais nous souhaitons rester indépendant car personne ne nous a pour le moment proposé de projet entrepreneurial pertinent. Les grands groupes veulent seulement gober notre marge brute pour arriver à réaliser leurs objectifs de résultats.

Quels sont vos prochains projets ?

Tout d'abord nous développons un pôle dédié aux start-up e-commerçantes qui n'osent pas forcément pousser la porte des grosses agences et pour lesquelles nous gérerons toute la plate-forme de communication. Ce pôle sera officiellement lancé en septembre et répond à la multiplication de ces acteurs dont peu se détachent réellement sur la Toile.

Ensuite, toujours à la rentrée, nous allons lancer la V2 de la campagne pour Pringles Extrême. Le premier volet, avec Mickael Vendetta, a été un gros succès d'autant qu'il a été diffusé en même temps que l'émission "La ferme des célébrités en Afrique". Pour la seconde vague de la campagne, nous allons faire appel à une nouvelle célébrité, qui n'a jamais travaillé pour une marque et dont le nom compte cinq millions d'occurrences sur Google. L'opération très digitale reposera sur une série de défis à réaliser par les internautes qui seront filmés par notre célébrité.

La rentrée sera aussi l'occasion de lancer des opérations pour Viks, Duracell, Clear Blue, Pampers et Pantène, avec une opération très chantante et 100 % digitale pour ce dernier.