Greg Coleman (Criteo) "Les éditeurs qui se refuseront à faire du RTB se priveront d'un levier de croissance significatif"

A l'occasion du salon Dmexco qui réunissait les principaux acteurs du digital à travers le monde, le président américain de Criteo est revenu sur ses projets et sur les dernières tendances du display.

Journal du Net. En France, où Criteo reste étroitement associé au nom de Jean-Baptiste Rudelle, on ne vous connaît pas forcément très bien. Pouvez-vous vous présenter ?

Greg Coleman. J'ai rejoint Criteo il y a près d'un an et demi après avoir successivement été vice-président en charge des ventes mondiales de Yahoo et directeur des recettes du Huffington Post. Cette décision avait à l'époque un peu surpris mon entourage, Criteo ne disposant pas sur le marché américain de la notoriété que la start-up avait acquise en Europe, en dépit d'une technologie déjà fiable et opérationnelle. Pourtant, ayant eu la chance de faire partie du comité consultatif de la société, j'avais pu me rendre compte du formidable potentiel dont elle disposait et, après avoir beaucoup discuté du projet avec Jean-Baptiste Rudelle, son PDG, et Pascal Gauthier, le COO, nous en sommes venus à la conclusion que mon expérience et mes relations pouvait aider la société à s'implanter durablement sur le marché américain. Et c'est aujourd'hui mission accomplie car, même si Criteo peut et doit continuer à grandir, les Etats-Unis sont notre premier marché. J'ajouterai que nous y sommes bénéficiaires. De telle sorte que, même si je vais encore consacrer une part substantielle de mon temps à poursuivre notre développement outre-Atlantique, je me tourne également vers d'autres marchés tels que la Chine et le Japon.

Le Japon où vous venez de conclure un partenariat avec Yahoo...

Tout à fait, cet accord est une étape cruciale dans le développement de Criteo car nous devenons le premier acteur tiers à pouvoir monétiser les milliards d'impressions mensuelles qui constituent l'inventaire de Yahoo Japan. Pour l'anecdote, nous avions discuté de cette éventualité avec eux il y a quelque temps mais nous avions finalement reçu une fin de non-recevoir. C'est la nouvelle équipe en place qui a pris l'initiative de nous recontacter pour nous déclarer leur volonté de tirer profit de la croissance du display à la performance en s'appuyant sur notre technologie. Une belle victoire !

Outre le Japon, nous nous apprêtons à nous implanter en Chine, marché pour lequel nous cherchons actuellement un manager initié aux spécificités locales et disposant du carnet d'adresses qui nous permettra de nous étendre rapidement et efficacement. Ce recrutement devrait intervenir avant la fin du quatrième trimestre.

Envisagez-vous également de vous allier à un acteur local ?

Pas nécessairement. Au contraire du Japon où Yahoo a une emprise très importante sur l'Internet, le marché chinois est fragmenté entre plusieurs acteurs, de sorte qu'une alliance telle que celle passée avec Yahoo Japan est moins évidente. La priorité est pour l'instant de trouver celle ou celui qui pourra piloter le développement de Criteo en Chine. Ce n'est qu'ensuite que nous envisagerons les modalités de notre implantation.

Comment vous répartissez-vous les tâches avec Jean-Baptiste Rudelle, le PDG ?

Mon réseau et mes contacts me permettent d'être l'ambassadeur de Criteo dans le monde alors que Jean-Baptiste se consacre essentiellement à l'aspect financier de notre développement. A mesure que nous mettrons l'accent sur notre expansion internationale, je serai amené à multiplier les rencontres avec les différents acteurs locaux. Parallèlement à cela, nous continuerons à réfléchir avec Jean-Baptiste et le reste de l'équipe dirigeante aux orientations stratégiques les plus importantes. Sans oublier de continuer à communiquer continuellement auprès des éditeurs, annonceurs et... marchés financiers, dans l'éventualité où nous déciderions d'entamer une introduction en Bourse.

Le real-time-bidding était sans conteste l'un des "buzzwords" de ce salon Dmexco. En quoi Criteo surfe-t-il sur cette révolution ?

Il est incontestable que le real-time-bidding se répand comme une traînée de poudre. De plus en plus d'éditeurs lancent leur propre ad-exchange ou décident de mettre en commun leurs ressources pour s'y mettre. La technologie que nous avons développée au fil des années nous permet aujourd'hui d'être très performants en matière d'optimisation d'une stratégie d'achat d'espaces. Toutefois, avec la prolifération du nombre d'acteurs, cet avantage compétitif ne suffit aujourd'hui plus. C'est pourquoi nous considérons que notre principal atout est désormais notre réseau de 5 000 éditeurs auprès desquels nous achetons en direct, un procédé que nous appelons "Real-time-audience". Notre business model, l'achat au CPM (coût pour mille) et la revente au CPC (coût par clic), permet ensuite à tout le monde de sortir gagnant : l'éditeur, qui préserve la valeur de son inventaire, et l'annonceur qui, en ne payant que pour les impressions cliquées, optimise son ROI publicitaire.

La peur de voir la valeur de leur inventaire tirée vers le bas avec les ad-exchanges semble pourtant être l'une des principales préoccupations des éditeurs ?

Il faut avoir bien conscience que, quel qu'il soit, le changement a toujours effrayé. En ce qui concerne cette peur d'une destruction de valeur, je pense que les éditeurs auraient tort de s'arc-bouter dans un tel schéma de pensée. Dans 10 ans, ils auront toujours autant besoin de leurs forces vives pour monétiser leurs espaces premiums via des opérations spéciales ou des dispositifs originaux. L'essor du RTB ne va pas se faire aux dépens de la régie publicitaire classique. Et les éditeurs qui s'y refuseront, de peur qu'il ne vienne cannibaliser leur source de revenu traditionnelle, se priveront d'un énorme levier de croissance. Précisément parce qu'il n'y a pas de cannibalisation ! Le RTB s'inscrit en complément, en permettant une commercialisation plus simple et rapide des invendus.

J'en veux pour preuve mon expérience au sein du Huffington Post où notre ad-exchange opéré par Pubmatic nous a permis de tirer parti de tous les espaces qu'en dépit de ses efforts, notre équipe commerciale n'avait pas réussi à vendre. Malheureusement la notion d'invendu est un terme qui est encore tabou chez nombre d'éditeurs....

Autre sujet qui est beaucoup revenu pendant le salon Dmexco, l'exploitation de la big data. Que va-t-elle apporter aux acteurs du marché ?

L'apport de la big data pourrait en effet être considérable dans l'essor du marketing à la performance. Les marketers recherchent le meilleur ROI possible et c'est là la valeur ajoutée de la big data, avec la combinaison des informations fournies par l'éditeur et l'annonceur, qui permettra sans doute d'améliorer la performance des campagnes. Mais si la promesse est belle et bien là, j'estime qu'il est encore trop tôt pour savoir ce qu'il en sera vraiment. Regardez ces entreprises qui, désireuses de surfer sur le mouvement, ont décidé de vendre leur data quitte à perdre un avantage concurrentiel majeur sur leur marché.

L'essentiel reste pour moi de tester tout ce qui peut l'être. Chacun des acteurs du marché devrait être encouragé à essayer des centaines de choses chaque année. C'est à ce prix qu'un modèle adapté à chaque entreprise pourra se dessiner.

Criteo est une entreprise qui ne cesse d'innover, quels sont vos objectifs en la matière ?

La principale question qui se pose aujourd'hui est de savoir si l'on peut créer un modèle de CPC à la performance sur le haut du tunnel de conversion, tout en préservant le bas de ce tunnel où nous sommes déjà efficaces. Nous serions alors capables d'aller voir un annonceur pour lui proposer de gérer tout son budget display.

C'est l'une des pistes de réflexion sur laquelle planchent aujourd'hui notre équipe de recherche et notre équipe managériale, en partenariat avec certains annonceurs. Nous tâtonnerons sans doute mais nous y arriverons. Et dans cette optique, j'ai plus besoin de la matière grise des annonceurs qui travaillent avec nous que de leur argent. Tout ce que je peux vous dire pour le moment est que nous commençons à percevoir certains "signaux", des signaux à partir desquels nous allons structurer notre nouvelle offre de produits. Vous en saurez certainement plus en début d'année prochaine.

Greg Coleman a occupé différents postes de direction dans plusieurs sociétés technologiques. Il a été président et directeur financier au Huffington Post et vice-président Monde des ventes chez Yahoo. Il a également occupé le poste de président de plateform-A chez AOL de février à avril 2009. Greg Coleman a été vice-président senior de Reader's Digest Association et président de U.S. Magazine Publishing. Auparavant chez CBS, Inc., il a passé 10 ans à diriger les initiatives de publicité pour Woman's Day comme vice-président et directeur des ventes nationales. Greg Coleman est titulaire d'un diplôme d'Administration des Affaires de l'Université de Georgetown et a suivi un programme de MBA à l'Université de New York.