Bonnes feuilles : "La deuxième vie des réseaux" Pour que l'investisseur investisse

"Pourtant, il ne suffit pas nécessairement que les solutions technologiques soient disponibles pour que nous entrions enfin au cœur de la deuxième vie des réseaux. Dans un contexte où le monde des télécommunications est globalement libéralisé, les conditions économiques, financières et réglementaires doivent être réunies afin que les acteurs en présence puissent investir dans les nouveaux réseaux.

"Les opérateurs de réseaux doivent trouver de nouvelles sources de revenus afin de pouvoir espérer un retour sur investissement à la hauteur des montants investis et des risques encourus"

Tout d'abord, d'un point de vue microéconomique, les paradigmes qui dominaient jusqu'ici, en particulier avec le développement de l'Internet et des services associés, ne peuvent plus aujourd'hui prévaloir. Alors que les réseaux de cuivre accueillant l'abondance de services et de contenus (quasi) gratuits de l'Internet sont globalement amortis (même si leur maintenance reste coûteuse), les réseaux de fibre constituent de nouveaux réseaux d'accès à construire de toutes pièces. Les opérateurs de réseaux doivent ainsi progressivement trouver de nouvelles sources de revenus afin de pouvoir espérer un retour sur investissement à la hauteur des montants investis et des risques encourus. (...)

Une fois encore, il paraît évident que le financement des infrastructures ne peut pas être supporté intégralement et directement par les utilisateurs dans la phase de construction. En revanche, la tentation peut être grande de la part des opérateurs de réseaux (c'est surtout le cas en Amérique du Nord) de remettre en cause ce que l'on appelle la "neutralité de l'Internet" (Network Neutrality). (...)

Cependant, une partie importante de la solution pour que les opérateurs puissent espérer un retour sur investissement suffisant dans la deuxième vie des réseaux est sans doute à rechercher ailleurs.

"Les opérateurs ne doivent pas se replier sur eux-mêmes en se cantonnant à vendre des tuyaux, mais se vivre comme de véritables amplificateurs d'audience"

Les opérateurs doivent aller eux-mêmes "capter" la valeur là où elle se crée pour pouvoir assumer leurs coûts et leurs investissements. Tandis que, jusqu'à présent, la "course" aux revenus publicitaires était restée l'apanage des acteurs de services Internet traditionnels (comme Google et Yahoo), les opérateurs ont désormais vocation à investir eux-mêmes ces nouveaux territoires. Plus globalement, il est naturel que ceux qui déploient les réseaux participent aussi à la richesse des services qui les empruntent afin de retirer pleinement les dividendes de leurs investissements. Les opérateurs de réseaux doivent marcher "sur leurs deux jambes" : d'une part, les réseaux et les services d'accès aux réseaux et, d'autre part, la production de services pertinents fonctionnant sur ces réseaux. Ils ne doivent pas se replier sur eux-mêmes en se cantonnant à "vendre des tuyaux", mais se vivre comme de véritables "amplificateurs d'audience", bénéficiant des revenus publicitaires correspondants. C'est une condition nécessaire pour qu'ils puissent amortir demain leurs réseaux, leur permettant d'investir dès aujourd'hui.

Mais la question des nouvelles sources de revenus sur les réseaux n'est pas l'unique condition sous-jacente aux décisions d'investissement par les opérateurs. Les questions liées au cadre réglementaire sont également déterminantes. De ce point de vue, trois grands enjeux apparaissent.

Premièrement, un investissement aussi colossal que celui d'un réseau d'accès en fibre optique ne peut être engagé que si les règles du jeu entre les acteurs sont stabilisées. Deuxièmement, contrairement aux épisodes précédents de déploiement ou d'adaptation des réseaux d'accès (celui notamment de l'accès à Internet et du "dégroupage" des paires de cuivre), les opérateurs historiques et les opérateurs alternatifs sont aujourd'hui sur un pied d'égalité face à l'investissement dans la fibre optique, ce qui plaide pour une régulation plus symétrique. Troisièmement, et de façon plus générale, la modification profonde de la chaîne de valeur des télécommunications avec l'entrée de nouveaux acteurs - services, contenus - plaide plus que jamais pour une régulation dynamique et adaptative, en phase avec cette nouvelle donne."

"Le Village numérique mondial, la deuxième vie des réseaux", de Didier Lombard © Odile Jacob