Paulin Dementhon (Drivy) "En nous alliant à Getaround, nous créons le leader mondial de l'autopartage"

Le PDG et fondateur de Drivy explique au JDN pourquoi il a accepté de céder son entreprise à l'Américain Getaround pour 300 millions de dollars et précise sa stratégie de développement en Europe.

​ ​Paulin Dementhon est le fondateur et PDG de Drivy © Drivy

JDN. La start-up américaine d'autopartage Getaround a fait l'acquisition de Drivy pour 300 millions de dollars. Que vont devenir l'entreprise que vous avez fondée et la marque Drivy ?

Paulin Dementhon. Drivy devient une filiale à 100% de Getaround. Tous les anciens actionnaires (fondateurs, investisseurs, employés)  ont reçu du cash ainsi que des actions Getaround. Nous allons passer à une seule marque au niveau mondial qui sera Getaround. La marque Drivy disparaîtra donc progressivement dans les prochains mois. Ce sera une phase compliquée mais nous pensons que cela en vaudra la peine à long terme. Notre activité est essentiellement composée de clients fidèles. Ils ouvriront l'application un jour et elle aura changé, ils s'y habitueront.

Resterez-vous dans le nouvel ensemble ou prévoyez-vous un départ à moyen terme après avoir accompagné cette transition ?

Je deviens PDG de la filiale européenne de Getaround et je reste aussi motivé que jamais. Je me projette sans limite de temps.

Quelles synergies comptez-vous développer avec Getaround ?

Les synergies sont énormes car nous faisons la même chose depuis dix ans. Nous n'avons aucun points communs géographiques : nous sommes 100% européens, ils sont 100% américains. Mais nous avons des tailles assez similaires qui vont nous permettre de devenir sans ambiguïté le leader mondial de l'autopartage. Les équipes vont se complémenter. Nous allons entamer une phase d'intégration qui vise à faire en sorte qu'au lieu d'avoir deux équipes de chaque côté qui font la même chose, elles se partagent les tâches pour pouvoir en faire davantage. Dans le même temps, nous allons recruter : notre équipe européenne de 130 personnes va croître de 50% d'ici la fin de l'année. Aucun licenciement n'est prévu en Europe du fait d'économies d'échelle.

Pourquoi ne pas avoir choisi un groupe avec lequel vous auriez pu développer des complémentarités de service, comme Uber ou BlaBlaCar ?

Nous voyons plutôt ces entreprises comme partenaires potentiels. Nous avons les mêmes clients avec des usages différents. En fonction de l'endroit où il se rend, le même parisien qui n'a pas de voiture aura besoin d'un véhicule en autopartage, d'un VTC, d'une trottinette ou d'un covoiturage. Il y aura des jeux de partenariats et d'API avec les autres grandes applications de mobilité afin de combiner l'offre.

Le soutien financier de Getaround vous permettra-t-il de poursuivre votre expansion européenne, pour l'instant stoppée à six pays (France, Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, Belgique et Autriche) ?

Oui, mais notre objectif pour les mois qui viennent est d'abord de nous concentrer sur les grandes villes dans lesquelles nous sommes déjà présents. Nous voulons densifier notre offre Drivy Open, qui permet de louer une voiture sans intervention humaine grâce des véhicules équipés de boîtiers connectés, avec les flottes de professionnels de la location. Plus notre réseau est dense, plus il y a de véhicules disponibles et plus les utilisateurs sont sûrs de trouver une location. L'important pour nous est que l'autopartage devienne un service hyper fiable afin de suivre le même trajet face aux loueurs traditionnels que les VTC avec les taxis. Une fois que nous aurons effectué ce travail dans les grandes villes où nous opérons, nous pourrons continuer notre expansion en Europe.

Drivy pouvait-il rester indépendant alors que vos concurrents en France sont passés dans l'escarcelle de grands groupes (OuiCar avec la SNCF, Travelcar chez PSA) ?

Nous avions beaucoup d'options et aurions pu rester indépendants plus longtemps. Mais la mobilité devient un jeu de géants. C'est la révolution tech la plus certaine. Tout le monde s'accorde à dire que le marché va connaître des changements phénoménaux. On assiste à des investissements colossaux dans le secteur, avec les entrées en Bourse de Lyft et prochainement d'Uber, mais aussi de la part des constructeurs et d'autres grands groupes. Il faut donc grandir pour être présent sur plusieurs continents et avoir des équipes de plusieurs milliers de personnes, afin de devenir l'une des quatre ou cinq applications qui seront utilisées par des milliards de personnes pour se déplacer. Atteindre une certaine taille critique ouvre aussi  les portes de partenariats avec les grandes flottes des constructeurs auto. Par ailleurs, la présence de Softbank au capital de Getaround avec son fonds d'investissement de 100 milliards de dollars, très porté sur les mobilités, crée des possibilités de partenariats avec d'autres entreprises de son portefeuille, comme Uber.

Devenait-il difficile de continuer à lever des fonds après la valorisation atteinte lors de votre dernier tour de table de 31 millions d'euros ?

Pas du tout. Nous aurions pu faire un nouveau tour de table. Les investisseurs regardent la performance d'une entreprise et ses perspectives de croissance. Si elles sont bonnes, ils remettent au pot. La vraie difficulté pour nous est que le marché européen fragmenté en différents pays, langues et réglementations, est beaucoup plus dur à conquérir que le marché américain. Mais je ne vois pas de problème du côté de l'investissement.

Tout comme Drivy, Getaround n'est pas rentable et a dépensé sa dernière levée de fonds de 300 millions de dollars dans votre acquisition. N'est-il pas risqué d'avoir une maison-mère aux finances aussi incertaines ?

Getaround n'a pas dépensé la totalité de sa levée puisqu'une partie de notre rachat s'est faite en actions. Je suis extrêmement confiant sur l'avenir et les finances de notre entreprise conjointe, car nous avons créé un leader mondial, ce qui favorisera notre capacité à lever de nouveaux fonds.