Jean-Pascal Tricoire (Schneider Electric) "L'IoT représente aujourd'hui 45% de notre chiffre d'affaires"

Le spécialiste tricolore de la distribution d'électricité, de la gestion de l'énergie et des automatismes a plongé la tête la première dans le monde de l'Internet des objets. Entretien avec son PDG.

JDN. Quelle part de votre business représente aujourd'hui l'Internet des objets ?

Jean-Pascal Tricoire, PDG de Schneider Electric. © Schneider Electric

Jean-Pascal Tricoire. L'IoT pèse aujourd'hui 45% du chiffre d'affaires de Schneider Electric. Il y a 12 ans, c'était moins de 10%. Et cette activité va encore gagner en importance dans les années à venir pour notre groupe.

Nous vendons à nos clients des objets connectés et des capteurs intelligents, mais aussi du software : les plateformes de contrôle de ces appareils, le traitement des données qu'ils émettent et les applications dédiées qui aident nos clients à prendre de bonnes décisions. L'IoT produit énormément d'informations qui sont inutiles en tant que telles. Nos clients ne veulent pas de ce big data. Ils veulent du smart data, des informations pertinentes qui créent de véritables bénéfices métiers.

Quels sont vos principaux segments de marché ?

Nous vendons nos produits principalement dans quatre secteurs : le bâtiment, l'informatique (les data centers, ndlr), l'industrie et l'infrastructure. Les deux premières tranches représentent 50% de notre chiffre d'affaires dans l'Internet des objets et les deux secondes les 50% restants. Nous avons créé pour chaque portion de marché une version dédiée de notre architecture IoT globale baptisée EcoStruxure.

C'est l'aboutissement de dix années de travail. Les premières machines connectées chez les industriels ne pouvaient être pilotées que de manière indépendante, appareil par appareil. Aujourd'hui, elles peuvent être gérées ensemble et en temps réel depuis le cloud, mais aussi directement sur le site de production par l'opérateur humain qui est sur le terrain.

"Notre architecture IoT peut permettre à une société de réaliser entre 5 et 10% d'économies d'énergie"

Concrètement, à quoi sert cette architecture IoT ?

Nous avons attaqué le marché de l'Internet des objets par le volet de l'efficacité énergétique. Par exemple, nos clients installent dans leurs bureaux des détecteurs de présence reliés à un système de gestion de l'énergie. Lorsqu'une personne n'est pas à son poste le mercredi après-midi parce qu'elle travaille aux quatre cinquièmes, le système coupe automatiquement les lumières, le chauffage et la climatisation de la pièce. A l'échelle d'un bâtiment, cela peut permettre à une société de réaliser entre 5 et 10% d'économies d'énergie.

Mais nos objets connectés et nos solutions de traitement des données permettent aussi d'améliorer la performance opérationnelle globale d'une entreprise. Grâce aux capteurs de présence, les salariés peuvent savoir où sont les places de parking disponibles lorsqu'ils arrivent au bureau le matin. Ils n'ont qu'à regarder leur smartphone pour trouver la salle de réunion vacante la plus proche… Nous nous développons sur de nouvelles lignes de business.

Vous êtes à l'origine une entreprise industrielle. Comment avez-vous développé cette partie service de votre activité ?

Schneider Electric était une société d'ingénieurs, qui ne réfléchissaient pas assez à l'adoption de leurs produits par les utilisateurs. Nous avons donc embauché de nombreux professionnels du développement logiciel et formé des salariés en interne. Sur les 11 000 personnes dans la R&D du groupe, 5 000 sont spécialisées dans le software. Nous avons aussi beaucoup misé sur le développement d'applications métiers pour nos clients.

Pour réussir ce basculement, Schneider Electric a également effectué des rachats. Nous avons acquis une vingtaine d'entreprises, souvent de petite taille, par an jusqu'en 2013, où nous avons levé le pied. Nous avons par exemple racheté cette année-là Invesys, une société qui disposait d'un très vaste portefeuille logiciel.

Vous commercialisez depuis 2014 le thermostat connecté Wiser, destiné au grand public. Essayez-vous de construire une relation directe avec le consommateur final ?

Nous sommes une entreprise très largement BtoB. Nous réalisons 10% seulement de notre chiffre d'affaires dans la maison et c'est très majoritairement via des partenaires qui intègrent nos solutions chez les particuliers.

"Sur les 11 000 personnes dans la R&D du groupe, 5 000 sont spécialisées dans le software"

Mais de nombreuses mutations vont se produire prochainement en aval de la chaîne de l'électricité, dans la moyenne et la basse tension, en lien avec le consommateur final. Nous nous intéressons à ce nouveau marché. Des outils comme Wiser permettent aux particuliers de connaître et de gérer leur consommation d'énergie, par exemple en les incitant à faire tourner leurs machines à laver quand les tarifs sont les plus bas. Nous participons activement à la transformation de notre secteur en rendant la consommation plus modulaire.

L'IoT va-t-il également transformer l'univers de la production d'électricité ?

Les énergéticiens sont aujourd'hui obligés de produire plus que le pic maximum de la consommation d'électricité sur le territoire qu'ils couvrent. Dans de nombreux pays, le réseau est utilisé à moins de 50% de sa capacité plus de 40% du temps. Cette inefficacité industrielle est forte. L'Internet des objets va permettre aux professionnels du secteur de gérer plus finement la production.

Nous allons par ailleurs lancer mi-2017 Ecoblade. Cette batterie intelligente est capable d'emmagasiner l'électricité produite par des panneaux solaires (qui sont aujourd'hui devenus abordables) et de la réinjecter dans un micro-réseau à l'échelle d'un bâtiment de bureaux, d'une usine, mais aussi de l'habitation d'un particulier. Le réseau électrique va devenir plus complexe, plus décentralisé.

Combiner ces micro-unités de production à des flux d'électricité plus massifs, générés par des barrages ou des centrales, est complexe. L'ensemble doit être orchestré au millimètre pour qu'il n'y ait pas de pannes. Schneider Electric développe un savoir-faire dans ce champ à travers ses solutions de smart grids (réseaux d'électricité intelligents, ndlr).

Attention toutefois à ne pas généraliser. Ces transformations se produiront avant tout dans des zones où le réseau électrique est fragile et où l'énergie est chère, comme la Californie, l'Australie, la Chine… La France n'est pas la première concernée. Notre réseau électrique est très solide, nous faisons partie de la caste des privilégiés énergétiques.