La réglementation européenne stricte est une opportunité pour les plateformes de crédit aux particuliers

Plus contraignante qu’aux Etats-Unis, la réglementation européenne renforce la pérennité des plateformes de crédit aux particuliers, ouvrant des opportunités pour les sociétés françaises.

Les plateformes de crédit aux particuliers viennent, coup sur coup, de subir aux Etats-Unis deux revers d’importance. La situation en Europe continentale est très différente à la fois grâce à une réglementation contraignante mais efficace et à cause de choix stratégiques qui renforcent la solidité et la stabilité des plateformes.

Il y a quelques mois, le petit monde des plateformes de crédit aux particuliers tremblait après la démission du fondateur de Lending Club, sur fond de dysfonctionnement des dispositifs de contrôle interne et de baisse du cours de bourse. L’affaire a fait grand bruit et commencé à ternir l’image de ces entreprises innovantes au croisement de la technologie Internet et de la finance.

Aujourd’hui, c’est le tour d’une autre plateforme américaine de subir un cuisant revers. En effet, si l’on en croit les affirmations de la newsletter américaine The Information[1] (le plus souvent très bien informée), la plateforme Prosper se serait vue contrainte de réduire de presque moitié la valeur des stock-options de ses salariés. Valorisée à son maximum près de 2 milliards de dollars en avril 2015, Prosper verrait sa valorisation brutalement ramenée à 600 ou 700 millions de dollars selon les meilleures hypothèses.

Des opportunités pour la French Tech ?

Deux raisons majeures peuvent expliquer ces problèmes et servir à démontrer les différences de situation entre les Etats-Unis et l’Europe continentale.

Aux Etats-Unis les plateformes de crédit aux particuliers sont peu réglementées et ne font pas l’objet d’une surveillance particulière de la part des régulateurs ou de la FED. Elles sont donc plus libres, plus agiles, plus rapides mais aussi moins bien contrôlées et encadrées. En France, comme partout en Europe continentale, la création et l’exploitation d’une telle plateforme requièrent un double agrément : Etablissement de crédit (pour les emprunteurs) et Prestataire de services d’investissement (pour les investisseurs). De tels agréments sont complexes, difficiles et longs à obtenir. Très contraignants, ils obligent les plateformes à un reporting mensuel, trimestriel, semestriel et annuel extrêmement détaillé. Ils imposent aussi de disposer d’une cellule importante de contrôle interne et de conformité, ce que nous avons néanmoins préempté. De plus, aux régulateurs nationaux et Européens s’ajoutent les banques centrales : banque centrale du pays et Banque Centrale Européenne.

A l’évidence, il est donc beaucoup plus long de créer et plus difficile d’exploiter une plateforme de crédit aux particuliers à Paris, Madrid ou Milan qu’à San Francisco ou New York. Mais on se rend bien compte aussi de l’importance de cette régulation qui évite les débordements, contrôle au jour le jour les prises de risques et tempère les appétits exagérés de croissance rapide au profit d’une plus grande solidité et, partant, d’une probable meilleure pérennité.

La deuxième explication découle de la première. Une telle réglementation induit en Europe, sans pour autant l’exiger, un business model plus stable que ceux pratiqués aux Etats-Unis. Lending Club, comme Prosper réalisent, en effet, la très grande majorité (90% voire plus) de leur chiffre d’affaires (CA) grâce aux frais de dossier, c’est-à-dire la production de nouveaux crédits. En prélevant environ 3% des montants prêtés, ces plateformes peuvent générer des chiffres d’affaires de plusieurs dizaines de millions d’euros par mois selon leur réussite commerciale. Ce business model impose une croissance permanente de la production de crédit pour générer un CA et satisfaire les appétits des investisseurs de la plateforme. Dans ce cas, une mauvaise passe, un "bad buzz" peut avoir pour conséquence, comme pour Lending Club, de faire fuir les prêteurs, de bloquer la production de nouveaux crédits et par conséquence de ruiner les perspectives commerciales.

En Europe continentale, la difficulté d’obtention des agréments incite les dirigeants de plateformes à adopter un business model différent et moins volatile. Le fonctionnement repose en effet souvent en partie, et en partie seulement, sur les frais de dossiers prélevés lors de chaque nouveau crédit, et le CA est aussi généré par la gestion des encours (assurances, commissions de gestion etc.). Un tel business model expose beaucoup moins à une baisse soudaine d’activité due à un retournement de situation économique ou une attaque de la concurrence.

Les différences réglementaires entre l’Europe continentale et les Etats-Unis pourraient être vues comme des contraintes pesantes. La situation démontre l’inverse et dévoile de véritables opportunités pour les plateformes françaises et européennes qui à l’instar de leurs ainées les banques, pourraient bien créer de réelles situations de leadership européen véritables passerelles vers l’Amérique du Nord.

Si l’on doit tirer un enseignement de cette comparaison entre les Etats-Unis et l’Europe continentale, c’est que la réglementation bancaire et financière européenne est certes extrêmement contraignante au risque de restreindre parfois notre capacité d’innovation mais qu’elle induit, sans l’exiger, des fonctionnements et des business models bien plus stables et résilients. Ce gage de pérennité doit conforter les investisseurs, les prêteurs et les emprunteurs qui peuvent durablement accorder leur confiance aux plateformes régulées de crédit aux particuliers.

Charles EGLY, Président du Directoire et co-fondateur de Younited Credit (ex Prêt d’union)

Donald BRYDEN, Président du Conseil de Surveillance de Younited Credit (ex-Prêt d’Union) 

[1] Voir l’article « The Falling Price of Prosper » du 31 août 2016  http://go.theinformation.com/WJQKCcyHGoQ