En France, l'assurance P2P devra miser sur les communautés à risque

En France, l'assurance P2P devra miser sur les communautés à risque L'américain Lemonade a levé 13 millions de dollars pour lancer une assurance collaborative. Dans l'Hexagone, un acteur essaie déjà de s'imposer.

Après le covoiturage et la location de logement, l'assurance sera-t-elle le nouveau terrain de jeux de l'économie collaborative ? Non, si l'on en croit l'échec du site Kontsurnous.fr, première assurance collaborative de l'Hexagone lancée en 2009 par Generali et fermée 18 mois plus tard faute de souscriptions... Pourtant, à l'étranger, d'autres initiatives ont trouvé leur marché. Et la récente levée de 13 millions de dollars de l'américain Lemonade, qui n'a même pas encore dévoilé et lancé son assurance peer-to-peer, a de quoi donner des idées, en plus de lancer un coup de projecteur sur d'autres acteurs pionniers.

En Allemagne, Friendsurance, courtier lancé en 2010, permet à ses utilisateurs de se rassembler en petits groupes pour souscrire à des assurances diverses et bénéficier d'un bonus en cash-back à la fin de l'année en l'absence de sinistre. La start-up assure recruter 200 nouveaux clients chaque jour. Au Royaume-Uni, Guevara, également un courtier, propose des assurances auto depuis fin 2014. Ses clients rejoignent une communauté et versent une prime qui est ensuite divisée entre une cagnotte dédiée au groupe en cas de sinistre (base price) et une cagnotte globale à tous les groupes (Insurance Fees). On peut aussi citer PeerCover, en Nouvelle-Zélande, Bought By Many, au Royaume-Uni, TongJuBao en Chine…

Inspeer mutualise la franchise d'assurance dommages

En France, après la fermeture de Kontsurnous, une start-up a décidé de relever le défi. Fondé en février 2014, Inspeer a lancé sa plateforme en mars 2015. Objectif : mutualiser la franchise d'assurance dommages (auto, moto, habitation). Les clients se regroupent et s'engagent à se couvrir réciproquement d'un petit montant en cas de sinistre. Ils peuvent visualiser l'indicateur de risque avec l'historique de sinistre des autres assurés. En utilisant Inspeer, les clients peuvent ainsi augmenter leur franchise et diminuer le coût de leur assurance.

Inspeer prélève 10% de commission. "90% du montant sert donc à couvrir le sinistre, alors qu'avec une assurance traditionnelle, pour un dommage auto, la prime payée par l'assuré est divisée entre les taxes pour 20%, la commission de l'assureur pour 30%, et seuls 50% servent réellement à couvrir les sinistres", analyse Louis de Broglie, fondateur d'Inspeer.

Recréer le sentiment d'appartenance

En revenant aux racines de l'assurance, avec des communautés s'assurant en commun, ces acteurs font reposer leur business model sur l'idée que les assurés se sentiront davantage responsables et prendront moins de risques, et qu'alors les sinistres diminueront -l'assuré est conscient que c'est sa famille, ses amis ou sa communauté qui supportera le poids du sinistre en cas de problème. Ils espèrent aussi diminuer le risque de fraude, en misant sur le fait que l'utilisateur ne réclamera que la couverture dont il a besoin. "En réduisant la taille du portefeuille assurantiel, on recrée un sentiment d'appartenance, on responsabilise et on fait baisser les sinistres", résume Louis de Broglie.

Mais si Guevara et Friendsurance ont trouvé leur marché, la situation reste plus compliquée en France. "Les résultats sont en-dessous de nos attentes, reconnaît Louis de Broglie. On se rend compte qu'ici, les gens n'ont pas forcément envie de se regrouper avec leur famille et leurs amis pour s'assurer. Nous sommes en train d'essayer de comprendre quelles communautés auraient envie de s'associer entre elles." Un constat partagé par Jean-Claude Sudre, expert insurtech et assurance connectée : "Je pense qu'il y a un marché pour l'assurance collaborative mais qu'il nécessite une culture du partage qui n'existe peut-être pas en France."

"Lorsque nous avons étudié le lancement de Kontsurnous.fr, en 2009, les retours des prospects étaient très bons, se rappelle Olivier Willems, directeur des partenariats de Generali. Mais le processus de souscription était encore trop compliqué et le marché n'était pas prêt." Surtout, selon lui, les acteurs peer-to-peer vont devoir trouver la bonne taille de communauté pour que le modèle fonctionne : assez grande pour mutualiser les risques et disposer d'un volume de primes suffisamment important… mais assez petite pour que les membres se sentent responsabilisés.

En attendant un "changement de mentalité" qui passera par "appropriation bien plus large qu'aujourd'hui de l'économie collaborative", Jean-Claude Sudre prévoit que ces assureurs collaboratifs vont miser sur certaines communautés plutôt que sur le lien familial. "Le modèle pourrait fonctionner dans la santé en visant les personnes aux risques aggravés qui ont du mal à s'assurer ou paient extrêmement cher : diabétiques, hypertendus ou autres pathologies. Cela pourrait passer par des sites qui créent des communautés de patients, comme Carenity en France ou PatientslikeMe aux Etats-Unis." Il évoque aussi les expatriés dont l'historique des sinistres auto est inconnu de leur pays d'adoption et qui doivent s'acquitter de primes faramineuses.

Des stratégies en effet étudiées par l'équipe d'Inspeer : "Nous voulons viser des personnes mal servies par l'assurance, des créneaux en prévoyance où l'assurance est très chère et comporte beaucoup de garanties". La start-up, qui ne propose aujourd'hui que de mutualiser sa franchise, travaille par ailleurs sur un produit d'assurance packagé en partenariat avec un assureur, qui devrait être lancé à la fin de l'année.