Pourquoi les ICO battent des records

Pourquoi les ICO battent des records Les levées de fonds de start-up via des initial coin offering dépassent déjà les 3 milliards de dollars en 2017. Une somme folle qui s'explique par l'envolée des cours des crypto-monnaies, mais pas que.

Certains parlent d'une escroquerie, d'autres d'une révolution. En 2017, l'ICO, pour initial coin offering, cette levée de fonds en crypto-monnaies, a permis aux start-up de collecter plus de 3 milliards de dollars, contre seulement 96 millions sur tout 2016, selon le site Coinschedule. A titre de comparaison, les levées de fonds "traditionnelles" dans la blockchain ont atteint 295 millions de dollars au premier semestre 2017.

Ce gigantesque écart est dû en partie aux valorisations en hausse du bitcoin et de l'ether, principalement utilisés lors des ICO. "Pour relativiser les montants levés, il faut prendre en compte le nombre d'ether et de bitcoin collectés", analyse Quentin de Beauchesne, président de Ledgys, développant Ownest, une solution blockchain pour la supply chain. Ces deux crypto-monnaies n'enregistraient pas le même cours il y a trois ans, un an ou même il y a quelques semaines. Les entreprises qui ont réalisé une ICO en 2014 ont donc récolté moins d'argent, sauf si elles ont conservé tous leurs fonds. Voici quelques exemples d'ICO emblématiques.

Comparaison de la valeur d'ICO emblématiques entre la date de la levée de fonds et aujourd'hui 
  Nombre de crypto-monnaies reçues Equivalent en dollars à la date de l'ICO Equivalent en dollars avec les cours actuels 
(le 16/10/17, le bitcoin valait 5 600  dollars et l'ether 340)
Omni (2013) 5 000 bitcoin 500 000 28 millions 
Ethereum (2014) 31 500 bitcoin 18 millions 176,4 millions
Augur (2015) 18 600 bitcoin + 1,18 million ether 5,3 millions  504,4 millions
The DAO (2016) 11,5 millions ether 150 millions 3,9 milliards
Aragon (mai 2017) 275 000 ether 25 millions 95,5 millions
Tezos  (été 2017) 60 000 bitcoin + 328 000 ether 232 millions 447,5 millions

Ces équivalences ne sont pas à prendre pour argent comptant. Il est impossible de savoir si les investisseurs auraient investi plus d'ether en 2014 (environ 19 dollars) si le cours avait été le même qu'aujourd'hui (environ 340 dollars). Ces derniers mois, les entrepreneurs qui lancent leurs ICO trouvent assez facilement des investisseurs. "La perception du public sur la dangerosité d'une ICO est beaucoup moins importante qu'à l'époque où Ethereum s'est lancé", indique Jean-Baptiste Pavageau, ICO Investment Manager chez Belem, une start-up qui aide les institutions financières à explorer les applications de la blockchain.

Un autre facteur pousse les investisseurs à multiplier leurs participations dans les ICO : le FOMO, pour fear of missing out, qui signifie "la peur de manquer quelque chose". En général, une ICO a une durée limitée et un seuil maximal d'investissement. "Les investisseurs ont peur de ne pas profiter du gain potentiel car ils sont beaucoup sur le coup. En plus, ils partent du principe que le token vaudra plus après l'Ico, ce qui augmente l'appel d'air", explique Quentin de Beauchesne.

Du trading à portée de tous

Autre raison qui pousse à investir : la spéculation. "De nombreux projets parviennent à faire des levées très importantes uniquement sur l'espoir des investisseurs de faire une importante plus-value, sans forcément que ces derniers comprennent le sous-jacent technologique et économique des projets proposés", affirme Manuel Valente, directeur général de La Maison du Bitcoin.

Les tokens (ou jetons) acquis par les investisseurs lors de l'ICO leur permettent soit de recevoir une partie des futurs bénéfices générés par l'entreprise, comme un dividende pour une action, soit d'avoir un droit de gouvernance. Mais ils peuvent également revendre ces tokens sur des plateformes d'échanges de crypto-monnaies à peine une heure après l'ICO. "Si elle est réalisée sur Ethereum (la majorité des cas, ndlr), vous recevez automatiquement les tokens. Vous pouvez donc les trader très vite. En plus, comme vous n'êtes pas sûr que le projet existe encore dans quelques mois, vous êtes encore plus encouragé à spéculer", souligne Quentin de Beauschene. "Les crypto-monnaies ont donné accès à la spéculation à tout le monde. Le trader n'a pas besoin d'aller voir sa banque pour qu'elle exécute ses ordres. Avec les crypto-monnaies, vous tradez de manière totalement libre", ajoute-t-il. "Les investisseurs en crypto-monnaies ne sont pas fidèles. Ils veulent seulement faire un profit", renchérit Jean-Baptiste Pavageau.

Les ICO attirent aussi car le bitcoin n'est plus autant "bankable" qu'avant, même si le cours a battu un nouveau record au début du mois, en dépassant la barre des 5 000 dollars. "A la Maison du Bitcoin, nous avons rencontré plusieurs personnes qui pensent que le potentiel de croissance du bitcoin est déjà réalisé. Ils cherchent donc de nouvelles opportunités d'investissement dans les ICO, en espérant une croissance semblable ou même supérieure à celle du bitcoin", raconte Manuel Valente. Les autres crypto-monnaies et les tokens échangés lors des ICO connaissent en effet des croissances plus importantes. Sur le site de CoinMarketCap, qui répertorie toutes les crypto-monnaies avec leurs cours, on peut voir des variations significatives en seulement un jour. 

Le cours de certaines crypto-monnaies enregistrent de grosses variations en seulement une journée. © Capture d'écran JDN

"Il y a des crypto-monnaies capables de faire +300% en une journée et -80% le lendemain. Si vous avez mis 1 000 euros, vous vous retrouvez avec 3 000 euros à la fin de la journée, ou bien avec quasiment rien. Sur bitcoin, vous ne pouvez pas faire ça. Au pire ou au mieux, il peut y avoir des évolutions de 5 à 10% dans les très grosses journées. Il y bien a eu un mini-krack le 15 septembre dernier pendant lequel le bitcoin a perdu plus de 20% de sa valeur, mais c'est rare", constate Manuel Valente. Reste qu'une variation de 5 à 10% demeure supérieure au rendement d'actifs financiers plus traditionnels. "Les investisseurs en crypto-monnaies ne veulent pas faire +5% mais +300%, donc ils parient sur des crypto relativement confidentielles pour faire un gain monstrueux", résume Manuel Valente.

L'écosystème français de la blockchain s'accorde à dire que cette folie autour de l'ICO est provisoire. "Pour l'instant tout va bien, mais des problèmes vont arriver un jour ou l'autre. Comme par exemple ne plus avoir de nouvelles du projet dans lequel les investisseurs ont investi… Ils devraient être mis en garde des risques qu'ils prennent", avertit Jean-Baptise Pavageau. Le gendarme financier américain souhaite d'ailleurs créer un statut d'investisseurs accrédités pour éviter ces dérives. De son côté, l'Autorité des marchés financiers devrait rendre ses préconisations avant la fin de l'année.