Les exchanges décentralisés, l'avenir du trading de crypto-monnaies

Les exchanges décentralisés, l'avenir du trading de crypto-monnaies Contrairement aux Coinbase & co, ces nouvelles plateformes ont très peu de chances d'être hackées et n'ont pas la main sur les fonds de leurs utilisateurs.

Dans le lexique de la blockchain publique, le mot décentralisation occupe une place… centrale. La technologie sous-jacente au bitcoin n'est pas contrôlée par une seule entité mais par plusieurs, répartis à travers le monde. Mais cette caractéristique ne s'applique pas à tous les acteurs de l'écosystème. Les plateformes d'échange de crypto-monnaies, ou exchanges, sont des acteurs tout ce qu'il y a de plus centralisés. "Quand vous utilisez Coinbase, vous avez l'impression que vous avez du contrôle mais pas du tout. Celui qui détient la clé privée (une suite de chiffres et lettres qui permettent de signer les transactions, ndlr), c'est Coinbase, pas l'utilisateur. On est donc loin du concept de décentralisation", fait remarquer Karim Sabba, cofondateur de l'Association française pour la gestion des cyber-monnaies (AFCG).

Pour mettre fin à cette situation, de nouveaux acteurs sont apparus : les exchanges décentralisés, abréviés DEX  pour decentralized exchanges. Des dizaines se sont lancés ces derniers mois dont les plus connus sont AirSwap, EtherDelta, KyberNetwork ou encore IDEX. Contrairement à leurs cousines, ces plateformes ne détiennent pas les fonds de leurs utilisateurs. C'est l'investisseur qui a la main sur ses actifs. Il peut donc utiliser un wallet physique ou numérique sur la plateforme. "Les utilisateurs des DEX échangent des crypto-monnaies sans jamais céder leurs clefs privées à l'exchange", confirme Ken Timsit, patron de ConsenSys France, un start-up studio spécialiste de la création d'applications décentralisées sur Ethereum.

"Les utilisateurs de DEX échangent des crypto-monnaies sans jamais céder leurs clefs privées à l'exchange"

Cette absence de tiers n'est pas le seul avantage d'un DEX. Il élimine aussi le risque de contrepartie. "Grâce à la décentralisation du settlement (la fonction d'échange d'un exchange, ndlr), l'utilisateur n'est plus en risque car il dépose ses fonds sur une adresse de séquestre et est donc sûr de les récupérer si l'ordre ne s'exécute pas", indique Pierre Noizat, fondateur de la plateforme d'échange de bitcoin Paymium. Les DEX ont également peu de chances d'être piratés puisque les clefs privées sont détenues individuellement par tous les utilisateurs et non par un seul acteur. "Si vos crypto-monnaies sont chez Coinbase, la cible du hacker sera donc Coinbase. Avec un DEX, il n'y a pas d'organisme central qui gère les clés privées", compare Karim Sabba.

C'est un argument fort pour les investisseurs à l'heure où les piratages de plateformes se multiplient : 530 millions de dollars chez Coincheck en janvier dernier, 30 millions de dollars chez Bithumb en juin, 40 millions de dollars chez Coinrail dans la foulée… Une situation qui pourrait pousser les fonds d'investissements à tester ce modèle : "Avec les DEX, on est plus rassuré quand on met 20 millions de dollars sur une plateforme car on sait qu'elle ne peut pas se faire hacker", acquiesce Pierre Entremont, principal chez Otium Capital, un fonds en early-stage qui a investi "quelques millions d'euros" dans cinq crypto-monnaies dont le bitcoin mais sans passer par un DEX. "Le seul inconvénient est que ces plateformes n'ont pas de contact avec le monde bancaire traditionnel. C'est un point très important pour les institutionnels", ajoute-t-il. De fait, les exchanges décentralisés ne se mêlent pas au système monétaire classique puisque seuls les échanges entre crypto-monnaies sont possibles. Il est encore impossible d'échanger une monnaie fiat (une monnaie classique comme l'euro ou le dollar) contre une crypto-monnaie.

Régler le problème de liquidités

Autres inconvénients des DEX : une expérience utilisateur plutôt mauvaise et des problèmes de liquidités dû au nombre limité d'utilisateurs. Par exemple, IDEX a permis d'échanger l'équivalent de 3 millions d'euros pendant la journée du 2 juillet 2018. Bien loin des 519 millions de dollars échangées sur Bitfinex le même jour.

L'interface du DEX EtherDelta est assez complexe à utilisé pour les novices. (cliquez pour zoomer) © Capture d'écran JDN

Ce problème de liquidités pourrait être réglé par l'essor de deux types d'acteurs. Tout d'abord, plusieurs exchanges centralisés travaillent sur des projets de DEX. Coinbase a racheté en mai dernier la plateforme peer-to-peer Paradex, pour un montant non communiqué. Le géant Binance compte lancer sa propre blockchain, qui lui permettrait de créer sa plateforme décentralisée, comme il l'explique dans un post de blog. Pourquoi faire coexister deux types de plateformes ? "Cela leur permet d'avoir une image plus transparente. Mais c'est surtout un moyen diminuer les risques. La peur n°1 d'un exchange est de se faire hacker", assure Hugo Renaudin, CEO de LGO Markets, futur exchange centralisé dédié aux investisseurs institutionnels. "Cela ne change rien à leur business model puisqu'ils apportent toujours la même valeur ajoutée, à savoir rassembler acheteurs et vendeurs. C'est encore un système de commission sur l'échange", complète de son côté Pierre Noizat.  

"Avec un DEX, on est plus rassuré quand on met 20 millions de dollars car on sait qu'elle ne peut pas se faire hacker"

Les protocoles open sources dédiés aux plateformes de crypto-monnaies sont aussi une réponse à ce manque de liquidités. Ces nouveaux standards permettent à n'importe quel acteur de construire son propre DEX. Un des projets les plus aboutis est 0x, lancé en août 2017. Il met en relation les acheteurs et vendeurs via des relayers (les DEX) qui possèdent leurs propres réserves de liquidités. 0x apporte un petit plus : il mutualise les liquidités de tous ses relayers. "Tous les exchanges qui utiliseront 0x bénéficieront de la liquidité partagée entre les DEX puisqu'ils utilisent tous le même format de message dans le protocole", explique Alex Xu, cofondateur de 0x. Aujourd'hui, 18 relayers utilisent 0x project dont Paradex. "0x sera le standard du futur car technologiquement parlant c'est très solide. Je pense que dans cinq ans, les Kraken et Coinbase seront branchés sur 0x", avance Pierre Entremont. "Quand il y aura un standard, 0x ou un autre, le carnet d'ordres deviendra  universel", résume Vidal Chriqui.

Pour l'heure, le volume d'échanges sur les DEX ne représente que 1% du volume total des échanges de crypto-monnaies. Lors de son premier jour, AirSwap a permis plus d'un million de transactions. Signe que les investisseurs sont intéressés par ce modèle. Mais il en faudra encore du temps pour atteindre les niveaux de Coinbase et Binance. A moins d'un hack de trop...