L'instant payment : plus rapide pour les clients, plus cher pour les banques

L'instant payment : plus rapide pour les clients, plus cher pour les banques Opérer des virements 24h/24 et 7j/7 implique des investissements massifs pour les établissements bancaires, en termes de technologie comme de développement produits.

Dix secondes. C'est le temps qu'il faudra d'ici quelques mois pour recevoir un virement sur son compte bancaire, au lieu de deux à cinq jours aujourd'hui. Depuis le 20 novembre dernier, la majorité des banques françaises peuvent émettre des paiements instantanés. Une réalisation qui n'a pas été sans mal... ni surtout sans coût, même si aucun établissement français ne communique sur le coût global de ce chantier. A en croire Swift, il est cependant significatif. "Si l'instant payment était un petit projet, toutes les banques seraient déjà opérationnelles", confirme Isabelle Olivier, responsable des initiatives titres et paiement EMEA de l'organisation.  

Parmi les coûts de projet, il y a tout d'abord celui de l'infrastructure qui permet de recevoir et émettre des paiements instantanés que ce soit pour le BtoB et le BtoC. "Il faut compter entre 10 et 20 millions d'euros pour mettre en place une infrastructure de paiement en temps réel", indique Dominique Beauchamp, directeur général adjoint de Natixis Payments, filiale de BPCE. Et ce alors que l'infrastructure n'est pas forcément à revoir de fond en comble. "Nous devons ajouter une brique pour créer un gestionnaire de flux en temps réel. Ce n'est pas le plus compliqué car nous réalisons déjà beaucoup de transactions en temps réel", précise Régis Folbaum, directeur des paiements de La Banque Postale, en référence aux transactions en carte bancaire.

"Il faut compter entre 10 et 20 millions d'euros pour mettre en place une infrastructure de paiement en temps réel"

L'autre brique technique aux coûts importants est la mise à niveau du core banking, sorte de logiciel qui gère l'ensemble des transactions courantes d'une banque. "La mise à niveau du core banking a été un chantier très important car l'instant payment est un tout nouveau mode de paiement et qu'il est multi-canal", témoigne Régis Folbaum. Pour La Banque Postale, la refonte de la tenue de compte a été effectuée par Transactis, une filiale de La Banque Postale et de la Société Générale spécialisée dans le traitement des flux de paiement (carte, virements, prélèvements). "Le coût global de l'usine de paiement (Transactis, ndlr) est de l'ordre de quelques dizaines de millions d'euros", précise Régis Folbaum.

Fraude en temps réel

Dernier gros investissement technique : la lutte contre la fraude. Une fois qu'un virement instantané est envoyé, il est impossible à arrêter puisqu'il atteint sa destination en seulement dix secondes. Il faut donc détecter les fraudes dans ce laps de temps. "Nous avons un système de lutte contre la fraude pour le SEPA (virement et prélèvement européens, ndlr) auquel nous allons appliquer le savoir-faire issu de la monétique qui gère déjà du temps réel. Puis, nous écouterons les bruits faibles. Au lancement, comme nous n'aurons pas d'éléments de comparaison, tout fera évidemment du bruit. Nous construirons au fur et à mesure cette intelligence", confie le responsable de La Banque Postale. Natixis a quant à elle déjà renforcé ses outils contre la fraude puisque le paiement instantané est en place pour ses clients. "Avant de lancer l'instant payment, nous avons renforcé la sécurité sur le mobile banking car le paiement entre particuliers passe en majorité par le smartphone. Nous avons baissé notre exposition au risque de fraude avec Secure Pass (une fonctionnalité qui sécurise des opérations dites sensibles comme l'ajout d'un bénéficiaire ou la signature électronique, ndlr), explique Dominique Beauchamp.

"Avant de lancer l'instant payment, Natixis Payments a renforcé la sécurité sur le mobile banking" 

Une fois que ces trois briques technologiques ont été mises en œuvre, il faut encore que la banque mette en place un tuyau pour se connecter à un système de paiement instantané. En France, c'est la Stet, la chambre de compensation de paiements de détail. Le coût de connexion n'est en revanche pas communiqué par les deux banques interrogées. Marché européen oblige, les banques devront aussi se connecter au système européen. Depuis le 30 novembre, les banques françaises peuvent se connecter au système de la Banque centrale européenne (BCE), baptisé Tips (Target instant payment settlement). "C'est un investissement qui nous a demandé encore un peu plus de temps que pour la connexion à la Stet", indique le dirigeant de Natixis Payments. Pour se brancher, plusieurs solutions existent sur le marché, dont celle de Swift. " Le coût de la solution de Swift est compétitif, d'autant plus qu'elle permet l'accès à plusieurs fournisseurs de service d'instant payment (TIPS et RT1, le système de l'autorité bancaire européenne, ndlr) et constitue la base pour les projets infrastructurels à venir", affirme Isabelle Olivier. "Nous avons opté pour un prix fixe bas pour pousser les banques à se mettre à l'instant payment." Après la connexion, il faut encore passer à la caisse. "Les banques doivent payer à l'Eurosystème (un organe de l'UE qui regroupe la Banque centrale européenne et les banques centrales nationales des États membres, ndlr) 0,2 centime par paiement instantané envoyé vers Tips. A noter que les premiers 10 millions de paiements instantanés avant fin 2019 seront offerts par Tips", précise Isabelle Olivier.

Compenser les coûts

En dehors des coûts technologiques, les banques doivent aussi investir dans le concret. "Pour que le paiement instantané soit un succès, il faut créer des produits qui soient pertinents pour les utilisateurs", estime Isabelle Olivier. "Avant de lancer nos différentes offres, nous beaucoup interrogé nos clients pour connaître leurs besoins et leurs peines", raconte le dirigeant de Natixis Payments. En plus du paiement entre particuliers, BPCE a lancé une offre d'indemnisation de sinistres du quotidien et planche sur une solution d'affacturage

"Les banques doivent payer à l'Eurosystème 0,2 centime par paiement instantané"

Face à ces différents coûts, les banques cherchent à monétiser le paiement instantané. BPCE facture par exemple un euro par virement instantané. "Nos clients sont prêts à payer. Cependant, nous avons remarqué une corrélation entre le montant du virement et l'instant payment. Pour un virement de 20 euros, le client ne choisit pas le paiement instantané mais pour un virement de plusieurs centaines d'euros le taux d'usage est plus fort", révèle Dominique Beauchamp. Côté entreprise, le business model autour de l'instant payement n'est pas encore arrêté puisque les solutions ne sont pas encore opérationnelles. Mais il est fort à parier que le prix sera plus élevé que pour les particuliers. "Si vous vendez de l'instant payment à Carrefour et que ça lui permet de faire des économies de temps à la caisse ou de commissions (plus besoin de passer par Visa et Mastercard, ndlr), alors cette valeur pourra justifier un certain tarif", explique Isabelle Olivier. L'instant payment diminuera lui-même certains coûts de la banque. "S'il prend de l'ampleur, l'instant payment peut faire réduire les espèces et le chèque, un des postes les plus coûteux de la banque", explique Régis Folbaum.