Rémi Charachon (Air Liquide Chine) "Ce qui favorise la compétitivité en Chine ? La technologie"

Le PDG d'Air Liquide Chine détaille comment son groupe a su s'imposer dans l'empire du Milieu... et livre quelques conseils.

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Rémi Charachon. © Droits réservés Air Liquide

Leader des gaz industriels, Air Liquide a raflé le Trophée des entreprises françaises en Chine grâce à son taux de croissance annuelle dans le pays qui atteint 35% au cours des dix dernières années. Depuis 2004, les investissements du groupe français dans l'empire du Milieu n'ont cessé de progresser, pour atteindre 300 millions d'euros par an depuis 2007..

JDN. Quelles activités d'Air Liquide monde se retrouvent en Chine ?

Rémi Charachon. Toutes les activités du groupe, sans exception, sont présentes en Chine. Au niveau mondial, le secteur des gaz et des services représente environ 90% de notre chiffre d'affaires. Cette activité emploie 3 000 collaborateurs en Chine. Les clients d'Air Liquide Chine proviennent aussi bien des industries lourdes, du secteur de l'automobile ou encore de celui des semi-conducteurs. Ces derniers utilisent des gaz d'une grande pureté pour la fabrication de mémoires, d'écrans plats et de cellules photovoltaïques. Nos gaz servent aussi dans le traitement des maladies respiratoires ou en salle de réanimation dans les hôpitaux, mais le secteur de la santé est faible en Chine par rapport au reste du monde. La branche ingénierie et construction regroupe quant à elle 1 000 collaborateurs dans le pays. Comme dans toutes les régions dans lesquelles le groupe est implanté, nous maitrisons toutes les phases, à savoir la production, la chaîne d'approvisionnement, le transport et l'application.

Comment Air Liquide envisage-t-il la Chine ? Comme un sous-traitant ou comme un marché ?

Le développement d'Air Liquide en Chine a commencé dans les années 1920, à Shanghai. En 1991, nous avons repris une activité de production de gaz industriels dans le pays alors que celle-ci avait été interrompue pendant plusieurs décennies. Ces dix dernières années, nous sommes entrés dans une phase d'accélération qui coïncide avec l'entrée de la Chine dans l'OMC et l'augmentation des investissements directs étrangers dans le pays. En 2004, Air Liquide Chine ne comptait que 8 usines. Fin 2012, leur nombre s'élèvera à 65. Comme nos gaz ne se transportent pas sur des grandes distances, nous construisons des unités de production à proximité de nos clients. Les produits fabriqués par la branche gaz et services d'Air Liquide en Chine sont destinés au marché local et ne sont pas exportés. Seul le secteur de l'ingénierie exporte pour le compte du groupe ou de clients tiers, principalement en Asie. Par exemple, l'ingénierie peut exporter en Indonésie si la filiale locale signe un gros contrat avec un client.

"Une relation étroite avec les clients et les autorités locales favorise la compétitivité des entreprises en Chine."

Le débat sur la compétitivité des entreprises françaises fait rage. Qu'en pensez-vous, vu de Chine ?

Comme je fais partie des Conseillers du commerce extérieur de la France, on m'a récemment posé la question. Pour être plus compétitives, les entreprises doivent d'abord avoir des coûts compétitifs. Aujourd'hui le coût total du travail, y compris les charges sociales, n'est pas favorable. Elles doivent donc se montrer innovantes et travailler sur l'aspect technologique. Elles doivent également s'aider entre elles. Les grandes firmes peuvent, par exemple, aider les plus petites en achetant leurs produits et en les aiguillant, ce que fait très bien Ubifrance. Cet état d'esprit est davantage répandu chez nos voisins allemands, comme en témoigne l'existence d'une maison "allemande" regroupant tous les services aux entreprises à Pékin et a Shanghai.

Qu'est ce qui favorise la compétitivité d'une entreprise française en Chine ?

En premier lieu, la technologie. Si Air Liquide est le leader des gaz pour les industriels en Chine, c'est grâce à sa maîtrise de la séparation des gaz de l'air et d'autres molécules à partir de l'air et à une innovation constante, ce qui nous procure un véritable avantage compétitif. Un bon " guanxi ", ou relation étroite avec les clients et les autorités locales, favorise également la compétitivité. Il faut montrer aux autorités locales qu'on est là pour longtemps. Comme les activités d'Air Liquide ne s'inscrivent pas dans des marchés régulés par l'Etat chinois, nos principaux interlocuteurs restent les provinces et les municipalités. Je me souviens d'une négociation avec un client à laquelle un maire chinois a participé. Il s'est conduit en véritable facilitateur.

"Le salaire de nos collaborateurs en Chine a augmenté de 12% en moyenne sur les cinq dernières années."

Au contraire, quels sont les principaux freins ?

Le non alignement entre les équipes locales et le siège ainsi que la rigidité. En clair, tout ce qui empêche de prendre rapidement des décisions en matière d'investissement ou de signature d'un contrat, car en Chine, tout est une question de vitesse. Par ailleurs, les entreprises françaises peuvent se décourager un peu trop rapidement. Au contraire, elles devraient faire preuve de plus de persévérance. En Chine, un projet qui semble perdu ne l'est pas forcément.

La hausse du salaire minimum en Chine et la perte de l'avantage concurrentiel qui l'accompagne ont-elles des conséquences sur les activités d'Air Liquide Chine ?

Ces trois dernières années, le salaire minimum a fortement progressé en Chine, notamment suite aux tensions sociales qu'ont connues le groupe taïwanais Foxconn et d'autres sociétés dans le pays. A cause de ce relèvement, certaines entreprises quittent la Chine pour d'autres pays, comme le Bengladesh par exemple. D'autres se déplacent à l'intérieur de la Chine pour bénéficier de coûts plus bas, mais aussi pour conquérir de nouveaux marchés. Pour nous, la baisse de l'avantage concurrentiel qui en découle n'a pas vraiment d'impact. Ce qui n'a pas empêché le salaire de nos collaborateurs en Chine d'augmenter de 12% en moyenne sur les cinq dernières années. L'intensité capitalistique de notre secteur d'activités est forte, mais la part du facteur travail dans le coût des produits finaux reste relativement faible. Si une aciérie a besoin d'oxygène, on investit dans une unité de production. En échange, elle s'engage à acheter nos produits dans le cadre d'un contrat à long terme (15 à 20 ans) à un prix qui pourra être indexé sur le coût de la main d'œuvre.

Le 25 octobre dernier, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris (CCIP) et la Chambre de commerce et d'industrie française en Chine (CCIFC) ont remis à Air Liquide Chine le trophée de la croissance pour la progression de son chiffre d'affaires, sa couverture industrielle et ses investissements massifs dans le pays. Les trophées des entreprises françaises en Chine ont été remis suite à une étude réalisée par le cabinet de conseil OC&C Strategy Consultants qui a analysé l'expérience de 17 sociétés en Chine.