Courses partagées : pourquoi certains VTC font encore les pools mouillées

Courses partagées : pourquoi certains VTC font encore les pools mouillées La plupart des services de véhicules avec chauffeur qui ne proposent pas encore de courses partagées s'y intéressent. Mais leur implémentation est un challenge RH, financier et algorithmique.

Ne fait pas du pool qui veut. Les courses partagées, popularisées en France par Uber Pool, présentent de nombreux avantages pour les VTC. En théorie, elles peuvent assurer une meilleure rentabilité aux chauffeurs qu'une course classique si le véhicule est rempli. Moins cher qu'un  trajet normal, le pool aide aussi les VTC à aller chercher un public moins aisé. Une étape importante pour augmenter la taille du marché. Pourtant, en France, seuls Uber, Le Cab et Allocab proposent des courses partagées.

Qu'attendent leurs concurrents ? "C'est une techno très intéressante, que nous avons commencé à étudier," indique Yan Hascoet, PDG de Chauffeur Privé. "Mais pour l'instant, nous privilégions notre expansion internationale. Quand vous avez 70 ingénieurs au lieu de 7 000, il faut faire des choix", reconnaît-il, en référence aux équipes pléthoriques d'Uber. Même son de cloche chez Heetch. "Nous devons développer le pooling d'ici la fin de l'année", ambitionne son dirigeant et cofondateur Teddy Pellerin. "Mais c'est une question de priorités de développement. Il y a d'autres aspects du produit que nous devons améliorer avant de nous y attaquer." Selon nos informations, Txfy (ex-Taxify) est en train de développer une offre de "smart pooling" pour la France et ses autres marchés dans le monde, dont la date de sortie est inconnue.

Optimisation complexe

Question d'argent et de ressources humaines, mais pas que. Même si on décide d'y allouer les ressources nécessaires, le pool reste un défi algorithmique. Il faut minimiser les détours pour le chauffeur et les passagers, tout en maintenant un prix attractif et en assurant au chauffeur que son véhicule sera rempli, car une course partagée avec un seul passager sera forcément à perte. "Il est difficile d'optimiser tous ces paramètres en même temps, puisqu'ils sont contraires," remarque Yan Hascoet. Si on réduit au maximum les détours, le chauffeur aura moins de chances de remplir son véhicule, et si on cherche à embarquer un maximum de passagers, ces derniers seront pénalisés par un temps de voyage plus long. Résultat, "les utilisateurs espèrent se retrouver seuls" dans leur VTC partagé, constate Teddy Pellerin.

Tous ces minutieux ajustements ajoutent un autre problème : pour que l'offre et la demande se rencontrent de manière satisfaisante, c'est-à-dire avec un temps d'attente, des détours et un remplissage du véhicule raisonnables, il faut disposer d'une énorme masse critique. La plupart des VTC estiment ainsi qu'en France, le pool n'est viable qu'en Ile-de-France. Même Uber : "Nous sommes encore loin de pouvoir lancer Uber Pool ailleurs en France. Il nous faudrait plus de chauffeurs et d'utilisateurs", reconnait Roch de Longeaux, directeur des opérations d'Uber France. Teddy Pellerin est l'un des rares à ne pas être de cet avis. Pour le patron de Heetch, il serait possible de proposer des courses  partagées hors d'Ile-de-France "si on ne dit pas au passager qu'il s'agit d'un pool dès le départ." La piste qu'il avance serait une sorte de fusion des courses classiques et des courses partagées : proposer à un passager déjà en route, seul dans son VTC, d'accepter un petit détour pour récupérer quelqu'un en échange d'une réduction du prix de sa course.

Arrêter la "loterie"

Le leader incontesté de la course partagée, Uber, est bien conscient des carences d'Uber Pool. Un sujet d'autant plus important que les courses partagées représentent désormais 30% des trajets d'Uber en Ile-de-France, et même 50% hors de Paris intra-muros. L'entreprise américaine a déployé le mois dernier une importante refonte de son fonctionnement. "Pas mal de personnes n'étaient pas satisfaites du produit", assume Roch de Longeaux. "Pour les utilisateurs, ce n'était pas pratique de perdre 10 ou 15 minutes. Et pour les chauffeurs, il y avait une incertitude de remplissage et donc de rentabilité, ils se sont plaints de ce côté 'loterie'".

La refonte d'Uber Pool consiste à accepter une dégradation mineure de la qualité du service pour les passagers, en échange de meilleures garanties pour les chauffeurs

La philosophie de la refonte d'Uber Pool consiste à accepter une dégradation mineure de la qualité du service pour les passagers, en échange de meilleures garanties pour les chauffeurs. Désormais, le chauffeur ne vient pas forcément chercher les clients là où ils se trouvent. Ces derniers peuvent être amenés à se déplacer dans un rayon de 250 mètres, ce qui permet au chauffeur de récupérer ses clients sur des grands axes, au lieu de se perdre dans des petites rues et des dédales de sens interdits. Afin de trouver les trajets les plus optimisés, l'application peut dorénavant mettre jusqu'à deux minutes à trouver un trajet au client, contre quinze secondes auparavant.

Uber a également modifié le fonctionnement de sa commission, afin de garantir aux chauffeurs qu'ils gagneront au moins autant qu'en acceptant une course classique. Alors qu'elle est de 25% sur Uber X, la commission d'Uber Pool varie entre 10 et 35%, en fonction du taux de remplissage du véhicule. "Si les probabilités que le chauffeur trouve plusieurs passagers sont faibles, le prix facturé au client seul est plus élevé, et nous abaissons notre commission," résume Roch Roch de Longeaux. Toujours selon nos informations, le smart pooling que prépare Txfy s'oriente également vers des mécanismes visant à réduire les détours pour les chauffeurs en faisant marcher les clients.

Ces initiatives seront-elles suffisantes ? Les VTC veulent rendre les courses partagées plus attractives pour leurs chauffeurs et leurs clients, mais il faudra aussi qu'elles le deviennent pour eux-mêmes : aucun VTC n'a pour l'instant réussi à les rendre rentables. Mal géré, le pool peut devenir une menace s'il vient phagocyter les revenus des courses classiques, plus rémunératrices. Gare à ne pas être trop partageurs.