Anne-Marie Idrac (ministère des Transports) "Nous voulons permettre quasiment tous les tests de véhicules autonomes"

La Haute représentante pour le développement des véhicules autonomes revient sur les réformes et les expérimentations en cours en France et à l'international.

JDN. Quelle est votre mission, en tant que haute représentante pour le développement des véhicules autonomes ?

Anne-Marie Idrac a été nommée Haute représentante pour le développement des véhicules autonomes en 2017. © Damien Vicart

Anne-Marie Idrac. Sous ce titre un peu ronflant, il s'agit essentiellement d'un poste d'animation dont la première étape s'est concrétisée par la publication de la stratégie française rendue publique le 14 mai. Elle résulte d'un travail collectif entre différentes administrations et services d'Etat d'une part, des acteurs de la filière du véhicule autonome (constructeurs, équipementiers, acteurs du numérique, collectivités, ndlr) d'autre part. Ce travail d'animation et de synthèse est à durée indéterminée, car il nous reste de nombreuses étapes à franchir, dont certaines se découvrent en avançant.

Les prochains rendez-vous sont le passage de la loi Pacte, débattue en ce moment au Parlement, qui contient des mesures concernant les véhicules autonomes. Elles ont pour objectif de rendre possibles pratiquement toutes les formes d'expérimentations de véhicules autonomes une fois que la loi sera publiée. Viendra ensuite la loi d'orientation des mobilités en début d'année prochaine, qui doit permettre la délégation de conduite hors du cadre des expérimentations. Nous devrons aussi nous pencher sur les questions de standards et d'homologation des véhicules autonomes.

La loi mobilités dans sa version actuelle autorise le gouvernement à prendre des ordonnances pour construire le cadre qui permettra la circulation de véhicules autonomes. Mais à quoi ressemblera ce cadre ?

Tout tourne autour de la notion de contrôle. La convention de Vienne sur la circulation routière, un traité international, exige que le conducteur, qui est un humain, aie en permanence le contrôle de son véhicule et de ses propres actions de conduite. Par exemple, lors d'expérimentations dans lesquelles des véhicules autonomes sont supervisés à distance sans chauffeur à bord, on peut se demander si l'humain contrôle effectivement le véhicule lorsqu'il n'est pas dedans. Nous considérons que oui. Notre but est de faire l'interprétation la plus large possible de la convention de Vienne afin de permettre le contrôle à distance de véhicules autonomes.

La convention de Vienne empêche la France de déployer des services commerciaux de véhicules autonomes, alors que Les Etats-Unis, le Japon ou le Royaume-Uni n'y sont pas astreints. Après les réformes en cours, la France sera-t-elle arrivée au bout de ce qu'il est possible de faire dans les limites de ce texte ?

"La sécurité prime sur tout,  nous devons assumer cette différence avec les Etats-Unis"

Sans doute, oui. La France est force de proposition sur la convention de Vienne. Nous voulons la réformer d'ici 2020. La position française consiste à dire qu'il peut y avoir une délégation de conduite et que dans ce cas, les règles sur le contrôle du véhicule ne s'appliquent plus, tant que le véhicule est considéré comme techniquement apte à circuler. Nous travaillons justement sur ces questions d'homologations et de standards internationaux. C'est nécessaire car cela n'a rien à voir de faire homologuer une navette autonome pour effectuer un trajet en ligne droite, balisé et protégé, ou une voiture qui évoluera dans une environnement urbain complexe avec de nombreux obstacles potentiels.

Les conditions pour tester des véhicules autonomes en France demeurent plus strictes que dans d'autres pays comme les Etats-Unis. N'avez-vous pas peur que la filière française prenne du retard ?

Dans le développement des véhicules autonomes, on constate l'apparition de deux grands blocs : Certains Etats américains (comme l'Arizona ou la Floride, ndlr) et la Chine d'un côté, l'Europe et le Japon de l'autre. Notre stratégie est basée sur trois mots-clés dans lesquels se retrouvent à peu près tous les Européens et les Japonais : sécurité, progressivité, acceptabilité. La progressivité des expérimentations n'est pas un sujet pour ces Etats américains. Et les systèmes d'homologations administratives cèdent chez eux la place à des certifications des constructeurs, qui garantissent eux-mêmes que leurs véhicules autonomes sont sûrs, ce qui paraît inimaginable en Europe ou au Japon. La sécurité prime sur tout, et les tests doivent se faire progressivement en fonction des capacités réelles des opérateurs à offrir des services. Je crois qu'il faut assumer cette différence avec les Etats-Unis.

L'Ademe a lancé sous votre égide l'appel à projet EVRA, afin de soutenir financièrement les tests de véhicules autonomes sur plusieurs territoires. Pourquoi l'Etat souhaite-t-il s'impliquer dans les expérimentations ?

"Il faut aller vers des expérimentations de véhicules autonomes plus sophistiquées"

Cet appel à projet a pour but de faire émerger des expérimentations qui doivent permettre de progresser sur les homologations et la diversité des cas d'usage. Nous n'avons pas encore arrêté le montant exact de l'enveloppe, issue du Programme investissements d'avenir, mais elle se chiffrera en dizaines de millions d'euros. Nous voulons créer un cadre normatif et définir un bien commun, c'est-à-dire des éléments que les territoires et les industriels pourront réutiliser pour déployer des services de véhicules autonomes, notamment le cahier des charges. Et il ne s'agit pas de refaire une énième fois la même expérimentation. Il faut aller vers des usages plus sophistiqués pour envisager l'ensemble des conditions techniques, mais aussi les modèles économiques, qui sont encore en devenir. C'est un besoin conjoint des acteurs privés et des collectivités locales.

Les entreprises rivalisent d'échéances très optimistes sur le déploiement de services de véhicules autonomes, autour de 2020. Quel calendrier vous paraît raisonnable pour voir les premiers déploiements commerciaux de ces services en France ?

Il y a un décalage entre la communication très prometteuse et la réalité technologique. L'illusion vient de ces histoires de niveaux d'autonomie (allant de 0, l'absence d'autonomie, à 5, l'autonomie totale sans intervention humaine, ndlr). L'imaginaire alimenté par les Américains s'est nourri du niveau 5. Alors qu'en réalité, Tesla rappelle après un accident que le conducteur doit garder le contrôle de son véhicule. Même sur l'autoroute, pourtant censée être un cas d'usage simple, le problème du franchissement de péages n'a pas encore été réglé. Je pense pour ma part, peut-être est-ce mon tropisme français, que les premiers services commerciaux seront sur des itinéraires et cas d'usage assez balisés. Quant au véritable niveau 5, je suis incapable de vous dire quand il sera déployé commercialement.

Anne-Marie Idrac participera à Autonomy, le salon de la mobilité urbaine, dont le JDN est partenaire, et qui se tiendra à Paris du 18 au 20 octobre. Elle interviendra sur la table ronde "Making greater paris the mobility capital of the world" aux côtés de Catherine Guillouard (présidente RATP), Chiara Corazza (managing director women's forum for the economy & Society) et Alexandra Dublanche (vice -présidente région Île-de-France) le jeudi 18 octobre à 10h.

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