L'évolution du vote doit apporter de réels bénéfices sans contrevenir aux principes fondamentaux du suffrage

Respecter les droits fondamentaux d'une élection démocratique et républicaine, c'est la fonction que doivent remplir les machines à voter.

Le vote électronique a-t il un avenir ?

Il est très important de faire la distinction entre le vote électronique et les machines à voter / ordinateurs de vote. Les machines à voter sont une forme particulière de vote électronique qui est utilisé pour remplacer urne, isoloir et bulletin dans le cadre d'un bureau de vote. Le vote électronique regroupe toutes les formes de votes utilisant l'informatique, y compris le vote par Internet.  

Pour revenir à la question, en fonction de l'enjeu du vote, je peux être plus ou moins favorable à l'utilisation des technologies de l'information pour améliorer le processus électoral.  Dans le cadre d'une élection démocratique et républicaine, je ne peux y voir un avenir que dans le respect complet de trois principes fondamentaux qui sont :

1/ Le secret absolu du scrutin. La fonction de l'isoloir est fondamentale pour s'assurer que le vote n'ait pas lieu sous la contrainte. Je suis donc formellement contre le vote à distance mais tout à fait favorable à la mise en oeuvre de techniques qui permettraient à chacun de voter dans le bureau de vote de son choix.

2/ La transparence du scrutin. Tout électeur doit être en mesure de pouvoir contrôler et donc comprendre l'intégralité des mécanismes entrant en oeuvre dans le traitement de son vote.  On ne peut en aucun cas, dans le cadre d'élections républicaines, déléguer sa confiance à un petit groupe d'experts. L'étymologie du mot scrutin (de scrutinium : action d'explorer minutieusement) nous rappelle d'ailleurs qu'il a pour objet d'être surveillé scrupuleusement.

3/ La possibilité de vérifier le scrutin. En cas de doutes sur un premier comptage, il doit être possible de faire vérifier le scrutin de façon contradictoire, c'est-à-dire par un moyen différent de celui utilisé pour le premier comptage.


Vote papier et vote électronique : la différence est claire

Prenant pour acquis que l'on désigne ces jours-ci par "vote électronique" l'utilisation de machines à voter telles qu'utilisées pendant ces élections présidentielles, il est clair qu'il y a une différence énorme : tous les ordinateurs de vote qui ont été utilisés lors du premier tour des élections présidentielles enfreignent deux voir trois des principes que je cite ci-dessus, ce qui n'est évidemment pas le cas du vote papier. Aucun assure ni la possibilité de vérifier, ni la transparence du scrutin, et pour l'un des modèles agréés, il a été démontré un risque sur le secret du vote.


Un risque technique insidieux

Le premier est lié au clivage engendré par la confrontation de l'homme à la technique.  Pour schématiser, l'informatique engendre deux modèles de réaction chez le public non averti : la sacralisation ou la peur. Ils sont tous deux néfastes au processus démocratique car l'un pousse l'homme à accepter toute information issue de la machine sans se poser de question ("c'est l'ordinateur qui le dit, c'est que cela est vrai !") et l'autre va empêcher certains électeurs de voter sereinement.

Le fait que les machines actuelles n'offrent qu'une isolation très partielle au moment du vote ne fait d'ailleurs qu'accroître ce manque de sérénité.  Les autres ne voient pas ce que l'on vote, mais le fait de pouvoir voir les autres à ce moment fait perdre l'impression d'être seul au moment du vote. La transparence et le secret du scrutin tels que je les énonces ci-dessus sont donc la seule solution pour ce prémunir contre ce risque humain.

Le risque technique est quant à lui beaucoup plus insidieux dans le sens où, sur les ordinateurs de vote actuels, il ne pourra jamais être mis en évidence.  En effet, comment démontrer qu'une erreur ou une action malveillante a pu avoir lieu alors que l'urne et le bulletin ne peuvent être surveillés par un humain car ils sont dans le monde de l'infiniment petit que nous ne pouvons donc pas voir ? 

Selon la démonstration de Ken Thompson, l'un des inventeurs d'Unix, intitulée "On trusting trust", même si l'on imaginait que chaque électeur ait la capacité de vérifier le code qui s'exécute dans l'ordinateur de vote, cela n'apporterait en fait aucune garantie quant au processus ayant réellement lieu à l'échelle du nanomètre.

Contrairement aux actions courantes de la vie, l'obligation de secret du scrutin empêche complètement une vérification a posteriori, et tout le problème est là. Quand vous utilisez votre carte bleue sur Internet, vous laissez une trace sur votre compte bancaire que vous avez la possibilité de vérifier.

La maîtrise de ces risques n'est vraisemblablement pas insurmontable, mais elle mériterait que l'on y réfléchisse sérieusement, publiquement et de façon contradictoire, afin d'arriver à une évolution du vote qui apporte de réels bénéfices, sans contrevenir aux principes fondamentaux du suffrage.

Pour conclure, je souhaiterais réagir à la tribune de Gilles Kuntz "Les programmes des ordinateurs de vote doivent être des logiciels libres" en orientant le lecteur vers l'interview que François Elie (président de l'Adulact) et moi-même avons acordée à David Lapetina, intitulé "L'ouverture du code n'est pas une solution pour les ordinateurs de vote".


Nicolas Barcet
maintient une rubrique au sujet la liberté de vote sur Betapotique.fr.