Prescription et communications électroniques : un délai très (trop ?) court

Disposition mal connue du Code des Postes et Communications Électroniques, l'article L.34-2 édicte un délai (très) court de prescription concernant les sommes dues ou versées aux FAI. Par ailleurs, les conditions générales des prestataires ont tendance à étendre ce délai à toute forme d'action en responsabilité, y compris le défaut de qualité de service. Il serait temps de s'interroger sur la justification de cette dérogation aux règles habituelles du commerce.

Parmi les dispositions légales peut-être méconnues des relations entre opérateurs télécom, FAI et utilisateurs figure celle relative à la prescription en matière de prestation de communications électroniques.

L'ancien article L.126 du Code des Postes et Télécommunications, devenu l'article L.34-2 du Code des Postes et Communications Électroniques (CPCE), édicte un bref délai d'un an pour discuter du prix facturé par les prestataires.

En d'autres termes, les clients disposent d'un délai d'un an pour réclamer le remboursement des sommes qu'ils estiment indûment versées, et les opérateurs "L.33-1" du même délai pour réclamer le paiement des sommes dues.

L'article L.34-2, de rédaction ancienne, voire ambiguë sous certains aspects (cf. notamment la notion "d'usager" du 2ième alinéa), a pourtant subi un léger toilettage en 2004 quant à son champ d'application. Longtemps cantonné aux relations entre les opérateurs télécom et leurs abonnés, cet article est désormais également applicable aux relations entre les fournisseurs d'accès Internet (FAI) et leurs clients.

Quant aux services concernés, l'article L.34-2 est applicable aux seules prestations de communications électroniques, c'est-à-dire, selon le 1° de l'article L.32 CPCE, aux "émissions, transmissions ou réceptions de signes, de signaux, d'écrits, d'images ou de sons, par voie électromagnétique". Toutefois, sont exclues les prestations "consistant à éditer ou à distribuer des services de communication au public par voie électronique" (prestations de contenu).

Au-delà d'un an, il n'est donc plus possible de contester efficacement les sommes facturées et les versements effectués. Pour les clients, le délai commence à courir à compter de la date d'exigibilité des montants dus, qui n'est pas nécessairement le date de la facture. Pour les opérateurs et les FAI, il démarre à compter du jour du paiement du prix de leurs prestations.

En comparaison avec les autres délais de prescription du domaine commercial, ce délai est très court.

Du point de vue des clients-particuliers,
ce trop bref délai, souvent passé inaperçu, risque de les empêcher de faire utilement valoir leurs droits et jouera, par conséquent, contre leurs intérêts, ce qui n'a jamais été l'objectif du législateur.

Du point de vue des clients-entreprises,
ce trop bref délai porte en germe le risque d'une crispation rapide des tentatives de règlement amiable des litiges. En d'autres termes, clients et prestataires risquent d'être rapidement tentés par l'aventure contentieuse afin de préserver leurs droits, au détriment - nécessairement - de l'avenir de leur relation commerciale.

Et ce, d'autant plus que les textes se montrent très stricts à l'égard des possibilités d'interruption de ce délai. En substance et parmi les causes d'interruption, figurent essentiellement la reconnaissance par le débiteur de sa dette, la signification de l'ordonnance d'injonction de payer et l'assignation au fond. Si les deux premières causes semblent exploitables par les prestataires, seule l'assignation au fond dans le délai d'un an paraît pertinente pour les clients.

On pourra objecter cependant que ce bref délai se révèle favorable aux clients et à leurs prestataires en ce sens qu'il coïncide opportunément avec le délai de l'article L.34-1 CPCE au terme duquel les opérateurs et les FAI doivent effacer ou rendre anonymes les données de trafic concernant leurs clients.

Toutefois, outre que cela n'enlève rien à la brièveté du délai, la rédaction de l'article L.34-2 révèle que la prescription qu'il édicte ne s'applique qu'aux litiges relatifs au prix des prestations : tout autre manquement relevant de la responsabilité demeure, par conséquent, hors du champ de cette prescription spéciale. Il en sera ainsi des revendications fondées, par exemple, sur un défaut de qualité de service. Les actions qui en découlent devraient normalement relever de la prescription de droit commun, soit dix ans en matière commerciale et trente ans en matière civile. À cet égard, on peut s'interroger néanmoins sur les modalités d'administration de la preuve en cas de litige né au-delà de l'expiration du délai d'un an confrontée à l'obligation faite aux prestataires, et rappelée ci-dessus, d'effacer ou de rendre anonymes les données de communication. Dans ce cas, la coïncidence des délais d'un an des articles L.34-1 et L.34-2 risquent de jouer au détriment de l'ensemble des parties.

En pratique,
les prescriptions n'étant pas d'ordre public, les conditions générales et contrats proposés par les opérateurs télécom et les FAI tendent à assimiler tout type d'action à la prescription d'un an de l'article L.34-2. En outre et pour le même motif, les dérogations négociées dans le cadre des accords avec les clients sont possibles. La durée du délai peut être allongée ou il peut être valablement stipulé qu'une mise en demeure, par voie recommandée avec demande d'avis de réception postale, par exemple, suffit à interrompre le délai de prescription.

Dans ces conditions, on ne saurait que trop conseiller aux clients-entreprises de négocier a minima la réciprocité des clauses relatives à la prescription qui émaillent, le plus souvent à sens unique, les contrats et conditions générales de leurs prestataires. Une telle discussion sera opportunément lancée à l'occasion de la négociation de la clause de responsabilité dont le délai de prescription constitue finalement l'un des aspects structurants : que vaudrait, en effet, une excellente clause de responsabilité enserrée dans un trop bref délai de mise en oeuvre?

Quant aux clients-particuliers
, en l'absence d'un geste commercial volontaire ou favorisé, dans certains cas, par le recours à la médiation, il ne leur reste le plus souvent que la voie de l'assignation au fond, c'est-à-dire celle du procès. Gageons qu'ils risquent d'être faiblement tentés par ce mode de règlement de leurs différends, peu en phase avec leurs enjeux. Mis en regard des difficultés que semblent rencontrer les particuliers avec leurs opérateurs et FAI, le peu de contentieux généré, vaguement camouflé par quelques retentissantes affaires, ne serait alors que le révélateur d'une frustration, propice à l'intervention législative ou réglementaire souvent peu empreinte de souplesse.

En conclusion, peut-être serait-il temps de s'interroger sur la permanence du bref délai de l'article L.34-2 : une telle dérogation aux règles habituelles du commerce demeure-t-elle justifiée ?
On se souviendra qu'elle avait été voulue, initialement, pour éviter le stockage trop lourd des données de télécommunications, qu'elle interagit toujours avec les délais de conservation des données de trafic, mais dans un objectif de protection du client cette fois. On l'a vu, il n'est pas certain que le dispositif satisfasse véritablement à cet objectif pourtant essentiel.

On militera pour le moins en faveur d'une révision textuelle achevant de lever toute ambiguïté, notamment au travers d'une rédaction symétrique avec les dispositions applicables au secteur postal (cf. article 11 CPCE).

À une époque où le droit des communications électroniques tend à s'incorporer au droit commercial, peut-être serait-il temps d'en tirer également les conséquences au regard de la prescription.

Xavier Hofman