La veille et le développement des technologies propres

Suivre les évolutions des questions liées au développement durable est une démarche bien plus complexe que la veille technologique classique. Les explications de Frédéric de Hemptinne.

La montée en puissance des facteurs environnementaux et du changement climatique conduit à revoir de manière fondamentale les différents processus de production et de consommation en vigueur dans nos sociétés. Aujourd'hui, tous les secteurs d'activité, y compris les services environnementaux eux-mêmes, sont examinés de très près pour un bilan environnemental complet. Un nouvel élan est ainsi donné aux nouvelles technologies dites "propres" et donc également aux processus de veille qui encadrent ces développements. La question se pose alors de savoir si la veille sur des sujets liés au développement durable requiert une approche spécifique par rapport à la veille technologique classique sur les technologies de pointe.

 

Les technologies "propres" : des technologies pas comme les autres

Au niveau de la cible, il faut commencer par se mettre d'accord sur ce que l'on entend par "technologie propre". En effet, cela englobe aussi bien un système de gestion intelligente du trafic routier, qu'un nouveau procédé de fabrication économisant les ressources naturelles ou encore un système de télésurveillance sur l'état des forêts. On s'aperçoit rapidement non seulement que cette notion ne se limite ni à un type de technologie ni à un secteur d'activité mais aussi que les développements technologiques mis en oeuvre ne sont pas particulièrement "verts" en tant que tels au départ. En fait cela n'a pas grand-chose à voir avec le contenu technologique. Ce qui distingue les technologies propres, c'est surtout l'application de la technologie et les bénéfices environnementaux qu'elle engendre. La notion recouvre des aspects fortement liés à la gestion même de l'activité économique (intégration des paramètres de gestion des déchets au niveau du service des achats, par exemple) et du contexte local (cela vaut-il la peine d'économiser l'eau sous des climats humides ?).

 

On trouve également de grosses différences au niveau des forces qui sous-tendent le développement technologique. Dans les secteurs de pointe (IT, biotechnologies, etc.), la plupart des technologies sont développées par des spécialistes en laboratoire selon un rythme endogène, induit par le progrès des connaissances scientifiques (cf. la loi de Moore sur la puissance des microprocesseurs) et les besoins du marché dans le secteur concerné. Dans le cas des technologies propres, le rythme de développement technologique est plutôt exogène, induit de façon diffuse par l'état des ressources naturelles, les attentes des stakeholders et, au final, par la législation. Les mécanismes de marché n'ont guère d'influence directe à l'exception notable du CO2 pour lequel le protocole de Kyoto a créé un marché artificiel. Pour la mise en place des autres technologies propres, cette question se limite le plus souvent au financement de l'infrastructure.

 

Quels spécialistes pour les questions de développement durable ?

Ensuite, pour évaluer les résultats de la veille, on peut se demander s'il existe des spécialistes du développement durable. Le domaine semble en effet tellement vaste et complexe que les acteurs sont amenés à se projeter bien au delà des limites de leur expertise individuelle et de leurs activités de base. En plus, il est en pleine révolution et progresse par à-coup au fur et à mesure qu'un consensus s'établit entre les acteurs. D'une manière générale, on manque de recul sur sa mise en oeuvre. Toutefois, à l'instar des processus "qualité totale", il existe des "intégrateurs" capables de connecter les différents composants, de construire un système de gestion et de l'adapter en continu.

 

Au-delà du besoin habituel de suivre l'évolution des technologies et la position des différents acteurs, la veille sur les technologies propres doit aussi pouvoir cerner en parallèle les interactions entre un type d'activité et un contexte environnemental largement partagé avec d'autres acteurs. Autrement, l'étendue des domaines à couvrir et le nombre d'acteurs risquent bien de noyer le processus. Une simple collecte d'information couplée à un jugement d'experts n'y suffira pas. En l'absence de liens de causalité linéaire, il faut mettre en place les outils aptes à bâtir un modèle représentatif et à intégrer les différents apports dans un cadre cohérent. Ce modèle doit pouvoir évoluer pour se concentrer sur les éléments réellement congruents et s'adapter à un contexte évoluant très rapidement. 

 

S'appuyer sur l'Europe

Tout cela suppose un énorme travail d'observation et d'apprentissage. La scène européenne est très intéressante de ce point de vue car c'est le forum politique qui façonne la plupart des législations environnementales qui seront mises en oeuvre à moyen terme dans les Etats membres. C'est aussi l'endroit où la plupart des parties impliquées sur un sujet environnemental viennent faire entendre leurs préoccupations auprès des décideurs politiques. Ainsi la Commission européenne coordonne de nombreux groupes d'experts en charge d'évaluer les mesures prises et le besoin d'en adopter de nouvelles. Elle dispose de nombreuses sources d'information dont les rapports de l'Agence Européenne de l'Environnement et du centre de recherche commun (JRC).

Parallèlement, la Commission a mis en place des programmes de cofinancement (LIFE+, CIP-ecoinnovation, ICT) qui permettent de démontrer de nouvelles solutions innovantes en faveur du développement durable. Le fait de se voir attribuer un tel projet constitue une véritable forme de reconnaissance de l'excellence d'un projet et ouvre la porte à de nombreux réseaux européens. On peut ainsi faire d'une pierre deux coups.

 

En conclusion, les incertitudes nombreuses et complexes qui jalonnent la route vers le développement durable imposent la veille comme un outil indispensable même si cela nécessite un traitement plus approfondi au niveau de l'analyse de l'information. A moins de se construire une vision d'ensemble sur ce qui constitue leur "empreinte écologique", il paraît difficile pour les acteurs d'accompagner le changement et d'en tirer le meilleur parti. C'est également un défi pour les spécialistes de veille mais le réussir donnerait à ce métier ses lettres de noblesse à titre définitif.