Pourquoi le nécessaire redéploiement du management passe par la philosophie
Nées il y a 50 ans, les théories du management ne sont plus en phase avec les besoins d’organisations mondialisées, financiarisées et technologiques. Le recours à la philosophie pose les bases d’une refonte du management à condition de combiner regard philosophique et passage à l’opérationnel.
Les crises à répétition dont nul ne voit l’issue, accompagnées
de leur cortège de désordres, conduisent les entreprises, bon gré mal gré, à
s’interroger sérieusement sur la pertinence générale de leur « business
model » (stratégie, organisation, procédures, processus). L’explosion de
la bulle Internet en 2000, la débâcle d’Enron et d’Arthur Andersen – mais qui
s’en souvient - ou plus de près de nous,
la crise financière de septembre 2008 qui a emporté Lehman Brothers et plus
récemment encore le démantèlement de Dexia, les menaces de « défaut
partiel » dans la zone euro, sont autant de signes révélateurs d’une
rupture majeure.
A condition de savoir les interpréter et d’en tirer les
enseignements adéquats. Implicitement ou non, les méthodes de management déployées en continu pendant des décennies sont aujourd’hui ouvertement remises
en cause. Par les entreprises d’abord, mais également par quelques sociétés de
conseil, voire, certaines écoles de commerce.
Le terme même de management est contaminé, contesté,
parfois rejeté. Du personnel politique au citoyen en passant par les décideurs
économiques, chacun sent bien, au fond, qu’un modèle a vécu et qu’il sera
dorénavant impossible de fonctionner sur le mode ‘business as usual’, ne serait-ce qu’en raison de la contrainte écologique,
de l’avènement d’un monde pluri-polaire et de la propagation des NTIC.
La « philo » peut transformer l’organisation
Une discipline est capable de produire un effet
d’entraînement dans la nécessaire transformation des organisations : la
philosophie. Le CV de la ‘philo’ est impressionnant. Paradoxalement, la
philosophie tire son actualité de son… ancienneté. Elle affiche 27 siècles
d’expérience, pour se limiter à la pensée occidentale, sur l’homme, le monde,
la société, l’économie l’entreprise, la science, jusqu’aux technologies. Son pouvoir ? Embrasser le phénomène humain dans sa
totalité à l’aide des concepts à la fois massifs et nuancés. Les concepts en question concernent la société en général et chacun de
nous en particulier, dans notre qualité d’individu, autrement dit, de sujet
pensant, pour paraphraser Descartes. Non seulement la « philo » peut –
mais elle doit - déboucher sur des scénarios d’action précis.
Le cas du secteur
banque finance, régulièrement sous le feu des critiques et à la recherche d’un
nouveau souffle, est intéressant à observer. Malgré une incontestable prise de
conscience, les banques n’en finissent plus, par exemple, de s’empêtrer dans
leurs projets de RSE, de développement durable ou de business
« éthique ». Et à cela,
rien d’étonnant puisque les hauts dirigeants de la place, faute d’avoir appris
à distinguer et articuler les notions de morale, d’éthique et de déontologie, ne savent pas concevoir les politiques
adéquates et encore moins les impulser. Pourtant, ils sont les garants naturels
des projets transversaux/entrepreneuriaux/sociétaux qui affectent
l’organisation dans toutes ses dimensions, du mode de production des offres,
jusqu’à l’image véhiculée auprès de la société civile et des médias.
Prévenir les conflits, dépasser les obstacles, c’est possible
Autre exemple : les
conflits de personnes, endémiques dans les équipes. Il existe différentes
techniques, dont l’assertivité, comme mode de résolution. Sur le terrain, ces
techniques ont démontré leur utilité. Mais, pourquoi ne pas faire un pas
au-delà en analysant, en amont, ce qu’est un conflit et surtout comment chacun
le perçoit d’abord et le vit ensuite. Cette intervention sur les
représentations mentales est, typiquement, un travail de philosophe. De plus, ce
travail de clarification en commun créé les conditions d’un dialogue, même
critique. A tout le moins, une ligne de communication minimale peut être
établie. Depuis cette position, le déploiement des techniques usuelles produit
un effet démultiplié. Ces « combinatoires » à la Leibniz constituent autant de voies de
passage pour les managers.
Cette vision, tout
sauf naïve, suscite toutefois une objection qu’il faut lever. Ainsi, les
décideurs peuvent bien sûr continuer de manager à cout terme en laissant de
côté tout réel travail de réflexion, attitude encore courante, mais à long
terme, cette position est intenable. Les distorsions entre les valeurs
revendiquées et des pratiques mal définies et pilotées dans le flou, engendrent
des dysfonctionnements finalement très coûteux au figuré comme au propre. Aujourd’hui,
l’effet d’entraînement entre le discours diffusé par les responsables et l’action
« au niveau du terrain » ne cesse de s’affaiblir. C’est pourquoi,
progressivement, les entreprises, plus par contrainte que par conviction,
acceptent d’explorer des voies plus fécondes. La philosophie en est une.
Un « diagnostic philosophique » pour agir avec lucidité
La méthode à déployer se résume simplement : après
une phase, rapide mais intense de « diagnostic philosophique », le
passage à l’opérationnel auprès des personnes ou des équipes est systématiquement
construit au cas par cas, en puisant, sans interdit, dans l’intégralité des
sciences et des représentations humaines, de la sociologie au cognitivisme, en
passant, le cas échéant, par l’art.
Dans la mesure où elle intègre au lieu
d’exclure, cette approche évite deux écueils évidents:
d’une part, se cantonner
à une réflexion de portée philosophique, mais déconnectée des processus réels
de transformation,
d’autre part, se limiter à une répétition compulsive de
méthodes aujourd’hui à bout de souffle. Pour reprendre une image connue, il est
indispensable d’adopter la stratégie de l’hélicoptère, c’est-à-dire opérer un
mouvement de va-et-vient permanent d’une position en surplomb, nourrie des
travaux des plus grands penseurs de l’humanité, vers les réalités humaines les
plus concrètes.
Où l’on reparle des vertus de la culture générale
Contrairement aux
cabinets classiques qui continuent de miser sur l’inévitable tandem
junior/senior, des missions de conseil partant d’une réflexion philosophique
exigent des profils justifiant d’une forte expérience humaine, armés d’une
forte culture générale - une vertu qui opère un retour en force- ce qui leur confère
l’intelligence de la situation et surtout en auto-transformation constante.
Rien n’est plus contreproductif que le consultant, enfermé dans un savoir clos,
statique. En fait, beaucoup d’entreprises recherchent un modèle alternatif.
Auprès du grand
public, la philosophie est devenue un phénomène de société, comme en témoignent
quelques beaux succès de librairie. Elle est un également un atout pour penser
et vivre l’entreprise autrement. Mais précisément, si on veut éviter qu’elle ne
devienne à son tour la énième tarte à la crème en vogue dans le monde du
management, il est impératif de fédérer les idées et les énergies autour
d’offres structurées, normées et en dynamique constante.