Les managers se comportent-ils vraiment plus efficacement que des rats ?
Lorsqu'ils sont face à la prise de décision dans le cadre managérial, les managers se comportent-ils vraiment plus efficacement que des rats ? Laisser vous conter la fable du rat et du manager.
Si l’on demandait aux gestionnaires d’entreprise d’expliquer comment ils prennent leurs décisions on pourrait sans doute s’attendre à ce que qu’ils justifient leurs actions en citant des qualités comme une bonne compréhension des affaires et un talent d’analyse bien développé. Pourtant, la gestion n’est pas une science exacte. La superstition peut également y trouver sa place et ce sont des rats de laboratoire qui nous montrent comment cela est possible.
Le monde de l’entreprise devient de plus en plus complexe, rendant ainsi quasiment impossible la prise de décisions managériales pertinentes uniquement sur la base d’informations sûres, même alliées d’une bonne dose d’expérience. En réalité, il est tout à fait possible pour un dirigeant de prendre une décision aléatoire et, par la suite, de reproduire cette décision dans la durée sans gage d’efficacité.
Revenons à nos rongeurs de laboratoire. Pendant les années 1980, le chercheur Paul Watzlawick faisait partie de l’école cognitiviste de Palo Alto aux Etats-Unis. Cet expert en psychologie comportementale a rapporté une expérience qui, selon lui, prouve l’existence du rat "superstitieux".
Enfermé dans sa cage,
le rat entend une cloche, la porte de la cage s’ouvre et l’animal récupère sa
nourriture. Après un certain temps, la mise change et le rat n’accède à la
nourriture que s’il arrive à sa gamelle plus de 10 secondes après le tintement
de la cloche. S’il va trop vite, il ne mange pas. Bientôt le rat comprend qu’il
existe un décalage entre l’ouverture de sa cage et sa récompense en nourriture.
Or il se trouve qu’un
rat n’a aucune notion de la mesure du temps propre à l’humain. Ainsi, il remplit
à sa façon les 10 secondes qui s’écoulent entre sa libération et l’acte de
manger. Certaines bêtes sautent, certaines tournent en rond, d’autres se
grattent l’oreille. Chose étonnante, chaque rat répète les mêmes gestes avant
d’atteindre la nourriture. Les sauts sont les mêmes, les séances de grattage
aussi. Walzlawick en arrive ainsi à la conclusion que, comme le rat ne compte
pas les dix secondes, il s’accroche plutôt à des gestes rituels, qu’il en vient
à considérer comme la raison pour laquelle il réussi à manger. Le rat est
devenu superstitieux. Bien que ses gestes répétitifs n’aient aucun lien avec sa
réussite, il considère cette petite séquence de mouvements comme primordiale
sans comprendre pourquoi. En gros, il s’est complètement trompé, mais persiste
dans ses habitudes, convaincu du bien fondé de sa démarche.
Une étude effectuée à
Audencia sur des étudiants en management révèle certains traits de ressemblance
entre les décideurs d’entreprise et ces rongeurs de Palo Alto. La recherche est
pratiquée lors d’un jeu de simulation pendant lequel les étudiants doivent
gérer une entreprise virtuelle. Parmi les variables habituelles, le professeur
introduit un facteur X, en indiquant clairement que son effet sur la
performance n’est pas prouvé. Or, bien que ce facteur soit réglé de telle sorte
qu’il n’ait aucun effet sur la performance des équipes, on observe que nombre
de managers en herbe choisissent de l’intégrer à leur stratégie, l’utilisant et
le réutilisant sans savoir pourquoi. On remarque aussi que ce sont les équipes
dirigeant les entreprises virtuelles les plus profitables qui sont les plus
friandes du facteur X et qui, comme le rat, s’accrochent à cette superstition
pour expliquer en partie leur réussite. Nous sommes ici loin de l’image du
décideur bien informé et capable de justifier ses actions.
Que ce constat nous
dit-il sur le monde de l’entreprise et ses managers ? Si l’on transpose
ces résultats du monde du business virtuel au monde des vraies affaires, on
peut postuler que les entreprises les plus rentables sont celles qui peuvent se
permettre d’être les plus ‘superstitieuses’. De la même façon que les équipes
performantes dans le jeu de simulation ne souffraient pas de leur choix contre-productif
d’intégrer le fameux facteur X, on peut supposer que les gestionnaires des
sociétés les plus profitables basent au moins une partie de leurs décisions sur
des superstitions dont l’efficacité n’a jamais été prouvée. Tout cela passe le
plus souvent inaperçu puisque la bonne performance générale de l’entreprise
arrive à absorber sans problème ces facteurs X. Quand on est riche, c’est
finalement assez difficile de devenir pauvre.
Pour les PME, la
situation n’est sans doute pas comparables. Les moins puissantes des équipes
d’étudiants, comme les entreprises plus modestes, sont dotées de moins de
capacité à absorber des décisions "irrationnelles". Limités en marge de
manœuvre, leurs dirigeants doivent agir presque uniquement sur des bases
rationnelles sauf à compromettre l’existence même de leur entreprise.
Les conclusions susceptibles
d’être tirées de ces constats mettent un grain de sable dans les rouages du
management : les grandes entreprises sont gérées d’une façon plus aléatoire que
les petites, les décideurs ne comprennent pas toutes leurs décisions et notre
ami le rat se comporte comme un manager de demain.