Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine Des bureaux gelés

Froid administratif et rigueurs de l'hiver chinois

« La température, particulièrement clémente tout le mois d'octobre, a effectué en quelques jours une baisse brutale. J'ai froid et ni à l'usine, ni dans mon lotissement le chauffage ne fonctionne. Renseignements pris, cette situation devrait durer jusqu'au quinze novembre, date officielle de l'entrée de l'hiver dans la ville de Tian Jin. L'hôtel Sheraton et quelques établissements de prestige dérogent à cette mesure, pas l'" Expressway Hostel ". Néanmoins, à la réception, les employées disposent d'un radiateur électrique à accumulation dont elles s'éloignent le moins possible. L'insistance de mon regard sur ce chauffage d'appoint aurait-il suffit ? Trois jours après mon déménagement, le responsable de l'entretien arrive avec deux radiateurs, un par étage, que j'installe dans la salle d'eau et la salle à manger.

"Pire, les toilettes sont gelées, les urinoirs couverts d'une gangue de glace et le sol, habituellement inondé, est transformé en patinoire"

Dans un souci de planification et peut être également d'économie, nos administrations hexagonales fixent des dates de début et de fin de période de chauffage. Sans doute basées sur un traitement statistique des températures des années précédentes, ces dates paraissent parfois assez arbitraires à des usagers qui grelottent et à des contribuables qui voient partir leur argent par les fenêtres (ouvertes). Ici en Chine, rien de similaire, l'hiver suit les directives administratives : l'allumage des chaudières est synchrone avec l'arrivée des gelées. Au quinze novembre, le gel s'abat sur toute la ville de Tian Jin. Les canaux, les étangs... pas un point d'eau ne reste libre de glaces. L'hiver s'installe en une nuit ! Seul le fleuve qui traverse la ville fait exception. Avec ce froid, les loisirs s'adaptent. On pêche au trou ou on patine. Les deux activités cohabitent.

A mon domicile le chauffage fonctionne assez bien, pour autant que l'on se satisfasse des conditions d'une maison individuelle mal isolée. Je retrouve les conditions de la maison de mes grands-parents : dix huit degrés d'ambiance. Sans les radiateurs électriques, la température descendrait à seize dans la salle de bain. A l'usine, les conditions sont beaucoup plus spartiates : quatorze degrés dans les bureaux et pratiquement zéro dans les ateliers. Tout le monde se couvre ! Notre directeur adjoint, monsieur Mu Xian Sheng, ne sort plus que vêtu d'un immense manteau vert de l'Armée Populaire. On n'aperçoit plus de lui qu'une touffe de cheveux teints émergeant des coins relevés de son col de fourrure synthétique. Tout le reste a disparu, serré entre les deux pans tirés l'un sur l'autre de son vêtement. Maubard est vêtu plus sobrement, tout en bleu marine. Il me fait quelques commentaires sur le froid à l'usine et en dehors de l'usine :

- A l'usine, il fait froid, mais au moins avons-nous un peu de chauffage. La plupart de nos salariés sont à peine chauffés à leur domicile. L'an passé, à la même période, je confiais à madame Grace, mon interprète, que j'avais hâte de retrouver mon domicile pour retirer mon manteau. Sa réponse a immédiatement fusé : " chez moi, je remets une couche "... je n'ai rien ajouté. Il y a des fois où il vaut mieux se taire.

A la maison d'hôtes de TMP la température est devenue sibérienne. Curieux spectacle que celui de cette petite communauté d'expatriés, tous figés, tous agglutinés les uns sur les autres dans un décor animé par les seules volutes de vapeurs des tasses à thé. Le chauffage est pratiquement inexistant et la plupart d'entre nous gardons nos manteaux pour manger. Pire, les toilettes sont gelées, les urinoirs couverts d'une gangue de glace et le sol, habituellement inondé, est transformé en patinoire, l'endroit quoique dangereux est toujours utilisé. »

Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine, Christophe Tanguy, Maxima-Laurent Du Mesnil Editeur, Juin 2008, pages 191-192