Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine Repas d'affaires improvisé

Repas d'affaires au Gou Bu Li

« A l'issue de la réunion plénière du lundi après midi, Maubard nous prend à part, Pallakes et moi.

- J'ai eu confirmation de la venue du directeur de l'unité de Belfort à Pékin, Il n'a pas d'obligations mercredi soir et pourra donc vous recevoir. Je fais préparer un véhicule, le mieux serait que vous quittiez l'usine avec Sennof vers seize heures trente.

Nous voilà fixés !

A peine suis-je sorti de la salle que me voilà à nouveau sollicité. Par Rocheport cette fois.

- Es-tu libre pour dîner au restaurant ce soir ? Nous avons aujourd'hui la visite d'une importante délégation chinoise qui, naturellement ne s'est pas annoncée... pour être crédible en tant que joint venture, nous devons être au moins deux expatriés à table.

"Malheureusement, quelqu'un a commandé une bouteille d'alcool blanc et nous devons sacrifier au rituel des petits verres"

J'apprends qu'en Chine les visites de partenaire à partenaire, client à fournisseur ou fournisseur à client, se font tout à fait à l'improviste. On débarque comme cela, sans prévenir, à des milliers de kilomètres de chez soi. Un test d'hospitalité en somme.

Naturellement j'accepte, nous partirons directement de l'usine après le travail. Le restaurant est le Gou Bu Li, un établissement célèbre de Tian Jin.

A l'heure indiquée, je descends dans le hall d'accueil du bâtiment de direction où je suis bientôt rejoint par tout un groupe, Mu Xian Sheng, le directeur adjoint de notre joint venture et Rocheport en tête. Après les présentations d'usage, poignées de mains et échanges de cartes de visite, nous embarquons dans deux minibus.

Pendant le trajet Rocheport m'explique brièvement.

- J'aurais préféré que le responsable des turbines soit présent, ne serait-ce qu'à cause des sujets qui vont être abordés, mais ce n'est pas grave en soi.

Apres une bonne heure d'un trajet particulièrement embouteillé, nous nous arrêtons à l'angle de deux petites rues : face à nous, un établissement de plusieurs étages avec pour enseigne un grand panneau en bois sombre peint de trois idéogrammes. Nos invités semblent tous très impatients, ils piaffent. Le roi de la soirée sera monsieur Duan Li du service marketing. C'est un type d'une trentaine d'années au visage en triangle accentué par une grande mèche qui lui barre le front, toujours incroyablement sale mais d'une vivacité extraordinaire. Il nous servira d'interprète.

De premier abord le restaurant est assez populaire avec au rez-de-chaussée des tables en formica alignées dans une grande salle bondée. Au premier étage, des cloisons apparaissent, les tables se font circulaires, il y a moins de monde et au troisième, l'étage supérieur où nous avons notre réservation, ce sont des salons particuliers. Le nôtre est meublé en style traditionnel avec des lambris et des meubles en bois sombre. Après la distribution des places, nous nous asseyons, les deux étrangers à côté de monsieur Duan Li, un peu plus loin notre chauffeur, ce qui agace visiblement Rocheport.

- Ici en Chine, il faut toujours que les chauffeurs soient de la partie et en plus ils se mêlent à la conversation. J'espère que ce soir celui-ci ne picolera pas trop.

Monsieur Duan Li recueille l'attention de tous pour nous conter alternativement en chinois et en anglais l'histoire du restaurant Gou Bu Li. Je n'y comprends absolument rien, mais comme tout le monde, je suis ravi d'avoir entendu l'histoire. Il paraît que l'établissement est connu de la Chine entière. Le service s'effectue dans les règles, d'abord le thé et les paquets de cigarettes, puis les plats froids, et enfin les chauds. A chaque fois, monsieur Duan Li fait pivoter le plateau tournant pour présenter le nouveau plat aux invités par ordre de préséance. Il y a l'inévitable To Fou servi tiède et épicé avec des tranches d'oloturi, un poisson superbe, et même une langouste. La queue est servie reconstituée en minuscules tranches crues dans une barque allongée avec un accompagnement de crème de raifort. Passée l'appréhension de la première tranche, le goût est excellent. La tête, elle, est servie en potage à la fin du repas après les Bao Zi, des raviolis cuits à la vapeur. La réputation de la maison repose en grande partie sur eux. Je ne compte pas le nombre de petits paniers qui nous sont apportés, il en vient sans arrêt, et à chaque fois les raviolis sont farcis de façon différente : légumes, viandes... le tout servi avec du vin blanc local. Malheureusement, quelqu'un a commandé une bouteille d'alcool blanc et nous devons sacrifier au rituel des petits verres. Grâce au ciel ceux-ci sont très petits, à peine un ou deux centilitres, et comme nous sommes relativement peu nombreux, la chose reste supportable. Le rituel est simple, chacun alternativement invite les autres à un toast, puis cul sec et on tourne. L'alcool servi n'a pas de goût particulier mais il dégage des vapeurs très typées... une vraie pestilence pour nos narines occidentales. Les Chinois s'en régalent.

Le repas terminé, nous nous livrons à de grandes effusions de poignées de mains et d'accolades devant le restaurant. Rocheport me fait signe que je peux prendre un taxi et partir, lui doit rester un peu, le temps de d'installer tout le monde dans les minibus. »

Carnets d'un expatrié au coeur de la Chine, Christophe Tanguy, Maxima-Laurent Du Mesnil Editeur, Juin 2008, pages 92-94