Victoire de Jean-Marc Morandini sur le Point

En novembre 2012, la Cour d'appel de Paris avait condamné l'animateur Jean-Marc Morandini et sa société The Web Company pour concurrence déloyale au préjudice de la société éditrice de l'hebdomadaire Le Point.

L'affaire, qui avait été relayée dans ces mêmes colonnes, était partie de la diffusion, sur le blog de l'animateur, de plusieurs articles consacrés à des sujets déjà traités sur le site internet du Point, indiquant systématiquement la source de l'information sous la forme "selon le journal Le Point…".

Le Point y avait vu une tentative de s'approprier de manière illégitime le contenu rédactionnel de son propre site internet. L'animateur et son équipe se dispensaient ainsi de trouver des sujets d'articles originaux : il leur suffisait de reprendre une information traitée par ailleurs, d'y accoler cette petite formule, pour ainsi densifier leur site internet, maintenir leur lectorat et même attirer de nouveaux lecteurs.

La Cour d'appel de Paris avait suivi Le Point dans son argumentation, en développant d'ailleurs une motivation très sévère : "Il ne suffit pas d'ouvrir une brève par la mention "Selon le journal Le Point" pour s'autoriser le pillage quasi systématique des informations de cet organe de presse, lesquelles sont nécessairement le fruit d'un investissement humain et financier considérable".

Or, par un arrêt du 4 février 2014, la Chambre commerciale de la Cour de cassation vient de casser sèchement cet arrêt. La Cour suprême reproche à la Cour d'appel de n'avoir pas suffisamment caractérisé la volonté de la société de Jean-Marc Morandini de "s'inscrire dans le sillage" de la société éditrice du Point.

La formule peut sembler absconse pour un non-juriste. Elle est pourtant traditionnelle en matière de parasitisme : commet une faute vis-à-vis des règles d'une concurrence saine et loyale l'opérateur économique qui tente de s'approprier les fruits des investissements d'un concurrent, "sans bourse délier" dit-on, et de se placer ainsi dans le sillage de ce dernier. Le parasitisme est ainsi "l'ensemble des comportements, par lesquels un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire" (Cass. com., 26 janv. 1999).

La société de Jean-Marc Morandini expliquait à l'appui de son pourvoi que les informations provenant du Point ne représentaient qu'une "infime" partie des articles qu'elle diffusait sur son site internet. Elle ajoutait n'avoir commis aucun acte de plagiat et précisait que la mention de la source des articles était exclusive de toute volonté de se placer dans le sillage du Point. La Cour de cassation l'a entendue.

Le premier enseignement de l'arrêt est que la Cour de cassation confond manifestement concurrence déloyale et parasitisme, en reprenant notamment la formule "concurrence déloyale et parasitaire". La doctrine et certains plaideurs dans son sillage s'échinent à tenter de différencier les deux notions, sans grand succès en jurisprudence. Le parasitisme n'est qu'une forme de la concurrence déloyale.

Le second enseignement de l'arrêt que la notion de "sillage" reste bien floue, alors que la cassation intervenue repose exclusivement sur elle. Traditionnellement définie de manière très vague, elle se caractérise par l'intention de profiter des investissements d'autrui, sans pour autant susciter un risque de confusion dans l'esprit du public. La faute commise le "parasite économique" consiste de manière générale à détourner l'investissement d'autrui. Classiquement, le parasitisme nécessite donc la preuve préalable d'efforts (intellectuels ou financiers) ou d'une réputation particulière, qu'un tiers tente de capter (v. not. CA Toulouse, 19 oct. 1988).  

Ces conditions paraissaient remplies en l'espèce au vu de la notoriété du nom Le Point et de la reprise, au moins régulière, des contenus de ce site. Mais l'arrêt de la Cour de cassation va contraindre les juges du fond à revoir leur motivation en la matière.