L'e-sport devient le terrain de jeu des médias et des marques

L'e-sport devient le terrain de jeu des médias et des marques Les League of Legends, Call of Duty et cie touchent un public de plus en plus important en France. Une audience jeune qui fait du secteur une économie en plein boom grâce aux annonceurs.

Deux semaines avant le Salon de l'agriculture, c'est un rassemblement d'un tout autre genre qui se tenait du côté de la Porte de Versailles. Pendant deux jours s'y déroulait la première édition de l'ESWC Winter, un événement 100% e-sport couplant rencontres informelles et compétitions. S'ils n'étaient "que" 8 000 à fouler les allées du hall de l'événement, ils étaient en revanche plus de 2 millions assis derrière leur écran à suivre les meilleurs joueurs mondiaux s'affronter à Call of Duty, un des jeux de tir les plus populaires au monde, selon l'organisateur. 

Aux manettes de l'événement, un groupe devenu incontournable sur le Web depuis son rachat par le groupe Fimalac : Webedia. Le média dirigé par Cédric Siré est devenu à force d'acquisitions un poids lourd de l'e-sport. Après le site d'info Jeuxvideo.com racheté 90 millions d'euros en juin 2014 puis, quelques mois plus tard, un autre site, Millenium, Webedia est véritablement passé à la vitesse supérieure en 2016. Il s'est emparé de deux structures phares dans l'Hexagone : Oxent, spécialiste de l'événementiel et société mère de l'ESWC, et Bang Bang Management, une structure de joueurs professionnels. Le groupe s'est également associé au PSG pour lancer sa structure e-sport.

Jusqu'à 1 million d'euros pour une place en 1ère division européenne de League of Legends

Le duo a directement inscrit une de ses équipes en deuxième division européenne d'un des jeux majeurs de la scène, League of Legends. "On parle de 70 000 euros déboursés pour s'octroyer cette place. Pour une place en première division, les tarifs peuvent monter jusqu'à 1 million d'euros", chiffre Mathieu Lacrouts, patron de l'agence de communication Hurrah, spécialisée dans l'e-sport.

Webedia présent partout sauf dans l'édition de jeux

La stratégie de Webedia est limpide : se positionner en un temps record sur tous les maillons de la chaîne de valeur du secteur. Depuis l'organisation des compétitions jusqu'à leur diffusion sur les sites maisons, en passant par la gestion d'équipes qui y participent. "Nous voulions créer un leader au sein de ce marché jusque-là très fragmenté et immature", confirme le patron de la division gaming de Webedia, Cédric Page. Ne lui manque de fait que l'édition de jeux-vidéo. "Pourquoi pas un jour ?", sourit-il. 

Un appétit qui s'explique d'abord par les perspectives de croissance qu'offre une activité qui n'est plus cantonnée à quelques geeks reclus dans leur chambre. Les estimations ont beau diverger, elles restent toutes supérieures à plusieurs millions de fans en France. Webedia estime qu'ils sont 7 millions. Un spécialiste du secteur, Newzoo, penche pour un nombre qui oscille entre 2 et 3 millions. "La France est le deuxième marché européen derrière l'Allemagne mais devant le Royaume-Uni", tranche Mathieu Lacrouts.

Toucher les millennials

Forcément de quoi susciter la convoitise des grands annonceurs qui y voient l'opportunité de toucher les 18-35 ans, ces fameux millennials que l'on trouve en masse parmi les pratiquants de l'e-sport. Des annonceurs dont fait partie la FDJ. Son partenariat avec Webedia a abouti à la création d'un circuit professionnel, la FDJ Masters League, et d'un cycle amateur, la FDJ Open Series, qui regroupera une quarantaine de tournois physiques et online. Un site FDJ e-sport est également attendu pour permettre aux joueurs d'étudier les résultats et classements et, bien évidemment, suivre la retransmission assurée par les équipes de Millenium TV. Objectif du champion des jeux de loterie et paris sportifs : s'attirer les faveurs d'un public de jeunes adultes afin de l'amener vers d'autres activités telles que le poker et les paris sportifs.

Tandis que la grande majorité des jeunes se défient des publicités classiques et que les adblockers n'ont jamais été aussi populaires, les marques se voient dans l'obligation de renouveler leur discours. L'e-sport apparait dans cette perspective comme le terrain de jeu idéal. La FDJ participe donc, au même titre qu'un autre partenaire de Webedia, Orange, au développement d'un marché qui se professionnalise à mesure qu'afflue l'argent des sponsors. "Le temps où les meilleures équipes peinent à joindre les deux bouts, en s'appuyant essentiellement sur leurs gains en tournoi, est révolu", constate Mathieu Lacrouts.

Vainqueur du tournoi Call of Duty de l'ESWC Winter, l'équipe US Optic Gaming a par exemple empoché 40 000 dollars. Ce qui reste bien peu par rapport à ce qu'elle gagne en nouant des partenariats. "Le marché a explosé avec l'arrivée des marques mainstream, note Mathieu Lacrouts. Des géants comme Adidas, qui s'est rapproché de l'équipe Vitality, et Audi, partenaire de l'équipe Astralis, y mettent des moyens conséquents."

 "On va réaliser un chiffre d'affaires quatre fois supérieur à nos prévisions lors du premier semestre 2017"

Ce dernier partenariat est notamment estimé à près de 700 000 dollars par an. "Tout dépend de l'attractivité de l'équipe et du positionnement du logo. Le montant variera entre plusieurs centaines de milliers d'euros par an pour être sur la manche du tee-shirt et beaucoup plus pour être sur la casquette ou le sponsor principal du maillot", chiffre Mathieu Lacrouts.

Les marques rebutées par ce ticket d'entrée ont d'autres alternatives. "Nous travaillons avec une marque comme Lion de Nestlé et avons rebondi sur son slogan, 'rugir de plaisir', en invitant les fans les plus bruyants à aller assister à la finale européenne de League of Legends", illustre Mathieu Lacrouts.

Au global, le marché a généré près de 22,4 millions de dollars de revenus en 2016 en France, selon une étude menée par Paypal et le cabinet Superdata. L'e-sport hexagonal pèsera près de 26 millions de dollars dès 2017 et 28,8 d'ici 2018, selon la même étude. Un jackpot pour Webedia. "On va réaliser un chiffre d'affaires quatre fois supérieur à nos prévisions lors du premier semestre 2017", se réjouit Cédric Page.

Le groupe espère même accélérer au cours du second semestre. "L'ambition c'est vraiment d'en faire un produit mainstream en nous appuyant sur notre pool de youtubeurs, Squeezie, Cyprien et consorts." 150 000 personnes ont  regardé en simultané sur Twitch l'émission le Prime à laquelle participait Squeezie.

L'e-sport s'invite en TV

Le phénomène e-sport ne se cantonne d'ailleurs déjà plus au Web. La retransmission des compétitions suscite aujourd'hui la convoitise des chaînes de TV. Mais elles se heurtent à un modèle assez particulier : ici, ce sont les éditeurs de jeux qui ont la main sur les diffusions en tant que producteurs.

Il faut donc que les créateurs d'événements se mettent d'accord avec les éditeurs pour négocier la retransmission sur le Web et en TV. Une gageure. Car les chaînes de TV exigent souvent l'exclusivité, ce qui va à l'encontre des intérêts des éditeurs comme Riot Games (League of Legends), Valve (Dota, Counter Strike) ou Activision (Call of Duty), dont la finalité est de vendre le plus de jeux possible et donc que la compétition soit accessible à un maximum de personnes. Les chaînes télé sont donc souvent obligées de transiger pour suivre le mouvement... Aux Etats-Unis, le groupe Turner a par exemple négocié l'exclusivité de l'eleague en TV linéaire mais laisse diffuser la compétition sur Twitch.

En France aussi le mouvement est enclenché. "Nous avons  lancé une émission avec Bein Sport et nous allons faire des annonces d'émissions sur d'autres chaînes dans les deux mois à venir", prévient Cédric Page. Canal Plus et L'Equipe ont déjà lancé leur émission dédiée à l'e-sport. Mais l'éditeur du quotidien sportif ne compte pas aller beaucoup plus loin. Selon son directeur général, Cyril Linette, la discipline est davantage intéressante à suivre sur Internet. "L'e-sport est un produit événementiel, pas sûr que ce soit un produit TV", a-t-il expliqué lors d'un déjeuner organisé par l'Association des journalistes médias (AJM).