Le cloud, le cheat code de Google pour faire tilter les géants du gaming

Le cloud, le cheat code de Google pour faire tilter les géants du gaming Le groupe veut appliquer aux jeux vidéo le modèle de l'abonnement popularisé par Netflix. Des fabricants de consoles aux plateformes de téléchargement, toute une industrie est concernée.

La rumeur courrait depuis plus d'un an et s'est avérée vraie. Google a bel et bien l'intention de se lancer dans l'arène du cloud gaming. Le groupe a annoncé début octobre un partenariat avec Ubisoft pour proposer à quelques heureux élus de jouer gratuitement et directement depuis leur navigateur Chrome à l'un des licences phares de l'éditeur français : "Assassin's Creed Odyssey". C'est la première incursion d'un géant du Web dans le cloud gaming alors que des spécialistes du secteur comme Blade, le créateur de Shadow, l'ordinateur dans le cloud, ou Nvidia, le fabricant de cartes graphiques pour jeux vidéo, s'y essaient déjà.

Et Google résume bien l'ampleur de la tâche qui l'attend dans une note de blog. "Le streaming d'un contenu aussi riche graphiquement, qui requiert une interaction quasi-instantanée entre le contrôleur de jeu et l'écran pose de nombreux défis. Quand ils streament de la télévision ou des films, les consommateurs supportent quelques secondes de mise en mémoire tampon, mais le streaming de jeux performants nécessite une latence mesurée en millisecondes et aucune dégradation graphique." Sans doute la raison pour laquelle le projet baptisé "Project Steam" n'est pour l'instant réservé qu'aux seuls habitants des Etats-Unis qui disposent d'une connexion de 25 mbit/s minimun, le temps d'une phase de tests qui durera jusqu'au 15 janvier 2019.

"Le jeu est de très loin la 2e typologie de contenus qui sont visionnés sur Youtube derrière les vlogs"

Pour développer son projet, Google peut déjà s'appuyer sur toute une communauté de joueurs. "Le jeu est de très loin la 2e typologie de contenus qui sont visionnés sur Youtube derrière les vlogs", observe Mathieu Lacrouts, le fondateur de l'agence spécialisée dans l'e-sports, Hurrah. Selon un sondage réalisé par Ipsos, 56% des gamers se rendent sur la plateforme pour se connecter avec leur communauté. Dans le domaine du viewing, pratique qui consiste à regarder d'autres gamers jouer, Youtube fait jeu égal avec Twitch, la plateforme rachetée par Amazon près d'un milliard de dollars en 2014.

De quoi donner quelques idées aux patrons du groupe. "Google a commencé à recruter des pointures du secteur il y a un peu plus d'un an en voyant le succès de la thématique", note Paul Amsellem, le PDG du réseau pub mobile madvertise. L'objectif ? Convertir l'audience qui fréquente Youtube Gaming à d'autres produits affiliés. "C'est ce qu'on appelle faire du cross-selling. Et le deal passé avec Ubisoft est de ce point de vue le meilleur moyen de développer sa courbe d'expérience sur le sujet", pointe Paul Amsellem. D'autant que Google n'est pas complètement néophyte en la matière. Le Google Play Store est devenu un passage obligé pour la majorité des éditeurs de jeux vidéo à mesure que les smartphones Android, près de 90% des ventes au 2nd trimestre 2018, ont envahi le marché. Une position de force qui rapporte gros à Google, qui récupère 30% de commission sur chacune des transactions réalisées au sein des versions Android des jeux concernés.

Champion du viewing et du casual gaming mobile, Google semble donc décidé à ajouter une nouvelle corde à son arc. Dans son viseur cette fois-ci, le marché des jeux vidéos qui requièrent une configuration beaucoup plus puissante que celle d'un simple smartphone. Pas vraiment spécialiste du hardware, la firme de Mountain View s'attaque donc au sujet par l'entremise d'un de ses points forts : le cloud. De quoi lui permettre d'asseoir, espère-t-elle, son emprise sur un marché qui, entre les consoles, PC et mobile, a généré plus de 120 milliards de revenus en 2017, dont la moitié sur digital, selon le spécialiste de la recherche dans l'esport Newzoo. Et des croissances à deux chiffres pour les cadors du secteur comme Nintendo (+98%) et Playstation (+35%)…

Le Netflix du gaming

"Avec Project Stream, Google esquisse les bases d'une plateforme de jeux dans le cloud qui sera accessible moyennant un abonnement mensuel", prédit Paul Amsellem. Son ambition : appliquer au gaming le modèle que Netflix a démocratisé auprès de ses 137 millions d'abonnés. Et disrupter, tout comme le géant de la SVOD vidéo l'a fait, un marché où les revenus digitaux des principaux acteurs proviennent du paiement à l'acte. Deux des leaders du secteur, la plateforme de téléchargement Steam sur PC et le PlayStation Network, permettent déjà aux consommateurs d'acheter des versions digitales sans passer par les linéaires physiques.

"Il suffira d'acheter un Chromecast à 30 euros pour diffuser sur une TV le contenu de son smartphone et jouer, avec une manette bluetooth, à un jeu comme GTA ou Assasin's Creed "

L'arrivée d'une plateforme de jeux dans le cloud accessible moyennant un abonnement mensuel de quelques dizaines d'euros permettrait à Google de casser la barrière à l'entrée que constitue, pour un joueur, l'achat d'une console de jeux ou d'un ordinateur de plusieurs centaines d'euros. "Je suis moi-même joueur de Counter Strike et c'est une passion plutôt coûteuse qui m'oblige à acheter un nouvel ordinateur tous les deux ou trois ans pour continuer à jouer", illustre Mathieu Lacrouts. Ce ne sera bientôt plus nécessaire. "A terme, il suffira à l'abonné d'acheter un Chromecast à 30 euros pour diffuser sur une télévision le contenu de son smartphone et jouer, avec une manette bluetooth, à un jeu comme GTA ou Assasin's Creed", imagine-t-il. De quoi permettre à Google de s'ouvrir tout un marché, chez les jeunes notamment, et challenger sérieusement le business de tous les gros fabricants de consoles que sont Sony, Nintendo et Microsoft.

"L'un des plus vieux rêves de Google, mettre l'ordinateur dans le cloud, a longtemps été une chimère, faute de bande passante, analyse Paul Amsellem. Mais ce n'est plus le cas grâce à la démocratisation de la fibre." On peut y ajouter l'arrivée imminente de la 5G qui permettra une massification des usages, même en mobilité. "L'abonné pourra commencer une partie chez lui et la poursuivre chez ses amis", abonde Mathieu Lacrouts. Poursuivre une même expérience, quel que soit le device ou l'endroit où on se trouve, c'est aussi la promesse de Netflix… Et c'est aussi la raison du succès d'une console comme la Switch de Nintendo qui permet de jouer dans les transports comme depuis son téléviseur.

Des éditeurs à convaincre

Reste un obstacle majeur. Google va devoir convaincre les éditeurs de jeux vidéo pour proposer un catalogue suffisamment attractif. "Ce n'est pas anodin si Ubisoft est le premier partenaire de Project Stream, estime Mathieu Lacrouts. C'était le seul grand studio de jeux vidéo à n'avoir signé aucune alliance avec un constructeur de consoles." Pour les autres, ce sera plus compliqué. On pense notamment au studio Epic Games, à l'origine du succès planétaire Fortnite, qui refuse encore aujourd'hui que la version Android de son jeu soit accessible depuis le Google Play Store. Le studio refuse en effet de reverser à Google 30% de commission sur ses ventes. On pense également à Electronic Arts, éditeurs de franchises comme Battlefield ou Fifa, qui a dévoilé fin octobre sa propre plateforme de cloud gaming, Atlas. La concurrence sera d'autant plus rude qu'un autre géant du Web, Microsoft, est lui aussi présent sur le secteur des consoles via sa Xbox. La firme de Redmond a d'ailleurs annoncé le 8 octobre dernier le lancement du projet xCloud, un service de jeu en streaming prévu lui aussi pour… 2019.