Les ICO, une menace pour les places financières traditionnelles

Les ICO, une menace pour les places financières traditionnelles S&P estime que le secteur financier ne serait pas affecté par l'explosion d'une bulle des devises virtuelles. Selon l'agence, en revanche, la croissance rapide des ICO pourrait pénaliser les places de marché traditionnelles.

Si 2017 a été l'année des crypto-monnaies, le bitcoin ayant connu une hausse de son cours de plus de 1 400%, 2018 pourrait bien être celle de la désillusion par rapport à ces devises virtuelles. La reine d'entre elles a d'ailleurs lourdement chuté depuis son record de début décembre, où elle avait atteint plus de 19 000 dollars.

Dans un rapport publié récemment, Standard & Poor's a notamment évalué quel pourrait être l'impact de l'explosion de la bulle des devises virtuelles sur le secteur financier. "Le bitcoin, initialement créé pour faciliter les systèmes de paiement en supprimant tout intermédiaire financier, a été détourné de sa fonction première et est depuis devenu un instrument de spéculation, que les investisseurs achètent non pour réaliser des paiements mais pour parier sur une hausse future de sa valeur", résument ainsi les auteurs de l'étude. Ces derniers estiment que le bitcoin n'est ni une devise (car il n'est pas accepté assez largement comme moyen de paiement), ni une classe d'actifs à part entière (car sa capitalisation, de 394 milliards de dollars, est insuffisante), ni une valeur refuge, vu sa très grande volatilité.

"Cette forte concentration et le fait que ces devises ne sont pas régulées en font un instrument idéal de manipulation des cours"

Il a donc toutes les caractéristiques d'une bulle : d'une part parce que l'offre est limitée à 21 millions de "pièces", dont 16,9 millions environ sont déjà en circulation. Certes, de nouvelles devises pourraient être créées, mais le processus de "minage" (création de bitcoins) prend du temps et, pour l'instant, les 10 premières devises virtuelles représentent 80% de la capitalisation de l'ensemble des crypto-monnaies. Preuve que l'arrivée de nouvelles devises ne changerait pas tellement la donne. La volatilité des devises virtuelles est par ailleurs extrêmement élevée : leur capitalisation a été multipliée par 33 sur les 12 derniers mois, passant de 17 milliards de dollars à 579 milliards. Autre aspect spéculatif du bitcoin, le fait que cette "devise" soit détenue par un très petit nombre d'investisseurs : à date du 18 février, 1 650 investisseurs détenant plus de 1 000 bitcoins en portefeuille contrôlaient autant que les 26,3 millions de petits investisseurs (avec moins de 100 bitcoins). "Cette forte concentration et le fait que ces devises ne sont pas régulées en font un instrument idéal de manipulation des cours", estiment les auteurs de l'étude. Enfin, les crypto-monnaies ne bénéficient pas du soutien d'un émetteur central, et leur valeur est donc totalement dépendante du sentiment des marchés.

En cas d'explosion de la bulle des crypto-monnaies, les investisseurs particuliers du Japon, de la Chine, de la Corée du Sud et des Etats-Unis seraient les plus affectés

En cas d'explosion de la bulle des crypto-monnaies, les investisseurs particuliers du Japon, de la Chine, de la Corée du Sud et des Etats-Unis seraient les plus affectés, estime S & P. Par chance cependant, la contribution des devises virtuelles à la richesse mondiale est absolument minime et la fin de la bulle n'entraînerait donc pas d'appauvrissement global de la population, comme cela a pu être le cas au moment de la crise de 2008. "Nous ne pensons pas que le bitcoin pourrait créer de risque systémique", commente ainsi Standard and Poor's, qui se félicite que l'absence de régulation ait empêché les banques de s'exposer aux cryto-monnaies. L'agence souligne également que de nombreuses banques (Citigroup, Bank of America, Discover, Lloyds...) ont interdit à leurs clients d'utiliser leurs cartes de crédit pour investir dans le bitcoin, en raison de la trop forte volatilité de la devise virtuelle. La fin de ces monnaies n'aurait donc qu'un impact très limité sur les banques traditionnelles et sur la stabilité financière dans son ensemble.

Les places financières jouissent pour le moment d'un certain degré de protection de leurs revenus, grâce au processus standardisé de levée de capitaux

D'un point de vue business, en revanche, les banques d'investissement et les places financières sont plus affectées par la multiplication des initial coin offerings (ICO), qui permettent à des start-up ou entreprises de lever des capitaux en s'affranchissant des règles d'IPO traditionnelles. Les places financières jouissent en effet pour le moment d'un certain degré de protection de leurs revenus, grâce au processus standardisé de levée de capitaux, qui requiert généralement une bonne coordination entre les banques d'investissement, les souscripteurs et les régulateurs. "Les ICO constituent donc une menace vis-à-vis de ce processus d'introduction régulé et traditionnel", commente S& P. Certes, les ICO n'ont permis de lever que 4 milliards de dollars en 2017, soit moins de 15% du total levé sur le New York Stock Exchange (et 2% du montant total des IPO mondiales l'an passé). Mais le rythme des levées en "tokens" s'est accéléré au dernier trimestre 2017. La Suisse, où 4 des 10 plus grosses ICO mondiales ont eu lieu l'an dernier, a d'ailleurs précisé dernièrement la façon dont elle comptait encadrer les levées en tokens. Preuve qu'elle compte bien profiter de la multiplication de ces opérations et que d'autres pays pourraient lui emboîter le pas. Côté français, l'AMF a quant à elle lancé en octobre dernier une consultation sur le sujet, adoptant une approche plutôt ouverte, alors que 4 ICO ont eu lieu dans l'Hexagone pour le moment. L'AMF vient d'ailleurs de publier la synthèse des réponses à cette consultation.

Si l'agence de notation ne se prononce pas vraiment sur l'avenir des crypto-monnaies et leur survivance dans les prochaines années, malgré l'effondrement récent du bitcoin, elle incite en tout cas les régulateurs à adopter une approche coordonnée sur le sujet, afin de garantir la sécurité des investisseurs et améliorer la transparence du marché.

Article originel publié sur WanSquare par Marie-Amélie Fauchier-Magnan le 19/02/2018.

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