La protection juridique des bases de données illustrée par les dernières jurisprudences

Les bases de données sont protégées juridiquement et sauf exception, l’extraction de contenus, même librement accessibles, sur Internet par exemple, n’est pas autorisée et peut coûter très cher...

Les bases de données bénéficient de deux régimes de protection juridique indépendants l'un de l'autre : la protection par le droit d'auteur et la protection par le droit des producteurs (ou droit sui generis). La protection n'est cependant pas acquise automatiquement, comme nous allons le rappeler ci-après.

Quatre décisions rendues entre décembre 2009 et avril 2010 viennent illustrer l'application de ces règles par les tribunaux. L'importance des condamnations (de 90 000 à 3,8 millions d'euros de dommages et intérêts) démontre l'importance accordée par les juges à la réparation de l'atteinte aux ayants droit.

1. Les bases de données peuvent bénéficier d'une double protection juridique

Les bases de données sont des biens immatériels particuliers. Leur originalité est souvent difficile à démontrer. Néanmoins, la personne physique ou morale ayant pris l'initiative de leur développement y a consacré du temps et des ressources financières généralement non négligeables.

Cette particularité se reflète dans un système de protection juridique spécifique : la protection par le droit d'auteur et/ou la protection par le droit des producteurs, ou droit sui generis.

            1.1 La protection par le droit d'auteur

Les bases de données sont protégées au titre du droit d'auteur conformément aux dispositions des articles L.112-3 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Les bases de données sont définies à l'article L.112-3 al.2 comme "un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen."

Pour prétendre à la protection par le droit d'auteur, la base de données doit cependant constituer une véritable création intellectuelle originale.

Or, il n'est pas toujours aisé de trouver une quelconque originalité dans l'examen d'une base de données. La base de données, pour être originale doit être plus qu'une simple compilation de données. Les tribunaux ont ainsi déterminé que l'originalité se traduisait par "l'empreinte de la personnalité de l'auteur".

Concrètement, on recherchera l'originalité dans l'architecture de la base de données et/ou dans le type de contenu, qui doivent être analysés séparément. L'auteur de la base a-t-il développé une architecture, une ergonomie, des critères de recherche particuliers ? L'originalité se trouvera également dans le choix des données, leur agencement, les outils utilisés pour y accéder, la présentation des résultats, etc.

Les données peuvent être protégées séparément car appartenant à des ayants-droit distincts (par exemple, une base de données répertoriant des musiciens de jazz et leurs œuvres), ou ne pas être protégées (par exemple, une base répertoriant des noms de rues).

Cependant, même si une base de données peut ne pas être considérée comme originale, et donc non protégeable par le doit d'auteur, elle peut néanmoins bénéficier d'une protection spécifique.

            1.2 La protection par le droit sui generis des bases de données (droits des producteurs)

Une base de données peut être protégée par le droit des producteurs de base de données ou droit sui generis, et ce, indépendamment des critères de protection par le droit d'auteur.

- Conditions de la protection par le droit sui generis : L'article L.341-1 al.1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que : "Le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel."

Ce droit protège l'investissement, qu'il soit financier (coût d'acquisition des données et d'équipement, coûts de développement), mais également matériel (obtention du contenu, investissement dans des logiciels ou des serveurs), et/ou humain (nombre de personnes impliquées dans le développement de la base et coût salarial, efforts commerciaux). (1)

L'investissement doit être substantiel, ce critère pouvant être établi en terme quantitatif (volume de données traitées ou montants investis), ou qualitatif (soin porté par le producteur de la base à faire vérifier le contenu de la base, sa pertinence, les mises à jour, et la présentation du contenu).

L'investissement est par ailleurs apprécié dans le temps : investissement initial pour développer la base de données, puis investissement pour la commercialiser et la maintenir à jour.

- Etendue et application de la protection par le droit sui generis : L'étendue de la protection est définie à l'article L.342-1 du Code : "Le producteur de bases de données a le droit d'interdire :

1° L'extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;

2° La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme.

Ces droits peuvent être transmis ou cédés ou faire l'objet d'une licence.
Le prêt public n'est pas un acte d'extraction ou de réutilisation.
"

Le producteur a donc le droit de s'opposer à tout acte non autorisé d'extraction et de diffusion au public de tout ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base de données.

A contrario, le producteur ayant mis sa base de données à la disposition du public ne peut s'opposer à "l'extraction ou (à) la réutilisation d'une partie non substantielle, appréciée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base, par la personne qui y a licitement accès ; (...)." (art. L.342-3 1°).

L'interdiction d'extraction et de réutilisation peut être étendue à des parties non substantielles de la base dans les conditions décrites à l'article L.342-2 : "Le producteur peut également interdire l'extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base lorsque ces opérations excèdent manifestement les conditions d'utilisation normale de la base de données."

Cette interdiction concerne notamment les actes d'extractions répétées de parties non substantielles afin d'aboutir à une reconstitution de la base de données.

2. L'application des règles de protection illustrée par les dernières jurisprudences

Dans quatre affaires récentes, trois en première instance et la quatrième jugée par la Cour de cassation, les juges ont appliqué les critères définis par le Code de la propriété intellectuelle, dans la lignée des jurisprudences antérieures.

            2.1 Le rappel des règles de protection (Xooloo c/ France Telecom - TC Paris 17/12/09)

La société Xooloo avait développé une base de données comprenant une liste de sites autorisés aux mineurs (liste blanche). La société Optenet avait développé son propre logiciel sur le principe de la liste noire, ne bloquant que les sites signalés comme non appropriés pour les mineurs. Nordnet, filiale de France Telecom, avait passé un accord avec Xooloo et développé une version de son logiciel en combinant les bases de Xooloo et d'Optenet.

La technologie ainsi que la liste des sites figurant dans la base de Xooloo intéressaient les sociétés Optenet et France Telecom dans le cadre de la mise à disposition des usagers d'Internet de logiciels de contrôle parental. Courant 2006, les sociétés Optenet et Xooloo avaient tenté, sans succès, de négocier un accord de licence de la base de Xooloo.

Par ailleurs, France Telecom ne renouvela pas son contrat avec Xooloo à son échéance et parallèlement, Optenet développa une base de données en liste blanche.

Xooloo estima qu'Optenet, en mettant au point une base de données en liste blanche en quelques mois, s'était procuré sa base de données frauduleusement.

Pour déterminer l'étendue des droits de Xooloo, le tribunal examina la nature des droits de Xooloo sur sa base de données.

En l'espèce, le tribunal reconnaissait le caractère original de la base développée par Xooloo, et donc sa protection par le droit d'auteur.

Dans un deuxième temps, le tribunal reconnaissait que Xooloo avait investi des sommes importantes pour créer cette base et pouvait en conséquence bénéficier de la protection instaurée par les articles L.341-1 et L.342-1.

Concernant l'extraction non autorisée de son contenu par la société Optenet, le tribunal retenait que la rapidité avec laquelle Optenet avait réalisé sa propre base en liste blanche (moins de trois mois contre trois ans pour Xooloo), associé au fait que l'on retrouvait des adresses pièges de la base Xooloo dans celle de Optenet, permet de conclure que Optenet avait la "volonté significative d'utiliser, frauduleusement, la base de données d'un concurrent." Ces agissements ont permis à Optenet de mettre sur le marché sa base en un temps record, et de la commercialiser à des tarifs très inférieurs à ceux pratiqués par Xooloo.

Le tribunal condamna in solidum les sociétés Optenet et France Telecom à payer à Xooloo plus de 3,8 millions d'euros en réparation de l'utilisation frauduleuse de sa base de données. (2) 

            2.2 Une base de données, même non originale, peut être protégée par le droit sui generis (Optima on Line c/ Media Contact Israel - TGI Paris 13/04/10)

La société Optima On Line a développé et commercialise une base de données regroupant des informations sur les entreprises françaises, y compris des adresses email. La société Media Contact commercialise une base de données contenant des adresses email d'entreprises françaises.

Selon la société Optima On Line, la base de données exploitée par Media Contact serait une copie de sa propre base de données.

Concernant l'originalité de la base de données d'Optima On Line, et la protection par le droit d'auteur, le tribunal retient que la société Optima On Line ne démontre pas que "le choix et la disposition des matières sont originaux, c'est-à-dire qu'ils portent l'empreinte de la personnalité de son auteur. A défaut de décrire les choix opérés, de les citer et d'en exposer les motifs d'originalité, la société Optima On Line ne peut être qualifiée d'auteur de la base de données (...)".

En conséquence, faute d'avoir démontré le caractère original de sa base de données, Optima On Line ne peut bénéficier de la protection par le droit d'auteur.

Dans un deuxième temps, le tribunal examine les critères du droit des producteurs pour déterminer si la base de données peut bénéficier du droit sui generis.

La société Optima On Line avait produit les factures de développement de la base (développements techniques, collecte des données, etc.) pour prouver l'importance de l'investissement financier initial puis les factures représentant les coûts de mise à jour de la base, ainsi que les bulletins de paie des salariés impliqués dans le projet. Le caractère substantiel de l'investissement est ainsi retenu par le tribunal.

Le tribunal relève en outre que la base de données de Media Contact reprend des adresses pièges figurant dans la base de données de la société Optima On Line et en déduit qu'il s'agit d'extractions substantielles, portant atteinte aux droits de producteur de base de données.

Le tribunal condamne donc la société Media Contact à payer à Optima On Line 150 000 euros en réparation de l'utilisation frauduleuse de sa base de données. (3)

            2.3 L'extraction d'une partie même non substantielle d'une base de données peut être constitutive d'une violation du droit sui generis (AFP c/ Topix Technologies et Topix Presse - TC Paris 5/02/10)

L'AFP, en qualité d'agence de presse sélectionne, rédige et publie des dépêches, l'ensemble de ces dépêches constituant sa base de données.Topix Technologies exploite un site dénommé universalpressagency.com. Après avoir découvert que ses dépêches étaient reproduites sans son autorisation sur le site universalpressagency.com, l'AFP a fait dresser quatre constats et assigné les sociétés Topix Technologies et Topix Presse.

En l'espèce, le tribunal retient que les constats ne portaient que sur un nombre très limité, et donc non substantiel, de dépêches. Cependant, chaque dépêche est rédigée en termes identiques ou quasi-identiques à celle produite par l'AFP. En outre, le fait que ces reproductions se soient répétées permet au tribunal d'en conclure que ces agissements étaient habituels.

Le tribunal déclare ensuite la base de données de l'AFP originale : "(...) les dépêches de l'AFP bénéficient individuellement, et collectivement, rassemblées en base de données, de la protection accordée à l'auteur par les articles L. 112-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle". Les sociétés Topix se sont donc rendues coupables de contrefaçon "en recopiant servilement des phrases entières des dépêches de l'AFP, voire la totalité de celles-ci (...)."

Le tribunal retient que le budget annuel du service de l'AFP en charge de produire les dépêches et de constituer la base de données étant de l'ordre de 45 millions d'euros, celle-ci bénéficie de la protection sui generis.

Enfin, même si l'extraction des dépêches par les sociétés Topix n'est pas substantielle, l'utilisation de la base de données de l'AFP est payante et la reproduction des dépêches de l'AFP est protégée et soumise aux conditions définies dans ses contrats d'abonnement.

La réutilisation par le site universalagencypress.com de dépêches de l'AFP sans son autorisation porte donc atteinte aux droits du producteur, en application des dispositions de l'article L.342-2 du Code de la propriété intellectuelle.

Le tribunal condamne in solidum les sociétés Topix Technologies et Topix Presse à payer à l'AFP 90 000 euros en réparation de l'utilisation frauduleuse de sa base de données. (4)

            2.4 Le cas de l'annuaire de France Telecom : annuaire, base de données et position dominante (Lectiel c/ France Telecom - Cass. 23/03/10)

 La dernière affaire concerne une procédure complexe et à multiples facettes, qui dure depuis presque 20 ans. Nous ne reprendrons que les quelques éléments qui nous intéressent ici.

Cette affaire concerne France Telecom en qualité d'éditeur de l'annuaire. La société Lectiel a pour activité la commercialisation, la mise à jour et l'enrichissement de fichiers pour des opérations de publipostage et de télémarketing.

Depuis de nombreuses années, cette société utilise les données de la base annuaire de France Telecom. A plusieurs reprises, la société Lectiel a demandé à France Telecom de lui communiquer la liste orange afin d'extraire les abonnés de cette liste de la base de données. Lectiel soutenait que les tarifs pratiqués par France Telecom pour commercialiser ses bases de données étaient prohibitifs et que compte tenu de son statut, elle abusait de sa position dominante.

L'intérêt du présent arrêt de la Cour de cassation, reprenant des arguments développés en appel, réside dans l'analyse que les juges font de l'annuaire et des droits de France Telecom.

La Cour distingue ainsi entre l'annuaire "de base", constitué seulement des renseignements fournis par les abonnés, que France Telecom avait obligation de tenir et de mettre à jour, et la base de données "enrichie" d'informations formant "un ensemble spécifique pour lequel celle-ci (France Telecom) a conçu et défini les opérations utiles en leur affectant les moyens correspondants; (...)." La Cour relève que cette base de données avait été constituée par un apport intellectuel de France Telecom, et que l'investissement financier sur la période 1992-2000 s'élevait à 10,6 millions d'euros. La Cour confirme ainsi que la cour d'appel avait reconnu un droit sui generis à France Telecom non pas sur l'annuaire, "mais sur la base de données constituée à partir des informations résultant de l'annuaire et enrichies par elle."

Enfin, la Cour rappelle que France Telecom est titulaire de droits de propriété intellectuelle et du droit sui generis sur la base de données, qu'à ce titre, elle était en droit d'inclure dans ses tarifs la rémunération de ses droits, sous réserve de l'obligation de fournir les données en respectant les principes de concurrence. La société Lectiel ayant téléchargé la base de données de manière non autorisée, et commercialisé cette base de données sans en payer les droits correspondants à France Telecom, a commis des fautes à son encontre.

La Cour confirme ainsi en partie l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 septembre 2008. Lectiel est ainsi condamnée à payer 3 870 000 euros en réparation du préjudice subi par France Telecom pendant une durée de 18 ans. (5)

 

(1) Ces critères d'appréciation ont été précisés dans quatre arrêts de la CJCE rendus le 9 novembre 2004 : arrêts No C-203/02 British Horseracing Board Ltd c/ William Hill Organization Ltd ; C-444/02 Fixtures Marketing Ltd c/ Organismos prognostokou agonon podosfairou AE (OPAP) ; C-46/02 Fixtures Marketing Ltd c/ Oy Veikkaus Ab ; C338/02 Fixtures Marketing Ltd c/ Svenska Spel Ab

 (2) TC Paris, 17 déc. 2009, Xooloo c/ SARL Optenet Center, Optenet et France Telecom. Ce jugement est frappé d'appel.

 (3) TGI Paris, 3éch., 13 avril 2010, Optima On Line c/ Media Aff. Optima on Line c/ Media Contact Israel Ltd et Agence des Medias Numériques (Amen)

 (4) TC Paris, 5 fév. 2010, Agence France Presse c/ Topix Technologies et Topix Presse. Ce jugement est frappé d'appel.

 (5) Cass. soc., 23 mars 2010, SA Lectiel c/ France Telecom