Tristan Nitot (Fondation Mozilla) : " 565 millions de téléchargements : nos parts de marché, c'est de l'influence"

Performances, intégration des extensions, idées pour l'avenir ; le président Europe de la fondation Mozilla explique ce qui fait l'originalité de Firefox 3 et des équipes qui le supportent.

Avec Firefox 3, vous revendiquez plus de 15 000 améliorations depuis la version précédente?

Oui, nous avons chez nous un système de rapport de bug, qui permet d'évaluer le nombre de corrections et de modifications apportées depuis la version précédente. C'est aussi un outil qui nous permet de faire remonter des suggestions, comme des traductions de Firefox dans de nouvelles langues.

On va livrer Firefox 3 en plus de 45 langues, et aujourd'hui il y a déjà eu plus de 565 millions de téléchargements de Firefox toute versions confondues.

Nous avons beaucoup d'utilisateurs, je dirais qu'il nous en faut. Sans cela, on n'impacte pas la vie des gens et on ne force pas l'acteur dominant à se remettre au boulot. C'est pour cela que, pour nous, il est important d'avoir des parts de marché.

Cette revendication est souvent prise à l'extérieur comme une volonté d'imiter une société commerciale. Mais une société commerciale a besoin de parts de marché parce que c'est générateur d'argent. Nous, c'est important parce que c'est générateur d'influence.

Alors qu'est ce qui motive vos équipes et la communauté à sortir de nouvelles versions ?

Notre objectif est de promouvoir le choix et l'innovation sur Internet. Nous faisons le constat que l'accès à Internet est essentiel et que cela passe presque à chaque fois par un navigateur.

Pour vous donner un exemple sur la motivation des gens qui travaillent au développement de Firefox, il y a un bénévole allemand, étudiant, qui traduit la version de Firefox en allemand, à destination de l'Allemagne et de l'Autriche.

Ce garçon, extrêmement sympathique, qui ne la ramène pas, et fait très bien son boulot, produit une traduction utilisée par 20 millions de personnes. C'est assez extraordinaire quand on est membre de cette communauté de se dire : "Moi, à ma modeste échelle, j'aide 20 millions de personnes à avoir un meilleur accès à l'Internet ".

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"En temps de chargement, nous sommes sous les 100 millisecondes" © Cécile Genest / Journal du Net

Quand avez-vous commencé a travailler sur Firefox 3 ?

Firefox 3 est en développement depuis 3 ans. En fait, nous avons fait un développement parallèle avec Firefox 1.5 et Firefox 2 et Firefox 3. C'est le résultat de trois ans de travail acharné.

Le travail sur la vitesse et la mémoire a-t-il porté ses fruits ?

Oui, le gain de rapidité est impressionnant par rapport à Firefox 2 et surtout par rapport à Internet Explorer 7. Sur les tests de chargement d'un message dans Gmail, on constate qu'a 100 millisecondes, l'humain considère la réaction comme instantanée. Nous sommes avec Firefox 3 à 60 millisecondes. Les autres sont au-dessus des 100 millisecondes, ce qui signifie que les utilisateurs ont l'impression d'un temps d'attente.

En termes d'utilisation de mémoire aussi, des gros progrès ont été faits. Nous avons émulé le comportement d'un utilisateur pour tester la performance mémoire. 320 sites sont démarrés dans une nouvelle fenêtre, 30 sites par 30 sites, et on mesure la mémoire utilisée de Firefox 3 Firefox 2 et IE 7.

Chaque fenêtre que l'on ferme ne rend pas de la mémoire comme la logique le voudrait. IE ne rend rien, Firefox 2 fait un peu mieux et Firefox 3 rend presque toute la mémoire. C'est un test très simple que l'on peut reproduire chez soi.

Et au niveau des fonctionnalités ?

Pour ce qui touche l'utilisateur directement, l'innovation principale, c'est la Awesome Bar qui permet de retrouver ses pages vues. Le tagging permet, lui, de rajouter des étiquettes dans les marques pages.

Côté sécurité, nous avons une nouveauté avec un anti-malware et nous avons amélioré l'anti-phishing. Il y a bien entendu d'autres nouveautés et d'autres modifications.

Certaines nouvelles fonctionnalités sont-elles le fruit de l'intégration d'extensions ?

Oui, et les extensions sont un outil de personnalisation et un gros différentiateur vis-à-vis des concurrents. Plus de 5 000 extensions permettent d'adresser des besoins de niche et de stimuler l'innovation. Cela permet aussi une innovation distribuée. Les gens n'ont pas besoin de travailler chez Mozilla pour mettre en application leurs idées.

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"En fait, des nouvelles versions de Firefox sortent toutes les nuits ! " © Cécile Genest / Journal du Net

Donc nous travaillons avec les différentes personnes qui créent des extensions et nous les intégrons si elles le souhaitent à la version suivante de Firefox.

Quel est le processus d'intégration et de modification de Firefox ?

En fait, de nouvelles versions de Firefox sortent toutes les nuits ! On prend les modifications qui ont été faites dans les dernières heures et on compile une nouvelle version de Firefox qui est mise dans un répertoire public. Des dizaines de milliers de personnes téléchargent ces compilations nocturnes pour les tester.

Le contrôle est donc entièrement la responsabilité de testeurs ?

Non, des robots contrôlent aussi les versions de test. Nous avons 160 Mac Mini qui travaillent en permanence pour exécuter des tests sur les compilations.

Et le feed-back des tests revient directement vers les développeurs ?

Oui. C'est ce qui fait qu'un développeur californien qui travaille sur un bug peut poster une modification qui sera testée pendant la nuit en Europe. Au matin, le développeur aura un feed-back de milliers de personnes sur sa modification. Cela nous permet d'avoir une itération très rapide, ce qui est exceptionnel en termes de développement.

A titre de comparaison, IE 8 a eu seulement une beta et il parait qu'il y aura une troisième beta au troisième trimestre. Mais ils se passent de tout feed-back des utilisateurs.

Mais qui gère les priorités en termes de développement, de modifications, d'intégration d'extensions ? Il n'y a pas que des testeurs et des développeurs dans la fondation Mozilla, si ?

Nous avons un processus qui est extrêmement structuré. Mozilla existe depuis 10 ans et nous avons affiné le processus depuis tout ce temps.

Nous utilisons principalement Bugzilla, qui est un logiciel que nous avons écrit, un logiciel libre, utilisé par des centaines de projets de logiciels libres. C'est un bug tracking system. Je reconnais qu'il n'est pas très joli ni trivial à utiliser, mais il contient tout le processus !

Alors quelle est la chaîne qui alimente Bugzilla ?

Hé bien une personne crée un ticket, un bug, et reporte un incident. Ensuite, n'importe qui peut intervenir sur le ticket ouvert pour donner son avis, apporter des précisions. Mais les remarques doivent être constructives, sinon c'est très mauvais pour la réputation au sein de la communauté. Puis quelqu'un de l'assurance qualité, qui passe sa vie dans bugzilla, teste et valide si c'est un vrai bug.

Puis la modification va remonter jusqu'aux développeurs, aux super reviewers, et ainsi de suite être intégrée aux nouvelles versions.

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"On a du retard Ã  rattraper et plein d'idées à mettre en application". © Cécile Genest / Journal du Net

Justement, quelle est votre politique en matière de sortie de version ?

Deux choses : on a du retard à rattraper et plein d'idées à mettre en application. Le Web a 15 ans, avec au début Mosaic et ensuite Netscape, et plein d'innovation à ce moment là.

Mais suite à la guerre Netscape / Microsoft, dès que Microsoft a vu que Netscape était mort, ils ont arrêté d'innover. C'est comme un cycliste qui monte une côte et qui arrête de pédaler dans la côte parce qu'il est sûr d'arriver de l'autre côté. IE a cessé d'innover en 1999 et jusqu'en 2007, pendant 8 ans, donc la moitié de l'histoire du Net. On a perdu beaucoup de temps.

Pour nous, des choses aussi importantes que réinventer des bookmarks, inventer des onglets, bloquer les pop-up, être sécurisé pour pas avoir de spywares et adwares, étaient essentielles et il fallait les apporter aux utilisateurs de l'Internet.

Et donc quelles sont les futures idées que vous allez mettre en place dans les prochaines versions ?

La vidéo intégrée directement dans le navigateur, c'est essentiel. Aujourd'hui, il y a un tag image, et il faudrait un tag audio et un tag vidéo. C'est complètement logique et dans le cadre du HTML 5 avec Apple, Opera, Microsoft et nous même, on est en train de définir les tags audio, vidéo, et des codecs par défaut

Il y a aussi la question du tag Canvas, qui est une zone image qui permet de dessiner des graphiques localement sans avoir à faire appel à un serveur, un programme qui se branche sur JavaScript. Nous allons utiliser la formidable puissance des cartes graphiques des ordinateurs pour travailler sur ce point.