Charles-H. Schulz (LibreOffice) "Après Prism, nous avons une carte à jouer sur le SaaS"

Comment s'est passée la collecte de fonds lancée l'année dernière ? Ou va la suite open source qui vient de fêter ses trois ans ? Réponse avec l'un des membres de la Document Foundation, qui pilote LibreOffice.

JDN. Vous lanciez l'année dernière une campagne pour collecter des fonds. Comment s'est-elle déroulée ?

charles henri schulz (libreoffice the document foundation )
Charles-Henri Schulz est membre du comité exécutif de la Document Foundation, qui pilote LibreOffice. © C.-H. Schulz.

Charles-Henri Schulz. Nous avions en effet lancé un appel aux dons il y a un an. Il nous a permis de lever plusieurs centaines de milliers d'euros, ce qui va nous aider à passer à la vitesse supérieure.

Car aujourd'hui il s'agit pour la fondation de savoir comment bien grandir et surtout comment bien se professionnaliser. Ce sont clairement ses grands enjeux actuellement. C'était finalement deux des thèmes centraux de notre récente LibreOffice Conference à Milan. Parmi les pistes étudiées lors de ce rassemblement, la communauté derrière LibreOffice a par exemple exprimé le souhait de développer un marketing plus agressif, ce qui est désormais aussi possible car nous commençons à en avoir les moyens.

Cela fait plusieurs trimestres que vous annoncez travailler sur un portage de la suite sur mobile et dans le cloud... Où en êtes-vous aujourd'hui ?

Une application stable de LibreOffice Impress Remote est déjà disponible sur Android, et permet de contrôler à distance depuis un terminal mobile les documents LibreOffice. Ensuite, il y a la suite complète LibreOffice for Android, qui est toujours en développement. Elle est déjà proposée au téléchargement, sur le site de la fondation, mais elle n'en est disons qu'à sa phase alpha, même si des démos peuvent déjà être faites. L'objectif désormais est de pouvoir proposer un lecteur puissant d'ici quelques mois. Ce "viewer" permettrait de visualiser les documents, de copier-coller, mais pas d'éditer. De nouveaux sponsors pourraient toujours aider à accélérer le développement.

Nous travaillons également à une version iOS. Mais faire rentrer LibreOffice, logiciel sous licence libre, dans l'App Store d'Apple, pose quelques questions, notamment financières et juridiques, même si des licences GPL sont déjà disponibles dans l'App Store. NeoOffice, solution cousine de la nôtre et aussi dérivée d'OpenOffice, y est, avec cette licence, par exemple. Nous étudions donc les questions et les possibilités, et n'excluons d'ailleurs pas de nos réflexions la monétisation d'une telle application, sur l'App Store, en proposant d'acheter des templates en plus par exemple.

"Nouveau membre de notre conseil consultatif, CloudOn pourra partager son expérience sur les mobiles"

Sur le sujet de la mobilité, je signale aussi l'arrivée d'un nouveau membre dans notre conseil consultatif : CloudOn [un spécialiste américain du streaming d'Office sur terminaux mobiles NDLR], qui pourra partager son expérience sur les mobiles et nous faire progresser sur ce terrain.

Quant à la version en ligne de LibreOffice, après le scandale Prism, je pense que nous avons là une belle carte à jouer, car une solution SaaS Open Source sera totalement transparente, et donc nettement plus rassurante. Nous avons progressé sur ce projet d'un point de vue technique, et nous en sommes au stade du prototype. Mais là encore, de tels développements coûtent cher...

Ce projet, baptisé "Libre Docs", pourra reposer sur des instances internes ou externes, que ce soit celles d'Amazon, d'OpenStack ou de VMware. Mais, là encore, tous les contours ne sont pas encore fixés. Peut-être que cette suite SaaS ne sera pas totalement offerte. Mais nous n'envisageons pas, du moins pour le moment, un business model où nous ferions payer l'hébergement, comme ce qui peut être fait avec WordPress.com par exemple.

Mais tous ces projets de développement ne doivent pas faire croire que le client classique n'évolue plus, bien au contraire. Fruit d'un travail conséquent, ce client a énormément progressé. Plus rapide au lancement grâce à un code sérieusement nettoyé, l'expérience utilisateur et les technologies d'affichage sous-jacentes ont aussi été sensiblement améliorées, là aussi grâce à un travail de longue haleine. La suite peut aussi désormais bénéficier d'une bien meilleure souplesse en matière de géolocalisation et d'encodage, ce qui devrait aussi faciliter son utilisation dans le monde, et donc, son développement à l'international. Le moteur du tableur, qui commençait à être vieillissant a aussi été réécrit, ce qui va permettre de transformer les futurs usages qu'on pourra en faire.

LibreOffice a-t-il récemment convaincu des clients majeurs dans le secteur privé ou public ?

Dans le service public, LibreOffice a pu bénéficier du climat généré par la circulaire Ayrault poussant l'usage du logiciel libre dans l'administration. Nous avons pu observer que les migrations depuis la suite de Microsoft, ou depuis OpenOffice, vont bon train. Je peux ainsi dire que plusieurs ministères de premier plan sont actuellement en train de migrer vers LibreOffice.

C'est plus difficile de parler du secteur privé, et notamment des grands comptes, où ces migrations peuvent clairement froisser des grands fournisseurs de solutions fermées. Mais disons que deux groupes internationaux d'envergure, dans le secteur agroalimentaire et dans la distribution, sont aussi en train de migrer.