Guy Kawasaki (Conseiller pour Motorola) "Un jour, Motorola pourrait concurrencer Apple"

Ancien chief evangelist chez Apple, Guy Kawasaki conseille désormais Motorola. Objectif : asseoir la popularité de la filiale de Google sur le secteur des smartphones low-cost.

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Guy Kawasaki est conseiller pour Motorola. © S. de P. Motorola

JDN. Selon vous, à quoi ressemblera la "tech scene" dans dix ans ?

Guy Kawasaki. Je ne pense pas que l'on puisse prédire ce qui va se passer dans dix ans. Si on revient en 2003 et qu'on jette un œil aux prédictions qui avaient été faites alors, la plupart étaient complètement fausses. Mais évidemment, je pense que l'Internet sera plus rapide, moins cher et encore plus répandu. Les média sociaux continueront certainement de se développer. Ils ne seront plus accessoires mais primordiaux pour les entreprises et figureront sûrement au cœur de leur activité marketing. Mais au-delà de ça, c'est difficile à dire. Dans dix ans, l'Internet sera totalement démocratisé, tout le monde y aura accès partout... Et Motorola est une des sociétés qui vont œuvrer en ce sens.

Quelques start-up qui vous semblent intéressantes en ce moment ?

Snapchat, à Los Angeles, bien sûr. Le partage de photos et de vidéos est en plein essor. Et le secteur des réseaux sociaux en général me passionne : dans ce domaine, certaines start-up connaissent une croissance folle. Mais la compétition est féroce, et le secteur en pleine ébullition.

Comment voyez-vous le futur de Google ?

Ce serait une mauvaise idée de parier contre Google... Le search est une des composantes les plus fondamentales de l'Internet et Google est vraiment maître sur le secteur. Quand on possède une si grosse portion de l'Internet, le reste suit : les vidéos avec Youtube, les mails avec Gmail, les réseaux sociaux avec Google+ et... Android ! Le système d'exploitation a dépassé iOS, sa portée est énorme. Et Google possède aussi un constructeur maintenant, depuis le rachat de Motorola en 2011 [pour 12,5 milliards de dollars, ndlr].

Comment comptez-vous redresser Motorola et son image ?

Je pense que la clé pour Motorola est d'être la force leader dans la démocratisation des smartphones, pour qu'ils ne restent pas un phénomène uniquement occidental mais deviennent au contraire accessibles à tous. Le Moto G est doté de fonctionnalités équivalentes à l'iPhone 5 pour un tiers de son prix.

"Comme Apple, Motorola est une société pionnière"

Le défi est-il plus grand aujourd'hui chez Motorola qu'il ne l'a été pour évangéliser chez Apple ?

Quand j'ai travaillé chez Apple, les gens pensaient vraiment que la société allait mourir. Alors que la question ne se pose pas pour Motorola, puisqu'elle fait partie de Google, qui n'est pas prêt de disparaître.

Mais il y a de grandes similarités entre les deux sociétés. Toutes deux sont des pionnières, qui reposent sur leurs ingénieurs et ne sont pas essentiellement tournées vers le marketing. C'est ce qui m'a attiré chez Motorola. J'ai travaillé chez Apple entre 1983 et 1987 et puis entre 1995 et 1997, à un moment ou tout n'était pas gagné. Motorola connaît la même situation parce que la concurrence est importante.

Pensez-vous que Motorola pourra un jour concurrencer Apple ?

Je pense que c'est possible ! Je ne dis pas que Motorola parviendra à acquérir du jour au lendemain une marque aussi forte qu'Apple. Mais la société a une vraie force du côté de ses ingénieurs et elle est soutenue par une très, très grosse maison-mère, Google. Elle ne lutte pas pour survivre comme Blackberry ou Nokia. Et qui aurait pu prédire que Twitter et Facebook soient si dominants aujourd'hui sur le marché ? Il y a quelques années, les gens pensaient que MySpace serait le leader. Dans dix ans, qui sait ? L'Histoire a montré que rien ne dure pour toujours.

Que pensez-vous de la stratégie de Yahoo et de l'embauche de Marissa Mayer ?

Embaucher Marissa Mayer était une décision brillante. D'abord parce qu'elle est une ingénieure, parce qu'elle est une femme, parce qu'elle a travaillé chez Google. Cela lui donne de la crédibilité. Pour toutes ces raisons et parce qu'elle a déjà fait beaucoup de choses intéressantes, je pense que c'est un très bon investissement. Par contre, je n'aime pas du tout leur nouveau logo, qui est horrible. Ils auraient dû le faire redesigner en France, cela aurait été mieux fait !

"Yahoo n'est pas dépassé"

Que pensez-vous de la récente "boulimie d'acquisitions" de Yahoo ?

Ils ont beaucoup de cash et on obtient des parts de marché bien plus rapidement en profitant d'acquisitions pour innover. Ils viennent aussi d'embaucher Katie Couric, présentatrice d'ABC, ce qui montre que Yahoo cherche également à consolider son contenu. Imaginez que quelqu'un décrive une société avec le troisième moteur de recherche le plus populaire, des millions de dollars d'investissements, du contenu... La plupart des gens se diraient que c'est une entreprise qui a l'air très florissante et intéressante. Mais si on leur révèle qu'il s'agit de Yahoo, ils diraient : "Oh, ils sont dépassés..."  Je ne suis pas d'accord : ce n'est jamais trop tard, on n'est jamais dépassé.

Investissez-vous dans des start-up ?

Je conseille des sociétés, mais je n'investis plus vraiment. Je n'ai pas besoin de signer un chèque. Ma monnaie d'échange, c'est mon expertise. Je conseille de nombreuses jeunes start-up, en plus de mon rôle auprès de Motorola. Comme Buffer, par exemple, qui permet de planifier ses partages sur les réseaux sociaux et de les différer.

Des conseils pour de jeunes entrepreneurs ?

D'abord, travaillez sur un prototype : construisez votre produit, service ou software. Ne vous concentrez pas sur le pitch, les prévisions ou le business plan. Le plus important est le produit. Deuxièmement, surtout pour les entrepreneurs français ou européens : n'essayez pas seulement de copier une idée américaine pour en faire une version locale. Vous devriez imaginer une idée française qui est si bonne que le monde entier voudra la copier. Troisièmement, un entrepreneur doit se rappeler de ne jamais demander à ses utilisateurs, clients ou salariés de faire quelque chose que lui ne ferait pas.

Vous étiez de passage à Paris en décembre pour intervenir lors de la conférence LeWeb. Une innovation découverte là-bas qui vous a marquée ?

Oui : un software qui traque le mouvement des yeux pour naviguer sur un écran sans se servir d'une souris. C'est une technologie très intéressante. En tout cas, cette année encore, LeWeb m'a beaucoup plu. Vous savez, je participe à 75 conférences chaque année. J'ai quatre enfants, donc j'ai une règle : je ne monte pas dans un avion pour faire un discours gratuitement... Je n'ai que deux exceptions : LeWeb et South By Southwest.

Guy Kawasaki est un conseiller pour Motorola. Il est aussi l'auteur de "APE", "What the Plus!", "Enchantment" et neuf autres ouvrages. Il a été le premier chief evangelist chez Apple. Il a décroché un Bachelor of Arts à l'université de Stanford puis un Master of Business Administration à UCLA, ainsi qu'un doctorat honorifique de l'université de Babson.