Julien Gardès (Triplelift) "Avoir une relation directe avec les éditeurs permet à Triplelift de minimiser l'adtech tax"
Responsable des relations du SSP américain avec les éditeurs de la zone EMEA, Julien Gardès fait le point sur ses principaux enjeux au sortir de la crise du coronavirus.
JDN. Vous avez rejoint Triplelift il y a quelques mois pour y occuper les fonctions de head of publishers development EMEA. Pouvez-vous nous présenter la société ?
Julien Gardès. Triplelift est une adtech américaine qui a plus de huit ans d'existence et près de 400 salariés répartis entre New York, Los Angeles, Chicago, San Francisco, Londres et Paris. Nous voulions également installer des équipes en Italie et au Pays-Bas mais avons dû mettre ces projets de côté, à cause du coronavirus. Le cœur de notre offre, c'est un ad-exchange de publicités native. Il s'agit exclusivement de formats IAB traditionnels, diffusés via l'ad-server de l'éditeur. Vous n'y trouverez donc pas de formats de recommandation de contenus en bas de page, comme on en voit chez Outbrain et Taboola. Nous avons recours à une mécanique d'image computing pour optimiser l'intégration du contenu des annonceurs, texte et images, selon le format publicitaire (taille de la bannière, type de vidéo…). Nous sommes aujourd'hui le plus gros fournisseur de native ads des principaux DSP du marché.
Vous proposez depuis deux ans des formats display plus classique. Pourquoi vous être lancé sur ce format ?
C'est un moyen pour nous de créer de la liquidité d'inventaire. Car si les formats natifs permettent de générer de bien meilleurs CPM, les taux de remplissage sont plus faibles car l'intégration technologique est plus compliquée. Dans tous les cas, nous créons une concurrence vertueuse entre display et natif, qui permet de maximiser les revenus de nos éditeurs. Nous fonctionnons, comme pour le format natif, exclusivement en programmatique. Aucun ordre d'insertion n'est donc possible. Ces deux activités conjuguées nous ont permis de réaliser 300 millions de dollars de chiffre d'affaires en 2019, soit une croissance annuelle de 120%.
En France, votre activité n'a vraiment décollé qu'en 2019. Pourquoi ?
Nous sommes arrivés sur le marché français il y a trois ans mais avons eu besoin, comme tout nouvel entrant, de poser les fondations. D'autant que les trois-quarts de notre équipe n'ont pris leur fonction que l'année dernière. Il est évident aussi que la démocratisation du header bidding, qui représente 99% de notre chiffre d'affaires, nous a fait beaucoup de bien. C'est d'autant plus vrai que les SSP généralistes ne font pas de natif et que la concurrence est donc moins vive sur le marché français.
Vous évoquiez le report de projets à cause du coronavirus. Quelles sont les conséquences de l'épidémie pour votre business ?
Nous sommes bien sûr impactés par la diminution des flux financiers qui transitent par notre exchange. En France, on a observé un chute drastique suite à l'annonce du confinement. Mais cela repart progressivement dans la majorité des pays. Nous sommes en revanche toujours aussi occupés côtés éditeurs car ils ont plus que jamais besoin d'optimiser leur chiffre d'affaires. Ce n'est pas toujours évident car les flux de campagnes pubs ne sont pas aussi bons qu'avant la crise, la demande s'étant considérablement rétractée. Mais nous voyons cette période comme un temps d'investissement qui nous permettra, une fois la tempête calmée, d'accéder à l'inventaire de nombreux nouveaux éditeurs… et de gagner des parts de marché. En attendant, nous échangeons avec ces clients sur les bonnes pratiques. Notamment le choix du bon wrapper header bidding. Car The Trade Desk a demandé aux SSP, qui ont souvent plusieurs intégrations avec un même éditeur, de se concentrer sur un même chemin d'accès par inventaire.
Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
C'est le sens de l'histoire. Le problème, n'est pas qu'un éditeur bosse avec quatre ou cinq SSP, mais que ces SSP travaillent de plusieurs façons avec un éditeur. The Trade Desk demande concrètement qu'un SSP qui est pluggé à un éditeur via prebid, EBDA et Amazon, choisisse l'intégration qui lui semble la plus efficace. C'est un vrai sujet de supply-path optimization (SPO) pour les acheteurs. Si le header bidding a eu le mérite de mettre en concurrence tout le monde, il a également complexifié les chemins d'accès et explosé les coûts d'infrastructures des DSP qui se voient proposer trois ou quatre fois le même inventaire… par un même SSP. Multiplié par le nombre de SSP partenaires pour un éditeur, on ne s'en sort pas. C'est un sujet d'optimisation des coûts mais aussi de transparence.
Comment les SSP font-ils leur choix ?
"Si j'ai peu d'intégrations EBDA avec les éditeurs d'ici fin 2020, ça me va très bien"
Il faut regarder l'intégration qui permet de réaliser le plus de business. Chez Triplelift, nous travaillons très bien avec la solution de prebid et nous nous entendons bien avec Amazon. C'est plus mitigé avec EBDA, le wrapper de Google. Ce dernier ne nous permet pas d'avoir une relation commerciale avec l'éditeur. Nous payons Google, qui paie ensuite l'éditeur en prélevant une commission que nous ne connaissons pas. Transférer cette activité vers un autre wrapper nous permettrait mécaniquement d'augmenter le chiffre d'affaires des éditeurs. Donc si j'ai peu d'intégrations EBDA avec les éditeurs d'ici fin 2020, ça me va très bien !
Dans tous les cas, nous voulons avoir une relation directe avec les éditeurs pour minimiser l'adtech tax. C'est la raison pour laquelle nous ne faisons pas, comme certains de nos concurrents, de business avec d'autres SSP. Nous ne prenons pas de siège chez eux et ne les laissons pas le faire chez nous. Nous ne participons pas à cette grande tambouille des SSP que l'on voit depuis quelques années, avec un SSP A qui prend un siège chez un SSP B pour lui acheter des impressions lorsqu'il n'arrive pas à diffuser correctement une campagne pub.
Les deux géants de la recommandation de contenus, Outbrain et Taboola, ont récemment annoncé leur rapprochement. Cette opération peut-elle vous ouvrir des portes ?
Nous sommes effectivement sollicités par les éditeurs pour les aider à monétiser leurs emplacements bas de page. Certains se sont aperçus que c'était une erreur de donner un inventaire aussi important en termes de pixels à un seul acteur. Car les performances d'Outbrain ou Taboola ne sont pas bonnes si on met le chiffre d'affaire qu'ils génèrent en perspective avec l'emplacement qui leur est réservé. Le changement est d'autant plus tentant que le rapprochement entre Outbrain et Taboola met un terme aux logiques de minimums garantis auxquels les éditeurs s'étaient habitués. Le header bidding, en mettant en concurrence plusieurs acteurs, peut permettre aux éditeurs de trouver des alternatives intéressantes. Le problème pour nous est que l'on sort ici des formats IAB traditionnels et que l'on parle d'emplacements qui sont plutôt achetés via des ordres d'insertion. C'est donc très loin de ce que propose TripleLift.
Julien Gardès est un vétéran de l'adtech français. Il a été directeur général Europe continentale du SSP Rubicon Project de 2011 à 2017 et directeur général Europe du Sud d'Adform, plateforme d'achat qui mêle adserver et DSP, de 2017 à 2019.