Programmatic direct platform : les pour et les contre d'une tendance de fond

Programmatic direct platform : les pour et les contre d'une tendance de fond Les PDP fusionnent SSP et DSP en une seule plateforme. Leurs afficionados sont aussi enthousiastes que leur détracteurs sont sceptiques.

Et si à la place des SSP (plateformes qui rassemblent l'offres des éditeurs sur les places de marché publicitaires) et DSP (plateformes qui servent aux agences et traders pour acheter des emplacements pour leurs campagnes), piliers historiques du modèle de la publicité programmatique, on se retrouvait avec des programmatic direct platform (PDP) pour mieux répondre à l'urgence de réduction du nombre d'intermédiaires sur la chaîne programmatique ?

"Les PDP désignent la fusion entre les SSP et les DSP : on devient une place de marché, un peu comme la bourse de Paris ou le New York stock exchange, qui permet simplement d'automatiser les transactions publicitaires entre les éditeurs et les annonceurs", explique Arnaud Créput, patron d'Equativ, SSP historique française devenue globale, qui a acquis la DSP LiquidM il y a quatre ans, et qui se qualifie comme une programmatic direct platform (PDP). Finies donc les frontières, une même entreprise technologique servant à la fois l'offre et la demande. "Le programmatique historique est devenu très cher et peu performant à cause du nombre significatif d'intermédiaires. Dans un monde privacy first, le seul moyen de protéger les données, de préserver le ROI, la brands safety et de réduire l'impact environnemental est de supprimer au maximum les intermédiaires, d'où l'intérêt des PDP", ajoute-il.

"Le programmatique historique est devenu très cher et peu performant"

Un autre exemple de PDP encore plus ancien, mais qui ne se nomme pas en tant que tel, c'est Teads, qui propose aux annonceurs un outil d'achat de type DSP directement branché sur les inventaires vidéo de son propre réseau d'éditeurs premium. Beaucoup plus récemment, Magnite à son tour offre aux agences depuis avril dernier un accès direct à ses inventaires vidéo premium (la SSP dispose d'un ad server qui lui permet de proposer ce type d'intégration directe chez l'éditeur). La SSP Pubmatic en fait de même pour ses inventaires de CTV et vidéo en ligne depuis mai dernier. Dans l'autre sens, du côté des acheteurs, The Trade Desk s'est affranchi de l'apport des SSP pour les inventaires d'éditeurs premium réunis dans son offre OpenPath.

"Les PDP peuvent être intéressantes pour les marques en effet dans des logiques premium, pour la diffusion de campagnes dans des inventaires de niche comme la CTV, en deal ou en programmatique garanti, où finalement seuls quelques éditeurs sont sélectionnés", explique Florent Couton, head of business et marketing chez Havas Programmatic Hub. "Avec les PDP, nous sommes peut-être au début d'une tendance très positive de simplification de notre écosystème en réduisant les intermédiaires et en renforçant les liens entre éditeurs et annonceurs. Ces plateformes sont une nouvelle forme d'expression du SPO (optimisation des chemins d'accès aux inventaires pour réduire le nombre d'intermédiaires, ndlr)", poursuit-il.

Vers une verticalisation du marché ?

Pour certains analystes cependant, penser que les PDP sont une tendance nouvelle serait oublier ce qui s'est toujours passé  massivement dans ce marché : les principales plateformes, à commencer par Google, Microsoft (Xandr), Amazon et plus récemment Criteo avec le retail media, agissent des deux côtés de la chaîne, client side et buy side. "Le marché vit depuis plusieurs années un mouvement de verticalisation. Des acteurs comme Google, Teads, Outbrain, Taboola, Microsoft ou Amazon ont déjà désintermédié le budget annonceur et l'accès à l'inventaire", analyse André Baden Semper, cofondateur de Nexx360. Plus encore, ce modèle devrait se généraliser : "La plateforme qui dispose à la fois du budget de l'annonceur et de l'accès à l'inventaire marge mieux. Avec la fin des cookies tiers et l'urgence climatique, les autres sont obligés de suivre et d'adopter le modèle de tous ces acteurs qui dominent le marché", ajoute-t-il.

Au final, ce qui compte pour l'éditeur, poursuit-il, c'est le résultat : "Que ce soit à travers un SSP, un DSP en direct ou un PDP, l'éditeur veut pouvoir tirer le meilleur prix de chaque opportunité : cette désintermédiation va dans le bon sens tant que la verticalisation restera salutaire à la concurrence. L'éditeur, lui, doit pouvoir se connecter de la meilleure manière avec chacune de ces plateformes verticales", conclut André Baden Semper.

Une différence n'est cependant peut-être pas à négliger : des acteurs comme Google ou Microsoft ont toujours défendu le fait que les activités sell side et demand side étaient séparées, et non fusionnées comme dans une PDP : d'un côté le SSP ouvert à tous les DSP du marché, de l'autre le DSP ouvert aux SSP. Sur le discours officiel, les deux services n'étaient pas non plus censés se favoriser mutuellement. Mais les différentes procédures anti-trust contre Google (qui de plus dispose de l'ad server que tous les publishers sont obligés d'utiliser s'ils veulent accéder à l'immense demande que cet acteur arrive à drainer) en cours en Europe et aux Etats-Unis semblent cependant vouloir démontrer qu'être juge et partie peut poser de sérieux problèmes.

"Le démantèlement à venir de Google va fortement rebattre les cartes de notre marché. Il est compréhensible que les acteurs présents souhaitent monter leur propre PDP pour demain apparaître comme une alternative crédible à Google. Mais il ne faudra pas qu'on se retrouve avec une adtech tax inchangée : l'open RTB  et tous ses biais - manque de transparence, adtech tax - est en train de mourir et il devra être de plus en plus remplacé par ce programmatique nouvelle génération composé d'intégrations directes, de deals directs, de moins d'intermédiaires et de la disparition des resellers", analyse pour sa part Bastien Deleau, directeur exécutif adjoint adtech chez Prisma Media.

Un modèle limité

Mais il y a une importante limite à l'exercice des PDP à entendre deux responsables de trading desks travaillant pour le compte d'agences et d'annonceurs : étant en environnement clos, comment les PDP pourraient-elles assurer une vision globale à l'annonceur sur les campagnes activées via d'autres plateformes ? "Un des principaux intérêts d'une DSP est de chercher pour l'annonceur la meilleure performance à travers toutes les plateformes, cross inventaires", explique Antoine Saglier, directeur général de ZBO Media. Si au lieu d'être branchée à toutes les sources d'inventaires du marché, comme c'est le cas des DSP aujourd'hui, la plateforme d'achat se reliait à une seule source d'inventaire, cet intérêt disparaîtrait, un coup fatal pour les campagnes cherchant la performance.

"Au lieu de passer par un seul DSP, je me retrouverais à devoir piloter mes achats et mes deals sur plusieurs plateformes différentes"

Sans compter que les DSP simplifient le processus de trading. "A l'exception des gros annonceurs, qui disposent d'outils leur permettant de centraliser la mesure de ce qu'ils achètent dans différentes plateformes, et à l'exception des logiques très pointues de branding en deal garanti, les PDP rendraient le trading très compliqué si elles devaient se généraliser à tous les inventaires. Car au lieu de passer par un seul DSP, je me retrouverais à devoir piloter mes achats et mes deals sur plusieurs plateformes différentes avec tout ce que cela implique en multiplication de ressources et de coûts, que je serais obligé de répercuter sur mes clients annonceurs", ajoute Antoine Saglier. "N'oublions pas qu'aujourd'hui nous travaillons déjà avec plusieurs DSP, car certaines sont spécialisées sur des canaux précis. Si demain nous devions nous retrouver avec plusieurs plateformes différentes pour un même type de format, ce serait très compliqué et cela vaut aussi pour des achats très qualitatifs en deal", confirme Mariem Ghodbane, head of trading chez ZBO Media.

L'analyse vaut aussi, cela va de soi, pour l'open RTB. "En open auction, les SSP n'ont pas vocation à remplacer les DSP, ne serait-ce pour des raisons techniques évidentes. Un DSP implique une suite algorithmique, une intégration data et un bidder. Challenger un DSP sur son territoire demanderait aux SSP des investissements considérables. Sans compter que ce marché est déjà très concurrentiel et trusté par deux ou trois acteurs et que le display, qui fait le gros de l'open RTB, souffre avec la baisse des investissements des annonceurs sur ce levier", conclut Florent Couton. En gros, à entendre ce spécialiste, difficile d'imaginer de nouveaux acteurs de ce marché déjà très concurrencé suivre la même tendance et lancer une PDP.

Interrogés par le JDN, ni Index Exchange, ni Triplelift, ne semblent tentées de s'ouvrir à une telle transformation, du moins pour le moment. "Nous cherchons tous à servir les mêmes grands éditeurs qui sont de grands carrefours d'audience : cela fait plus d'un an que The Trade Desk a lancé Open Path et cela n'a pas changé notre quotidien. Nos clients, ce sont les éditeurs, nous sommes là pour servir leurs intérêts. Nous ne mettons par conséquent pas d'outil technologique à disposition des annonceurs pour leur permettre de venir directement acheter chez nous. Les acheteurs qui viennent chez Triplelift peuvent compter sur nos équipes pour tout support qui s'avère nécessaire pour la livraison et l'optimisation des campagnes, mais ils passent par leur DSP", déclare Julien Gardes, VP développement international éditeurs et retail media chez Triplelift.