Margarita Zlatkova (Weborama) "La fin des cookies tiers rebat les cartes sur le marché de l'adtech car on ne pourra plus tout faire avec les outils de Google"
Weborama se saisit de la brèche des restrictions imposées par Google aux ID uniques pour développer le business de son ad server, à entendre Margarita Zlatkova, directrice data et publicité programmatique pour l'Europe.
JDN. Weborama annonce que son ad server devient cookieless en s'intégrant aux API de la Privacy Sandbox. Quel est le calendrier ?
Margarita Zlatkova. Les premières fonctionnalités seront disponibles pour nos clients le premier semestre de 2024. La solution est développée et testée en interne. Nous démarrerons en janvier la phase de tests en bêta pour valider l'approche et vérifier qu'elle répond à leurs besoins au quotidien.
Que pourrez-vous mesurer précisément avec la Privacy Sandbox ?
Nous pourrons savoir pour chaque campagne le nombre d'impressions, clics et conversions générées par un site donné, grâce à l'event level report qui fournit des données au quotidien pour l'optimisation. Mais nous ne pourrons plus relier une conversion à une impression ou à un clic : le marché ne disposera plus d'une vision unifiée pour chaque consommateur sans le cookie tiers, uniquement d'une vison agrégée. Nous utiliserons également l'aggregated level report qui donnera des informations beaucoup plus détaillées sur les conversions (comme le chiffre d'affaires générés par localisation) mais dans des délais beaucoup plus longs et sans lien avec les clics.
Pouvez-vous vraiment dès à présent vous passer des cookies tiers et vous servir uniquement de la Privacy Sandbox pour la mesure ?
La Privacy Sandbox ne couvre que l'activité des utilisateurs sur Chrome, soit 58% des inventaires en France. Cela signifie que 40% des inventaires, représentés par la navigation sur Safari et Firefox, ne sont pas mesurables avec la Privacy Sandbox. C'est pourquoi nous avons décidé de gérer la mesure cookieless par étapes, en commençant par la Privacy Sandbox parce que l'outil est complexe et que ses API sortent tout juste sur le marché : il reste encore énormément de tests à faire et cela prend beaucoup de temps. Par la suite, nous proposerons d'autres typologies de solutions pour Safari et Firefox.
La plupart des publishers sont équipés primairement avec l'ad server de Google et votre activité d'ad server bien qu'historique est loin d'être votre activité principale. Combien de vos clients se servant de votre CDP sont clients de votre ad server ?
Il est vrai qu'en France les ad servers de Google sont hégémoniques auprès des éditeurs (avec Google Ad Manager - GAM) et des annonceurs (avec Google Campaign Manager - GCM). Néanmoins la perspective de la fin des cookies tiers rebat les cartes sur le marché de l'adtech car on ne pourra plus tout faire avec les outils de Google. Google s'est déjà prononcé très clairement contre le déploiement de nombreuses fonctionnalités comme la collecte des adresses IP et des ID uniques, ce qui limitera beaucoup la marge de manœuvre des annonceurs. Par ailleurs, personne ne sait à ce stade comment GCM va intégrer la mesure de la Privacy Sandbox : on sait juste que les annonceurs et les agences devront faire le travail de se connecter à ces API.
Notre ad server, Weborama Campaign Manager (WCM), est un ad server pour annonceurs exclusivement (beaucoup plus utilisé dans des pays comme l'Espagne, l'Italie ou le Portugal qu'en France d'après nos informations, ndlr). L'intérêt est que toute donnée collectée via l'ad server durant la campagne média est directement importable sur notre plateforme de gestion de données (CDP/DMP) pour créer des insights et des audiences activables sur d'autres écosystèmes.
Au final, les restrictions que Google impose aux solutions d'ID alternatives représentent-elles une opportunité pour vous permettre de booster le développement de votre propre ad server ? Je pense par exemple au partenariat que vous venez d'annoncer avec First-ID.
Oui en effet les restrictions imposées par Google à l'usage des ID alternatifs représentent une très belle opportunité pour nous. Que ce soit pour faire du retargeting on site ou ailleurs sur le web, l'annonceur a besoin d'un ad server pour collecter l'identifiant des personnes exposées qu'il souhaite recibler. Les outils proposés par Google à la suite de la fin des cookies tiers ne sont pas adaptés à ce type de collecte, ils ne collecteront pas les ID tiers pour les annonceurs. Nous avons donc un avantage, car nous avons adapté notre ad server afin qu'il collecte ces ID et qu'il puisse fournir une solution de mesure dans un monde cookieless. Nous sommes intégrés à First-ID et nous discutons avec tous les identifiants du marché.
Privacy Sandbox propose une solution de retargeting avec l'API Protected Audience. Allez-vous vous en servir ?
Protected Audience, qui est en effet l'API de reciblage de la Privacy Sandbox, reste une solution complexe qui prendra du temps à développer. Nous comptons l'intégrer mais dans un second temps seulement.
Le marché est très critique à l'égard de la Privacy Sandbox qui n'aurait pas encore véritablement fourni des retours sur son efficacité. Topics par exemple, étant très généraliste, ne permet pas de segmenter ni les médias ni ses lecteurs. Qu'en dites-vous et comptez-vous vous en servir ?
Nous intégrons l'API Topics également en effet. Nous collectons déjà les topics de la Privacy Sandbox pour ensuite les enrichir avec nos catégories de segmentation contextuelle et sémantique. Cela passe aussi par l'ad server : au moment de l'impression, ce dernier collecte l'url respective à l'impression ou au clic pour le confronter au topic attribué à cette url. C'est ce qui nous permet donc de savoir quelles url sont reliées au topic pour les analyser afin d'enrichir la segmentation de manière beaucoup plus fine que ce que la Privacy Sandbox. Si on prend par exemple le "topic" beauté, qui reste très générique et pas discriminant, on peut pousser beaucoup plus loin notre analyse vers les centres d'intérêt des internautes – parfum, peau, solutions capillaires, etc. – pour mieux qualifier et segmenter ces populations.
Avec la montée en puissance des walled gardens l'ad server n'a-t-il pas perdu de son intérêt ? Sizmek, que Weborama avait envisagé d'acquérir, vient d'être éteint par Amazon…
Il est vrai que jusqu'à présent toute campagne activée au sein d'un walled garden n'était plus mesurée par les ad servers tiers indépendants. Mais le monde devient extrêmement éclaté avec la fin des cookies tiers et sachant que 70% de l'open web est déjà cookieless et consentless. Demain pour disposer d'une vision complète de l'open web il faudra s'appuyer sur des outils indépendants. Certes la Privacy Sandbox ne sera pas ouverte aux mesureurs tiers mais il faudra aux annonceurs être en capacité d'intégrer les API de la Privacy Sandbox et en tirer des enseignements tout en les comparant avec ce qui se passe sur Safari et Firefox pour analyser leur mix média. Tous n'auront pas les moyens de le faire et ils auront besoin de s'appuyer sur des solutions indépendantes capables de mesurer l'open web et leur donner une vision complète afin d'éviter justement qu'ils ne décident de se cantonner uniquement au sein des walled gardens. C'est l'open web qui permet aux éditeurs de générer des revenus et financer leur activité pour la diffusion de contenus gratuits et nous y croyons fortement. Nous pensons également qu'il est très important de toujours préserver son autonomie.