Le marché pub en 2024 : un peu d'optimisme et beaucoup de flou
Les prévisions assez optimistes des études mondiales cachent un moral en demi-teinte fait surtout de beaucoup de prudence.
A lire les plus récentes études mondiales sur la progression des investissements publicitaires, dévoilées cet automne, on pourrait croire que les plus grosses difficultés sont derrière nous en France, avec des prévisions allant de +2,4% pour les plus conservatrices, à 8,3%, pour les plus optimistes, toutes indiquant une accélération de la croissance par rapport à 2023. Dans certains cas, comme pour l'étude de GroupM, la hausse attendue pour la France, de 8,3%, est même supérieure à la moyenne mondiale escomptée pour 2024, de 5,3%.
Une perspective d'autant plus positive en ces temps de crise qu'elle a été confortée par une fin d'année de loin au-dessus des attentes. "Le dernier trimestre de 2023 a été assez exceptionnel pour l'ensemble des régies alors que pendant les dix premiers mois de l'année les recettes étaient en décroissance", atteste Paul Ripart, directeur commercial programmatique et data chez Prisma Media. "Pour 2024, malgré l'absence notoire de visibilité, je reste optimiste. Comparé aux mauvaises performances de la première partie de 2023, le marché ne peut que progresser et ce d'autant que le contexte macroéconomique est un peu moins défavorable et que notre secteur s'est un peu libéré au dernier trimestre."
Une analyse concordante avec celle de fins observateurs de ce marché, à commencer par Xavier Guillon, directeur général de France Pub : "La tendance du marché de la communication en 2023 a été de s'accrocher à la croissance de l'économie qui, bien que limitée, a été réelle. Les annonceurs veulent prendre leurs parts de marché et gardent une attitude offensive qui, en période d'incertitude macroéconomique, revient à ne pas mettre les deux pieds sur le frein." Pour l'expert, cette attitude devrait se maintenir en 2024, car il reste convaincu que le poste communication n'est plus une variable d'ajustement pour préserver les marges des entreprises comme cela a été le cas dans le passé. Florence Doré, directrice marketing France chez Kantar Media, abonde dans la même direction : "Toutes les études démontrent, et les marques l'ont compris, que le fait de couper ses investissements en communication entraîne des effets délétères sur le court, moyen et long terme aussi bien sur les ventes que sur la brand equity."
Si on y ajoute les deux grands événements sportifs à venir – l'Euro de foot et les Jeux Olympiques – il y a de quoi être optimiste, il suffit de se souvenir des recettes publicitaires directes générées par la Coupe du monde de rubgy en 2023 estimées à 140,8 millions d'euros bruts par Kantar Media, captées en moins d'un mois par les chaînes qui ont diffusé les matchs. Et ce n'est pas tout. "Même lorsque l'on n'est pas directement concerné par les grands événements sportifs, ces derniers créent une ambiance positive dans le pays. Cela nous fait du bien après des années à souffrir de l'impact des crises successives et des manifestations – gilets jaunes, Covid, réforme de la retraite, etc. – qui ont particulièrement impacté des marques comme la nôtre, encore très dépendante des réseaux de distribution physiques", commente le directeur marketing d'une enseigne française du secteur de la cosmétique. "Après des années à freiner, nous réinvestissons en publicité en 2024 et nous sommes plutôt enthousiastes."
Mais cet enthousiasme a des limites, en illustre l'attitude de nombreuses agences que nous avons consultées, qui semblent vraiment marcher sur des œufs. Sans doute parce que le contexte sécuritaire international reste fragile, avec deux guerres toujours bien réelles concernant d'assez près la France, et parce que l'économie n'a pas retrouvé toute sa vigueur – on se souviendra de la déception des analystes fin novembre face aux prévisions de l'OCDE de croissance pour la France, de 0,8% en 2024, fortement en baisse. "Nos annonceurs ont de plus en plus du mal à sécuriser leurs budgets. Ces derniers évoluent à la hausse et à la baisse au grès des mois et ils ont du mal à se projeter, et ce malgré les vagues médiatiques fortes qui vont ponctuer 2024", explique Pauline Boedels, directrice générale de 79 (Havas Media Network). "Cela demande encore une fois des agences une capacité forte d'adaptation dans la construction et le pilotage des stratégies. Après tout, tel est notre lot depuis la Covid : certains mois on doit couper les activations, pour renforcer le mois suivant, puis décaler, etc. Au final, cette incertitude forte vis-à-vis de 2024 n'est que la continuité de ce que le marché vit depuis trois ans."
Un constat partagé par Jérôme Colin, directeur conseil chez fifty-five : "L'argent et le besoin d'investir sont bel et bien là. Mais une grosse part d'incertitude continue de planer dans l'air et cela est très bien illustré par la grande variation des prévisions de croissance des agences médias, qui vont de 2,4% à 8,3% pour la France. 2024 est vécu par les annonceurs comme une sorte de saut dans l'inconnu du fait de la complexité croissante du marché publicitaire, marqué par la fin des cookies tiers et une forte multiplication des canaux".
Dans le lot et malgré l'incertitude générée par la fin des cookies tiers, c'est bien le digital qui tirera son épingle du jeu et avec lui surtout les plateformes des Gafam et du retail media. Et la raison est simple : "Le digital s'en sortira surtout grâce à la perspective de gagner davantage de budgets de la TV et de la radio, dont les prix ont beaucoup augmenté en 2023 ", nous indique un expert bien placé pour observer les arbitrages de budgets mais souhaitant rester anonyme. En deux mots, si le digital voit plus de budgets ce sera beaucoup plus le fruit d'arbitrages budgétaires que de l'affectation de nouvelles enveloppes pour la pub. "La dynamique promet d'être meilleure en 2024 certes mais nous avons toujours une très faible visibilité qui nous impose d'être réactifs face à une gestion très court-termiste des investissements médias. Les annonceurs sont de plus en plus obligés de jongler avec leurs budgets, qui se valident semestre par semestre, trimestre par trimestre voire campagne par campagne", conclut Aurélie Chaux, directrice générale de GroupM Nexus France.