Anthony Katsur (IAB Tech Lab) "Plusieurs fonctionnalités de la Privacy Sandbox posent problème"

Le patron de l'IAB Tech Lab, référence mondiale pour les standards de la publicité digitale, énumère en interview exclusive au JDN les nombreuses lacunes de la Privacy Sandbox.

JDN. Depuis quand l'IAB Tech Lab teste-t-il la Privacy Sandbox ?

Anthony Katsur est le CEO de l'IAB Tech Lab. © IAB

Anthony Katsur. L'IAB Tech Lab a commencé à analyser la Privacy Sandbox en juin 2023. Les toutes premières analyses présentées par l'équipe cet été au conseil d'administration ont suscité de très nombreuses questions. Nous avons donc décidé de créer fin août un groupe de travail dédié, réunissant 60 entreprises présentes partout dans le monde parmi lesquelles publishers, adtech et agences, comme Criteo, Axel Springer, Index Exchange, NBCUniversal ou Paramount.

Nous avons alors démarré une analyse approfondie de toute la documentation disponible publiquement sur les différentes API de la Privacy Sandbox (Github, billets de blog, support technique de Google, etc.). Cette collecte de données, ces tests et l'analyse de l'architecture de ces API a duré trois mois. Notre objectif a été de comprendre tous les cas d'usage auxquels la Privacy Sandbox peut ou pourra répondre dans les prochaines années. Toute la roadmap nous intéresse. Nous allons rendre nos conclusions complètes d'ici une ou deux semaines.

Vous constatez d'ores et déjà de nombreuses lacunes. Lesquelles ?

Plusieurs fonctionnalités de la Privacy Sandbox posent problème. A commencer par la diffusion des vidéos publicitaires : nous avons des doutes quant à la capacité de la Privacy Sandbox à prendre en charge le standard VAST (développé par l'IAB Tech Lab pour simplifier les échanges d'informations entre les serveurs publicitaires et les players vidéo, ndlr). Un autre problème est la maîtrise de la séparation de l'affichage d'annonceurs concurrents. Aujourd'hui, vous pouvez retrouver sur la même page Coca et Pepsi côte à côte. Nous sommes également préoccupés par la manière dont il sera possible de gérer la brand safety et la détection de la fraude via la Privacy Sandbox.

"Aujourd'hui, vous pouvez retrouver sur la même page Coca et Pepsi côte à côte"

Un autre problème concerne la divergence de résultats de comptage des impressions, car c'est bien le navigateur qui servira l'impression et qui indiquera à l'ad server de compter l'impression servie. Et cela peut être source d'erreurs. Enfin, un autre problème concerne le ciblage des audiences qui sera basé sur des groupes d'intérêt sur Chrome. Il est logique qu'un même consommateur se retrouve dans de multiples segments d'audience construits sur la base de ses centres d'intérêt. Or en l'absence de cookies, l'annonceur risque fort de payer de nombreuses fois pour toucher la même personne. L'absence de toute forme de token pour créer une sorte d'état de l'utilisateur fait que ce problème restera entier.

Est-ce possible de trouver des solutions à tous ces problèmes ?

La manière dont la Privacy Sandbox a été conçue au sein de Chrome pose des défis pour la rendre suffisamment fonctionnelle afin de répondre à tous les besoins de la publicité digitale. En réalité il s'agit d'un SSP dans le navigateur, ce qui complexifie les choses. Certes, notre groupe de travail n'a pas de réponses à tous les problèmes. Mais nous croyons qu'il existe des moyens d'améliorer  différentes fonctionnalités de la Privacy Sandbox tout en respectant la vie privée des consommateurs.

Il est donc possible de trouver des solutions à une partie de ces problèmes, mais à condition que Google accepte d'entendre ce que l'industrie de la publicité a à lui recommander. C'est la mission centrale de ce groupe de travail : offrir à Chrome le feed-back de l'industrie publicitaire sur tous les cas d'usage auxquels la Privacy Sandbox ne répond pas en l'état et à l'avenir. Nous espérons sincèrement que Google nous écoutera, vu l'impact massif que ces changements auront sur l'industrie de la publicité, Chrome disposant de 65% environ de parts de marché dans le monde.

Les membres de la task force analysent déjà l'impact économique de cette transition sur la base des 1% de cookies dépréciés.

C'est cela. Nous allons rendre nos conclusions à la fin du premier trimestre. Par ailleurs, plusieurs questions restent ouvertes. La Privacy Sandbox sera-t-elle en mesure de maintenir les mêmes niveaux de revenus pour les éditeurs ? Répondra-t-elle aux besoins des marques, permettra-t-elle aux marques d'optimiser leurs dépenses, leurs reach et la fréquence de leurs campagnes et continuer d'investir dans l'open web ? Ces questions restent ouvertes.