Sébastien Moutte (Opti Digital) "Trusted Server de l'IAB Tech Lab est difficilement applicable"

L'IAB Tech Lab a présenté le 20 mars le POC de Trusted Server, pour inciter les éditeurs à passer sur le serveur leurs outils publicitaires. Une initiative louable mais à nuancer fortement, selon Sébastien Moutte, cofondateur d'Opti Digital.

JDN. Qu'est-ce qui est concerné par le Trusted Serverde l'IAB Tech Lab ?

Sébastien Moutte est le cofondateur d'Opti Digital © Opti Digital

Sébastien Moutte. Au cœur de cette initiative il y a le souhait de l'IAB Tech Lab de déplacer vers le serveur tout ce qui est actuellement traité en client-side : le déclenchement des enchères, le pilotage de la data (first party et tierce), la livraison des publicités et leur rendu. Ce projet représente un changement majeur. Aujourd'hui, seul le header bidding est en partie géré sur le serveur. La grosse majorité des processus publicitaires est traitée en client-side.

L'IAB Tech Lab présente cela comme une manière de donner plus de maîtrise aux éditeurs, de plus en plus limités par les navigateurs. Qu'en dites-vous ?

La manière dont les navigateurs limitent les codes tiers est de fait une source grandissante d'inquiétude pour l'industrie. Les cookies tiers, déjà bannis de Safari et Firefox et en perte de vitesse sur Chrome, en sont une bonne illustration. Mais on peut aussi citer les restrictions que nous observons déjà au partage de l'user agent (qui réunit les informations associées au terminal de l'internaute, ndlr).

Trusted Server est ouvert aux commentaires de l'industrie. Quel est votre avis sur cette initiative ?

L'approche est intéressante et présente plusieurs intérêts. Tout d'abord, cela fait sens de déplacer la complexité des processus publicitaires vers le serveur pour alléger le site de l'éditeur. L'industrie déploie déjà en partie cette approche notamment avec Prebid Server (pour le header bidding, ndlr), nous le proposons pour nos clients. L'intérêt est majeur puisque le serveur permet d'alléger les pages et les publicités s'affichent plus vite. Cela a des retombées très positives à la fois pour l'annonceur, avec des meilleurs taux de clics et visibilité pour leurs campagnes, et pour les éditeurs, qui bénéficient de meilleurs core web vitals, essentiels pour un bon référencement SEO.

Un deuxième avantage majeur que l'IAB met en avant à travers Trusted Server est le fait de contourner les ad blockers et de reprendre la main sur le trafic ad blocké et auquel l'éditeur ne peut même pas soumettre sa CMP. Ceci étant, l'approche Trusted Server adopte une position un peu plus radicale à mon sens, voire difficilement applicable d'un point de vue technique.

Pourquoi dites-vous que Trusted Server n'est pas une solution applicable ?

Parce qu'elle préconise de déplacer sur le serveur toute la partie ad serving également. Nous savons qu'Equativ prend part à ces tests mais Google Ad Manager n'est pas compatible avec cette approche. Or GAM est l'ad server le plus massivement répandu sur le marché. Il faudra que Google adhère à cette approche pour qu'elle soit envisageable. Autrement l'éditeur va devoir limiter sa monétisation aux seuls acteurs compatibles. Il faudrait également que tous les partenaires data (solutions d'ID, DMP) soient compatibles. Sans oublier les CMP, qui sont implémentées en client-side.

Ne pensez-vous pas que c'est vers l'approche serveur que l'industrie se dirige à terme ?

Sans doute, le déplacement des enchères et de tout un ensemble de traitements côté serveur est une tendance forte. Mais ce que propose l'IAB Tech Lab n'est pas réalisable car il y a une contrainte majeure à laquelle la solution ne propose pas de réponse à ce stade : le contrôle de la fraude et de la brand safety et suitability. La raison à cela est que, pour la livraison de la publicité, l'IAB Tech Lab prône le recours à la technologie d'ad stitching, c'est-à-dire d'insertion de la publicité via le serveur et non via le navigateur (utilisée aujourd'hui notamment dans la VOL, ndlr). Cela coupera la visibilité et le contrôle dont disposent aujourd'hui les annonceurs sur les impressions qu'ils achètent.

Tous les acteurs de la vérification de la qualité publicitaire (DV, IAS, etc., ndlr) travaillent sur le client side. Il faudra que ces derniers adaptent leur technologie pour que ce soit compatible, ce qui représenterait une mini-révolution. Sans compter qu'il faudrait aussi que les annonceurs aient totale confiance en leurs partenaires éditeurs, car on se baserait très probablement uniquement sur du déclaratif. Par ailleurs, n'oublions pas que la dépendance aux cookies tiers, disponibles sur le navigateur par conséquent uniquement en client-side, est toujours d'actualité.

Le projet de l'IAB Tech Lab va devoir encore beaucoup évoluer. Il serait même nécessaire qu'il devienne un peu plus agile, moins lourd et complexe, plus ouvert à une approche hybride.

Si à terme Trusted Server venait à être massivement adopté par les acteurs de l'industrie, représenterait-il une menace pour votre propre business, vous qui proposez ce type d'implémentation pour le header bidding ?

Les éditeurs nous confient déjà le server side tel qu'il est utilisé aujourd'hui, c'est-à-dire pour le header bidding. Il faut savoir que l'approche server side implique des ressources capables de mettre en place des intégrations sur le serveur et surtout de les calibrer et les piloter. Très peu d'éditeurs disposent de ces ressources en interne. La preuve en est qu'à notre connaissance, aucun éditeur n'a aujourd'hui intégré en interne une solution comme Prebid Server. Ils font tous appel à des prestataires technologiques comme nous pour gérer le header bidding sur le serveur.

Pour l'instant, ce que nous pouvons faire et que nous préconisons fortement, c'est de déployer une stratégie hybride : nous travaillons avec des enchères côté serveur et client-side chez tous nos éditeurs. C'est ce qui permet de profiter du meilleur des deux mondes.