Nicolas Rieul et Arthur Millet (Alliance Digitale) "L'arrêt de la Privacy Sandbox est une grande victoire pour l'écosystème"
Pour Nicolas Rieul et Arthur Millet, respectivement président et directeur de l'Alliance Digitale, l'outil risquait de renforcer encore davantage la position dominante de Google sur le marché publicitaire.
JDN. Google a annoncé vendredi 18 octobre sa décision d'éteindre la plupart des API de la Privacy Sandbox. Quelle est votre réaction à cette nouvelle ?
Nicolas Rieul. L'Alliance Digitale félicite Google de sa décision d'éteindre la Privacy Sandbox. Cela fait trois ans que nous alertons sur les problèmes posés par cette initiative qui risquait de renforcer encore davantage la position dominante de Google. Le fait que la plateforme leader de la publicité mondiale soit la même qui fixe les règles du jeu pour l'ensemble de l'industrie était un non-sens dès le départ.
L'Alliance Digitale avec ses membres a mis beaucoup de moyens en expertise et en temps pour tester les différentes API de la Privacy Sandbox et répondre aux consultations des différentes autorités, dont celle de la Competition and Markets Authority (CMA). Tous les tests ont démontré que cette solution s'avérait complexe et inadaptée, à commencer pour les annonceurs, avec des coûts d'acquisition plus élevés. Pour les utilisateurs, la Privacy Sandbox aurait engendré une plus forte pression publicitaire.
L'erreur initiale de Google a été d'annoncer la fin des cookies tiers. L'argument selon lequel les cookies tiers ne sont pas conformes au respect de la vie privée ne tient pas la route. Nous avons toujours contesté cette position de Google.
L'Internet ouvert souffre, ce qui bénéficie aux jardins clos. La Privacy Sandbox risquait d'aggraver cette situation. Nous tenons à saluer l'attitude collaborative de Google sur ce dossier. Le collectif a été écouté et c'est une force.
Pourtant Google est revenu en arrière et a maintenu les cookies tiers dès juillet 2024…
Arthur Millet. Grâce aux différents retours procurés par l'industrie, notamment dans le cadre de l'instruction menée par la CMA, processus où l'Alliance Digitale a été parmi les acteurs les plus actifs, Google a compris que ce serait très compliqué d'imposer la Privacy Sandbox comme seule solution.
Nicolas Rieul. Google n'a jamais su expliquer véritablement sa décision de supprimer les cookies tiers. De plus, en faisant monter la notion de "first party data", l'entreprise s'attendait sans doute, au lancement de son projet de Privacy Sandbox, que le traitement au niveau du navigateur soit exempté de consentement, comme le pensait Apple pour son ciblage publicitaire au sein de l'app store, condamné depuis par la Cnil. Google a donc dû freiner ses ambitions.
Google est membre de l'Alliance Digitale. Qu'est-ce qui selon vous a motivé sa décision ?
Arthur Millet. Plusieurs facteurs sont venus se cumuler et ont sans doute eu raison de Google, à commencer par la complexité de la Privacy Sandbox.
Nicolas Rieul. Google subit la pression des différents procès anti-trust contre lui en cours en Europe et aux Etats-Unis. Comment centraliser certains outils publicitaires sur Chrome alors que le risque du démantèlement planait sur l'entreprise ? Enfin, il est certain que la décision de l'Autorité de la concurrence française de condamner Apple pour abus de position dominante avec son initiative ATT a pesé sur la décision de Google de désactiver les principales applications de la Privacy Sandbox. Bien que les environnements soient distincts, la Privacy Sandbox sur le web et ATT sur l'in-app, le principe au fond était le même : renforcer la position de ces plateformes.
Désormais qu'est-ce qui change pour l'industrie ?
Nicolas Rieul. Pour nous l'arrêt de la Privacy Sandbox est une grande victoire pour l'Alliance Digitale et pour notre écosystème. Cela ne nous fait rien gagner en soi, mais évite que tout le monde perde beaucoup.