Apple versus adtech : un référé pour en finir avec l'ATT et le "privacy washing"
C’est une dépêche de l’agence de presse allemande DPA, publiée mercredi 22 octobre, qui a mis le feu aux poudres de ce côté-ci du Rhin : dans cet article, Apple tire la sonnette d’alarme face au risque d’être contrainte de désactiver l’Apple Transparence Tracking (ATT) en Allemagne, en Italie et dans "d’autres pays d’Europe".
Cette déclaration d’Apple, qui au passage omet de mentionner la France, a lieu alors que l’impact du dispositif ATT sur la concurrence dans le secteur de l’édition et de la publicité en ligne est en cours d’évaluation par les autorités allemande et italienne et que leurs décisions semblent imminentes. Mais il n’y a pas que cela : Apple est aussi confrontée à la menace d’une décision du Tribunal judiciaire de Paris dans le cadre d’une procédure en référé initiée en septembre dernier en toute discrétion et qui pourrait déboucher sur une suspension d’ATT en France, vient d’apprendre le Journal du Net. L’audience en référé aura lieu début décembre.
Les associations à l’origine de la procédure en référé, à savoir l’Alliance Digitale, le Geste, le SRI et l’Udecam avaient obtenu le 31 mars dernier la condamnation du dispositif ATT par l’Autorité de la concurrence française. Cette dernière a sanctionné Apple d’une amende de 150 millions d’euros pour abus de position dominante dans le secteur de la distribution d’applications mobiles sur les terminaux iOs et IPad OS précisément à cause du dispositif ATT. Cette décision est contestée en justice par Apple. De plus, l’entreprise avait rappelé à chaud que l’Autorité n’avait exigé aucun changement spécifique à l’ATT dans sa décision.
"Notre procédure en référé vise à faire cesser ATT, vu que ce dispositif a été jugé illégal par l’Autorité de la concurrence française. Nous avons pu faire constater qu’Apple n’a opéré aucun changement pour se rendre conforme à la décision de l’autorité française", déclare Nicolas Rieul, président de l’Alliance Digitale.
Apple monte au créneau
Contactée par le Journal du Net, Apple confirme ses propos à l’agence de presse allemande en précisant : "Nous avons créé App Tracking Transparency pour donner aux utilisateurs un moyen simple de contrôler si les entreprises peuvent suivre leur activité dans d’autres applications et sur d’autres sites web. Cette fonctionnalité a été adoptée par nos clients et saluée par les défenseurs de la vie privée et les autorités chargées de la protection des données dans le monde entier. Sans surprise, l'industrie du pistage continue de s'opposer à nos efforts pour donner aux utilisateurs le contrôle de leurs données, et les pressions intenses exercées en Allemagne, en Italie et dans d’autres pays d'Europe pourraient nous obliger à retirer cette fonctionnalité au détriment des consommateurs européens. Nous continuerons à exhorter les autorités compétentes en Allemagne, en Italie et dans toute l'Europe à permettre à Apple de continuer à fournir cet important outil de protection de la vie privée à ses utilisateurs."
Dans le fond, Apple se montre ouvertement critique à l’égard des autorités de la concurrence européennes, considérant qu’en remettant en cause ATT, ces dernières finissent par bénéficier les entreprises de technologie publicitaire, dont le seul objectif selon Apple serait de faire tomber le dispositif pour collecter un maximum de données des utilisateurs.
Pour Apple, les autorités européennes de la concurrence entendent vider ATT de sa substance en transformant le dispositif en une fenêtre contextuelle de gestion du consentement compliquée et génératrice de confusion. Apple insiste fortement sur le fait que ATT permet aux utilisateurs de décider simplement et facilement si leurs applications doivent pouvoir ou non suivre leur activité en ligne, contrairement aux fenêtres de consentement mises en place par les éditeurs de site web dans le cadre du RGPD et d’ePrivacy, qu’elle qualifie de complexes et souvent porteuses de dark patterns. Apple rappelle la reconnaissance internationale du caractère protecteur de la vie privée de son dispositif en énumérant différentes déclarations publiques livrées par des ONG telles que l’EFF ou l’EPIC, voire même les gendarmes de la vie privée français et britannique.
"ATT est un outil qui renforce la position dominante d'Apple sur le marché de la publicité in-app"
Nicolas Rieul réagit aux propos d’Apple repris par la presse depuis mercredi dernier. "Il est temps qu’Apple arrête de faire du privacy washing, en forçant le discours sur le caractère protecteur d’ATT qui en réalité est un outil qui renforce sa position dominante sur le marché de la publicité in-app. Nos institutions fonctionnent parfaitement bien. Elles ont condamné Apple à la fois sur le front de l’abus de position dominante et sur celui de la privacy", déclare-t-il au Journal du Net en rappelant la décision de la Cnil de sanctionner Apple d’une amende de 8 millions d’euros le 29 décembre 2022 pour avoir imposé des traceurs publicitaires aux utilisateurs d’iPhone en France, sans consentement explicite de ces derniers sur la version 14.6 de l’OS, une décision confirmée le 15 octobre dernier par le Conseil d’Etat, qui ce faisant a rejeté le recours d’Apple.
Le jugement de l’Autorité de la concurrence portait sur les modalités concrètes de mise en œuvre du dispositif ATT. L’Autorité avait déclaré avoir "constaté que les modalités de mise en œuvre concrètes de ce dispositif sont abusives au sens du droit de la concurrence, notamment, en ce qu'elles compliquent artificiellement le parcours des utilisateurs d'applications tierces et faussent la neutralité du dispositif au détriment des petits éditeurs se finançant par la publicité". L’autorité française considère que le dispositif ATT n’est même pas nécessaire, "dans la mesure où il ne permet pas le recueil d’un consentement valable au regard du droit applicable tel qu’il résulte, notamment de la loi Informatique et Libertés".
Surtout, en considérant que ATT vient s’ajouter aux fenêtres de consentement que les éditeurs d’applications sont déjà obligés de présenter aux utilisateurs au titre du RGPD, l’autorité française confirme un des principaux arguments des auteurs de la plainte. Pour ces derniers, depuis ATT, l’autorisation ou le refus du traceur publicitaire (IDFA) doit se faire au moment du téléchargement de l'application ou en cas de changement de device avec un texte standard jugé anxiogène ne favorisant pas de changement d'avis et surtout en venant s'ajouter au recueil du consentement déjà imposé par le RGPD et la directive e-Privacy. Un changement à l’origine d'une baisse de 50% des revenus publicitaires des éditeurs d'applications sur iOS, selon les estimations du marché.