Digital Fairness Act : L'Europe doit choisir entre la sur-réglementation et la compétitivité numérique

THE GOOD ADVERTISING PROJECT

Le Digital Fairness Act (DFA) représente une couche de sur-réglementation redondante qui ferait peser une menace certaine sur la publicité digitale, le e-commerce et les médias notamment.

Le projet de Digital Fairness Act (DFA), actuellement en gestation au niveau européen, est animé par une ambition louable que partage l’intégralité de l'écosystème tech et publicitaire : garantir un environnement digital équitable et transparent pour les consommateurs. Pour autant, ce nouveau texte qui vient s’ajouter à une liste déjà conséquente de régulations, risque fort de n’être qu’une réglementation duplicative et contre-productive, alourdissant un cadre juridique en réalité déjà très dense.

Un arsenal législatif déjà complet contre les pratiques déloyales

Le Digital Fairness Act vise à protéger les consommateurs contre les interfaces trompeuses (dark patterns), les publicités déloyales ou les conceptions addictives. Or, le cadre réglementaire européen est déjà l’un des plus complets au monde. Les pratiques visées sont largement couvertes par les textes existants :

  • La Directive sur les pratiques commerciales déloyales (DPCD/UCPD) interdit les pratiques trompeuses et agressives.
  • Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) impose la protection de la vie privée dès la conception (privacy by design) et le consentement éclairé.
  • Le Digital Services Act (DSA) cible spécifiquement les dark patterns (article 25).
    Le Comité européen de la protection des données (CEPD) a même publié des lignes directrices détaillées sur le sujet. Il n’existe donc aucun vide juridique à combler.

Le DFA, une menace directe pour l’économie du web ouvert

Tel qu'envisagé aujourd’hui, le DFA représente en outre une menace pour la publicité personnalisée, pilier du modèle économique du web européen. La publicité personnalisée finance les contenus et services gratuits, soutient la diversité des médias et offre aux PME une visibilité ciblée à moindre coût. Près de 89 % des PME françaises utilisent ce levier devenu standard. La personnalisation, basée sur les données de navigation, est essentielle pour les e-commerçants et les vendeurs de marketplace dont la profondeur de catalogue est presque sans limite. En outre, du point de vue du consommateur, l’interdiction de la publicité ciblée ne mènerait pas à moins de publicités, mais à potentiellement deux fois plus de publicités non ciblées pour compenser le manque à gagner. 

L’interdiction ou la restriction du ciblage publicitaire assécherait ainsi le carburant de l’économie numérique. Selon une étude menée par Oliver Wyman pour The GAP, un tel scénario provoquerait ainsi :

  • une baisse du retour sur investissement (ROI) pour les annonceurs de 25 à 45 %, 
  • une chute des revenus pour les médias de 30 à 45 %, 
  • et jusqu’à 45 % d’emplois menacés dans la filière AdTech française.

Des concepts flous qui freinent l’innovation

L’un des points les plus problématiques du DFA réside dans l’introduction de notions subjectives comme les « utilisateurs vulnérables » ou les « états mentaux négatifs » car en pratique, tout le monde pourrait être considéré comme vulnérable à un moment ou un autre. Cette approche conduit à une déresponsabilisation du consommateur et à des restrictions de fait inapplicables pour les systèmes automatisés de publicité programmatique. La frontière entre la persuasion légitime et la manipulation est très subjective par définition et donc floue. Le DFA brouillerait en réalité davantage ces limites. A lire les textes préparatoires du DFA, on a en effet  l’impression que toute influence devient une manipulation !

La proposition d’inverser la charge de la preuve pour les pratiques dites “manipulatrices” est tout aussi inquiétante : elle obligerait les entreprises à démontrer en permanence leur conformité, créant une sur-conformité coûteuse et paralysante, surtout pour les PME et startups. Au risque de transformer la créativité marketing en parcours du combattant juridique...

La priorité : renforcer l’application, pas empiler les textes

L’Europe ne souffre pas d’un manque de règles, mais d’une application incohérente et insuffisamment dotée en moyens des lois existantes. En cohérence avec les priorités affichées de l’Union européenne en matière de simplification et de compétitivité, la Commission doit adopter une approche équilibrée : mieux appliquer, plutôt que réguler davantage.

La priorité doit donc être de renforcer l’effectivité des lois existantes (UCPD, RGPD, DSA, CRD), d’harmoniser les interprétations nationales du RGPD, et de doter les autorités de contrôle de moyens suffisants pour sanctionner ceux qui ne respectent pas déjà ces règles. Une nouvelle couche législative via le DFA serait une fuite en avant. La véritable équité numérique passe par une application rigoureuse et cohérente du cadre juridique mondialement reconnu dont l’Europe dispose déjà.