Nucléaire : EDF bouscule les industriels avec son nouveau système d'enchères
EDF prévoit de commercialiser son électricité nucléaire à travers un système d'enchères concurrentielles à partir de juin 2025. Cette annonce provoque des réactions contrastées, notamment parmi les grands industriels électro-intensifs français, soucieux des conséquences économiques de ce changement.
Un système d'enchères controversé
À compter de juin 2025, EDF proposera 10 térawattheures (TWh) annuels d'électricité nucléaire aux enchères, avec des contrats d'une durée comprise entre 10 et 15 ans pour une livraison dès janvier 2026. Cette démarche s'inscrit dans la perspective de la fin du dispositif de l'Arenh (Accès Régulé à l'Électricité Nucléaire Historique), prévue le 31 décembre 2025, qui garantissait jusqu'alors un prix régulé à 42 euros du mégawattheure (MWh).
Les industriels électro-intensifs, habitués à négocier directement avec EDF, craignent une hausse significative des coûts liés à ce nouveau mécanisme. "Avec cet appel d'offres et sans poursuite de discussions bilatérales avec les industriels, EDF préférerait clairement vendre aux plus offrants plutôt qu'à ceux qui en ont besoin", a réagi l'Union des industries utilisatrices d'énergie (Uniden), citée dans Le Figaro. L'association redoute notamment une concurrence avec des secteurs disposant de capacités financières supérieures, comme les centres de données ou les télécoms.
Tensions entre EDF et le gouvernement
La mise en place de ce mécanisme provoque également une crispation entre EDF et l'État, son unique actionnaire. Pour le gouvernement français, l'enjeu est stratégique : maintenir la compétitivité énergétique des industries nationales. Bruno Le Maire, ancien ministre de l'Économie, a ainsi réagi vivement à l'annonce : "EDF, entreprise 100% publique, doit fournir une électricité au prix le plus compétitif possible à tous les industriels. Le projet de mise aux enchères européennes ne répond à cette vocation et affaiblirait l'industrie française. L'accord de 2023 doit être respecté", rapporte L'Usine Nouvelle.
Cette réaction s'inscrit dans un contexte où l'État souhaite accélérer la réindustrialisation, dépendante de tarifs énergétiques compétitifs. Un haut fonctionnaire ajoute à ce propos : "EDF considère que le prix de l'électricité n'a pas d'impact sur l'activité industrielle, comme si 2022 n'avait jamais existé".
Des incertitudes liées à l'ouverture européenne
Ce mécanisme d'enchères répond aux exigences européennes de concurrence mais suscite l'inquiétude quant à son ouverture aux entreprises étrangères. EDF précise toutefois que "l'acheminement de l'électricité hors de France sera à la charge de l'entreprise cocontractante qui pourra revendre son électricité en France" en cas de besoin. Néanmoins, des spécialistes évoquent des contraintes techniques, notamment la saturation des interconnexions électriques européennes, qui pourraient limiter l'intérêt réel des entreprises étrangères.
En choisissant de commercialiser son électricité nucléaire par enchères, EDF cherche à sécuriser ses revenus pour financer des investissements majeurs, dont la construction prévue d'au moins six réacteurs nucléaires EPR2 pour un coût estimé à 70 milliards d'euros. L'objectif fixé par EDF d'un prix moyen autour de 70 euros par MWh sur quinze ans pourrait toutefois être difficile à atteindre dans un contexte où les prix de gros sont actuellement à 59 euros du MWh en 2024, selon le gestionnaire du réseau RTE. Cette divergence entre objectifs économiques d'EDF et réalités du marché ajoute une couche supplémentaire d'incertitude pour les industriels français confrontés à ces enchères inédites.