Pas de répit pour les big tech sous Trump 2.0
Depuis son élection, les géants de la tech multiplient les gestes de bonne volonté à l'égard de Donald Trump. Tim Cook (Apple), Sundar Pichai (Google), Masayoshi Son (Softbank) et Ted Sarandos (Netflix) ont tous fait le déplacement à Mar-a-Lago pour dîner avec l'hôte de la Maison-Blanche. Jeff Bezos est intervenu pour donner une ligne éditoriale plus à droite au Washington Post (qu'il possède) et Amazon va réaliser un documentaire sur Melania Trump. Mark Zuckerberg a supprimé ses équipes consacrées à la vérification des faits, qui constituent de longue date une des têtes de Turc des Républicains et en particulier pour Trump qui les accusent de censurer les voix conservatrices. Le patron de Meta a également nommé Dana White, président de l'UFC et soutien de Donald Trump, au sein de son conseil d'administration.
A travers ces déclarations d'allégeance, la Silicon Valley couve un espoir : celui d'un retour à une politique pro-business, avec des régulations minimales ainsi qu'une faible volonté d'appliquer les lois antitrust, fermant ainsi la parenthèse Biden. Le mandat de l'ancien président a en effet été marqué par une rupture avec la vision pro-tech de l'administration Obama. Joe Biden a ainsi cherché à réduire le pouvoir des big tech ainsi qu'à défendre les intérêts des travailleurs et des consommateurs contre les abus de ces derniers. Une politique offensive menée tambour battant par des personnalités comme Lina Khan, l'ancienne directrice de la FTC, le gendarme américain de la concurrence. Les procès anti-monopôle se sont multipliés tandis que le moindre rachat a été passé au peigne fin par les autorités de la concurrence.
Une fracture entre populistes et pro-marchés
Cette nouvelle ligne a suscité d'âpres critiques parmi l'industrie de la tech, y compris au sein des alliés les plus fidèles du parti démocrate. Reid Hoffman, cofondateur de LinkedIn, membre du conseil d'administration de Microsoft et donateur régulier du parti (il a donné 11,6 millions pour tenter de faire élire Kamala Harris), a par exemple critiqué Lina Khan durant la campagne présidentielle, affirmant dans une interview à CNN qu'elle "n'aidait pas l'Amérique" et qu'il espérait que Kamala Harris la remplace une fois élue. Des personnalités issues de l'aile gauche du parti démocrate étaient alors montées au créneau pour la défendre, Elizabeth Warren saluant son "excellent travail" tandis que Bernie Sanders dénonçait "l'arrogance" de Reid Hoffman.
Mais de même qu'il y a une gauche américaine plutôt pro-tech et pro-business, aux positions centristes sur l'économie, et une gauche pro-travailleurs penchant davantage vers le socialisme, on retrouve ce clivage au sein de la droite américaine, y compris parmi la coalition trumpiste. La majorité présidentielle compte en effet des représentants de la tech comme Elon Musk et David Sacks, ainsi que des républicains au profil traditionnel, plutôt reaganiens et pro-business. Mais aussi un certain nombre de figures populistes, en particulier le vice-président JD Vance, partisan d'une politique plus favorable aux classes populaires, hostile à un capitalisme trop débridé et même, grande nouveauté chez les Républicains, défenseur des syndicats. Si Trump lui-même penche tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, la politique menée par la nouvelle administration vis-à-vis de la tech s'oriente pour l'heure plutôt du côté populiste, comme l'illustrent les nominations de Trump à des postes clefs.
Des personnalités anti-Gafam à des postes clefs
Gail Slater, choisie pour diriger la division anti-monopôle du département de la Justice et Andrew Ferguson, qui remplace Lina Khan à la FTC, sont ainsi deux critiques assumés des big tech, qu'ils accusent non seulement de pencher à gauche et de faire taire les voix conservatrices, mais aussi d'être trop gros et trop puissants, critiques qui font écho à celles de la gauche américaine. Lors de l'annonce de la nomination de Gail Slater, Trump a déclaré sur sa plateforme Truth Social que les big tech "entravaient la compétition dans notre secteur le plus innovant" et "utilisaient leur pouvoir pour restreindre les droits des Américains et ceux des petites entreprises de la tech", une rhétorique que n'aurait pas reniée l'administration précédente.
C'est sous la première administration Trump qu'a démarré le procès contre Google pour entrave à la concurrence, qui pourrait déboucher sur un démantèlement de l'entreprise. Une enquête a également été ouverte contre Apple, conduisant l'administration Biden à intenter un procès contre l'entreprise l'an passé. La date de celui-ci n'a pour l'heure pas encore été fixée.
Si la Silicon Valley ne semble pour l'heure pas parvenue à amadouer Trump ni à faire triompher les instincts pro-business de la nouvelle administration au détriment de ses vues populistes, c'est aussi sans doute parce que l'industrie, malgré le revirement de quelques figures médiatiques, continue de pencher à gauche et demeure donc perçue comme telle par le nouveau président, qui y voit ainsi une myriade d'opposants idéologiques plutôt que des alliés potentiels. Cela fait en outre des années que Donald Trump accuse les réseaux sociaux de faire taire les voix conservatrices, il lui faudra donc davantage qu'un revirement de Mark Zuckerberg sur la vérification des faits pour changer d'avis.
Enfin, Donald Trump semble lors de son second mandat plus déterminé à mettre en place la politique populiste pour laquelle il a été élu, notamment parce qu'il est davantage entouré de personnalités partageant sa vision, là où il avait dû en 2017 s'appuyer sur des cadres historiques du Parti républicain. Le contraste entre les premières mesures économiques adoptées lors de ses deux mandats est flagrant : la première fois, Trump avait commencé par des baisses d'impôts, favorisant principalement les plus aisés et les grandes entreprises, et des dérégulations. Cette fois-ci, il a appliqué une vague sans précédent de tarifs douaniers avec pour objectif de rapatrier la production industrielle aux Etats-Unis, et indiqué sa volonté de poursuivre cette politique malgré les protestations de certains grands patrons américains et l'effondrement des cours boursiers.
Une exception : l'IA
Il est toutefois un domaine de la tech dans lequel le laisser-faire semble l'emporter au sein de la nouvelle administration : l'IA. L'un des premiers décrets signés par le président a été l'annulation d'un décret signé par son prédécesseur pour mettre en place quelques (modestes) garde-fous sur le développement de l'intelligence artificielle. Il a ensuite signé son propre décret, insistant sur la nécessité de limiter les régulations au minimum pour promouvoir la domination américaine dans ce domaine.
Deux facteurs permettent d'expliquer que la position de l'administration Trump sur l'IA se distingue de son approche du monde de la tech en général. D'une part, les Etats-Unis sont sur ce terrain-là engagés dans une course contre la Chine, qui a frappé très fort fin janvier avec le lancement de DeepSeek. La Maison-Blanche évaluerait ainsi actuellement l'interdiction de l'application aux Etats-Unis, après l'avoir déjà interdite sur les appareils utilisés par les fonctionnaires.
D'autre part, plusieurs personnalités proches du milieu de l'IA ont des postes clefs au sein de la nouvelle administration, en tête desquelles Elon Musk, qui possède sa propre entreprise dans ce domaine, xAI, et est lui-même le champion d'une IA dérégulée au maximum et privée de tous garde-fous. La philosophie de l'administration Trump 2.0 suit en cela celle de son conseiller de l'ombre.