Trump 2.0 : plus technophile, plus radical, mieux accepté et entouré que la première fois
L'élection surprise de Donald Trump face à Hillary Clinton en 2016 avait fait l'effet d'une onde de chocs. Les manifestations d'opposants s'étaient rapidement multipliées aux Etats-Unis, tout comme les articles de presse contestant la légitimité d'un président élu d'une courte tête sans remporter le vote populaire, avec en prime des soupçons d'ingérence russes. Les élites de la Silicon Valley, désormais au moins aussi puissantes que les magnats du pétrole et capitaines d'industrie, étaient vent debout contre lui, et le président américain était traité avec dédain par la plupart des dirigeants internationaux, à l'exception notable du Premier ministre japonais Shinzo Abe. Huit ans plus tard, le contraste est on ne peut plus frappant.
De Mark Zuckerberg à Jeff Bezos, en passant par Sundar Pichai et Tim Cook, les barons de la tech se sont précipités pour payer leurs hommages au nouveau président, et mettre leur obole à sa cérémonie d'inauguration. De Musk à David Sacks, en passant par Marc Andreessen, plusieurs figures de la Silicon Valley ont fait campagne en sa faveur. Même Bill Gates, pourtant peu suspect de sympathies trumpistes, s'est récemment dit "impressionné" par le président. La publication britannique The Economist, qui n'a jamais caché son désamour pour Trump, titre quant à elle que l'Amérique pourrait entrer avec lui dans un "nouvel âge d'or".
Au sein de la population américaine, Trump est certes toujours loin de faire l'unanimité : sa cote de popularité demeure légèrement en-dessous de 50 %, seuil qu'elle n'a jamais dépassé durant son premier mandat. Mais chez ses détracteurs, le contraste par rapport à 2017 est également frappant. Ce n'est plus la combativité et la rébellion qui s'expriment, mais plutôt la résignation et la passivité. A Washington, ville très majoritairemet démocrate une manifestation anti-Trump qui espérait réunir 500 000 personnes en a à peine rassemblé 5 000. "La population s'est nettement prononcée en sa faveur, sa légitimité est incontestable", confie une jeune new-yorkaise qui avait participé à plusieurs manifestations anti-Trump durant son premier mandat et n'a rien fait de tel cette fois-ci. "Il y a beaucoup de passivité, même chez les activistes les plus à gauche, tout le monde est quelque peu découragé", confie pour sa part un homme engagé dans une association d'aide aux sans-papiers à Brooklyn.
Et là où il faisait jadis figure de paria sur la scène internationale, Trump compte désormais plusieurs alliés, de l'Argentin Javier Milei à la Première ministre italienne Giorgia Meloni. La victoire programmée de Pierre Poilièvre à l'élection canadienne, qui doit avoir lieu cette année, pourrait lui faire un allié de plus de l'autre côté de la frontière.
Trump enfonce le clou sur les tarifs et l'immigration
Mieux accepté par le public, Trump n'a pas pour autant mis de l'eau dans son bourbon. Bien au contraire. Mieux préparé que lors de sa victoire surprise de 2016, le président a également eu huit ans pour favoriser l'ascension au sein du parti républicain d'élus qui partagent sa ligne populiste, en rupture sur certains points (notamment la défense du libre-échange et de l'immigration) avec l'orthodoxie du parti depuis la présidence Reagan.
Trump avait certes bel et bien agis pour restreindre l'immigration illégale durant son premier mandat, avec notamment une mesure très controversée ayant entraîné la séparation des familles entrées illégalement depuis la frontière mexicaine. Mais ses premières actions témoignent d'une volonté d'agir bien plus fermement cette fois-ci, en accord avec sa promesse de campagne de procéder à la plus grande vague d'expulsion de l'histoire du pays. Il a ainsi décrété l'état d'urgence à la frontière avec le Mexique, ordonnant à l'armée américaine d'en assurer la surveillance ; remis en cause le droit du sol pour les enfants nés de parents entrés illégalement aux Etats-Unis (une décision qui devra sans doute être validée par la Cour suprême) ; et signé un moratoire sur l'accueil de réfugiés.
Sur la mise en œuvre de tarifs douaniers, Trump souhaite également passer à la vitesse supérieure. S'il n'avait encore rien signé au moment de la rédaction de ces lignes, il a en revanche promis des droits de douane de 25% sur les biens importés du Mexique et du Canada à partir du premier février prochain, réaffirmé sa promesse de mettre en place des tarifs de 100 % sur les BRICs, et promis également de taxer les produits venant de l'Union européenne. On ignore pour l'heure si le président compte véritablement mettre en œuvre ses menaces où s'il entend user de la carotte et du bâton pour obtenir des accords commerciaux plus favorables.
Le fantôme de William McKinley
Ceux qui avaient pu croire au discours pacifiste et isolationniste de Trump durant la campagne ont rapidement été détrompés. Le président semble bien parti pour reprendre la ligne agressive de son premier mandat, qui avait par exemple conduit à l'assassinat d'un général iranien et à l'abandon de l'accord sur le nucléaire avec ce pays ; à des bombardements sur la Syrie ; ainsi qu'à la livraison inédite d'armes léthales à l'Ukraine et à l'abandon unilatéral de traités de non-prolifération d'armes nucléaires signés avec la Russie. Donald Trump a ainsi exprimé sa volonté d'acheter le Groenland, voire de l'annexer de force au cas où l'option pacifique ne serait pas sur la table. Il souhaite également rétablir le contrôle des Etats-Unis sur le Canal de Panama, transféré au pays sous Jimmy Carter, et a plaisanté à plusieurs reprises sur un rattachement du Canada aux Etats-Unis. Mesure symbolique, mais qui en dit long : il a également signé un décret renommant le Golfe du Mexique "Golfe d'Amérique".
Lors de son discours d'investiture, Trump a fait à plusieurs reprises références à William McKinley, un président républicain du XIXe siècle qui, comme lui, avait combiné protectionnisme et expansionnisme (il avait préparé la création du canal de Panama et acquis les îles Hawaï). Un autre décret signé par Trump a eu pour effet de renommer le plus haut sommet américain, situé en Alaska, Mont McKinley : un décret d'Obama l'avait rebaptisé Mont Denali, son nom dans la langue d'un peuple natif d'Alaska.
La lune de miel entre Trump et la tech se concrétise
Par certains aspects, cette nouvelle présidence Trump s'annonce également en rupture avec la précédente. Le principal changement réside dans l'aspect beaucoup plus technophile de l'administration Trump 2.0, le président ayant ajouté une corde techno-libertarienne à son arc, après le ralliement d'une partie des élites de la Silicon Valley à son agenda et son rapprochement avec Elon Musk. Il a ainsi signé l'abrogation d'un décret de Joe Biden posant des garde-fous au développement de l'IA, avec par exemple l'obligation pour les développeurs d'effectuer des tests de sécurité et de partager leurs données avec le gouvernement lorsqu'ils travaillent sur des modèles particulièrement puissants. Le signe que Trump entend promouvoir une vision libre et dérégulée de l'IA, dans la droite ligne de ce que souhaite son compère Elon Musk.
Le président a également signé la mise en œuvre d'un plan d'investissement gargantuesque de 500 milliards de dollars dans l'intelligence artificielle, le projet Stargate, qui vise principalement à construire des centres de données pour l'IA aux Etats-Unis. OpenAI, SoftBank et Oracle figurent parmi les partenaires. Le plan d'investissement devrait créer 100 000 emplois aux Etats-Unis, selon Donald Trump. Il est intéressant de constater qu'à cet égard, le président a visiblement appris de son prédécesseur, Joe Biden. Si, lors de son premier mandat, Trump avait fait de grosses promesses en matière de réindustrialisation aux Etats-Unis, il n'avait appliqué aucune mesure volontariste allant dans ce sens, se reposant uniquement sur des tarifs douaniers, avec un résultat plus que mitigé. Joe Biden, à l'inverse, a multiplié les programmes d'investissement géants, comme l'Inflation Reduction Act et le Chips Act, avec un effet cette fois-ci manifeste. S'il aime tirer à boulets rouges sur son prédécesseur, Trump a visiblement tiré profit de son expérience sur ce point.
Comme le montre le détricotage des décrets signés par ses prédécesseurs, auxquels s'est adonné Donald Trump dès sa prise de pouvoir, l'instauration de changements durables requiert toutefois le passage de lois par le Congrès, qui ne peuvent être abrogées aussi facilement par un président de l'autre bord. C'est sur ce point que va venir le premier gros test pour Donald Trump, alors que sa majorité est divisée entre factions aux intérêts souvent contradictoires, et que son agenda populiste, s'il flatte une partie de sa base, n'est pas toujours du goût des élus républicains tenants d'une ligne plus traditionnelle, qui demeurent nombreux au sein du parti. Obtenir les avancées qu'il escompte requerra dans ce contexte du président qu'il fasse preuve de diplomatie et d'une capacité à trouver des compromis.